Le récent sondage de l’IFOP, commandé par l’Observatoire français du catholicisme, s’il donne beaucoup à penser sur la situation spirituelle de la France actuelle ne cache rien des faiblesses de notre Église, loin d’être dégagée du processus de déchristianisation initié dans les années 1960. Même s’il convient de ne pas rester trop fixé sur les rétroviseurs, et plutôt d’envisager les quêtes missionnaires, il n’est pas inutile de s’interroger sur les causes de cette désaffiliation par rapport à tout un héritage, d’autant que celles-ci poursuivent leurs effets cumulatifs. Ainsi, le fait que le maillage paroissial n’ait cessé de décroître a contribué à l’éloignement de l’institution. Et cet éloignement a produit une ignorance de plus en plus grande de la culture religieuse.
Espérance déçue
Voilà qui paraît bien contradictoire avec tous les espoirs nés du renouveau conciliaire, de ce « printemps » de l’Église annoncé peut-être imprudemment. Mais à la suite de Jean XXIII, Paul VI s’était montré particulièrement optimiste. Pourtant il savait, ne serait-ce qu’à la suite de son expérience d’archevêque de Milan, les difficultés de l’évangélisation. Mais il lui semblait que tout le labeur doctrinal de Vatican II, avec son attention particulière aux relations avec le monde de ce temps, allait lever les obstacles considérables qui, depuis le XVIIIe siècle au moins, s’opposaient à l’essor de la foi. À ce sujet, ses conversations avec Jean Guitton sont des plus significatives. Des rencontres avec le monde contemporain, le Pape attend tout : « Comment elles vont approfondir nos cœurs et nos intelligences, comment elles vont transformer l’horizon des générations qui montent et dont j’entends les pas ardents, les voix confiantes ! Prêtez l’oreille. Quelle immense espérance cette jeunesse de l’Église et du monde ! »
« Trouble dans l’Église »
De cet optimisme montinien, rien n’est plus démonstratif que le discours conclusif de Vatican II, avec l’éloge de la rencontre du christianisme avec l’humanisme moderne. Loin des accents de ses prédécesseurs, prompts à dénoncer les calamités qui se sont accumulées à l’âge moderne, le pape Montini trouve les accents les plus chaleureux pour exalter les retrouvailles de l’Église et du monde. Il se montre, en ce sens, le disciple du Maritain d’Humanisme intégral annonçant la synthèse possible du théocentrisme médiéval et de l’anthropocentrisme de la Renaissance.
Au fur et à mesure que les mois passent, les désillusions de Paul VI apparaissent de plus en plus cruelles. Au même Jean Guitton, il confie que « jamais il n’y a eu un tel trouble dans l’Église même et sans que ce soit perçu ». Et devant une telle réalité, il craint d’être paralysé, ne trouvant même pas les relais nécessaires pour réagir, même en France.
Voilà qui peut faire comprendre comment dans la grande dépression de ce que les Anglo-Saxons appellent les sixties, la crise interne de l’Église n’a fait qu’accélérer les évolutions internes de la société que le même Paul VI observe avec acuité : « Le chaos s’approche à grand pas. La civilisation aura tué la civilisation. »
Dans ce que Guillaume Cuchet appelle « l’anatomie d’un effondrement » (Comment notre monde a cessé d’être chrétien, Seuil, 2020), le facteur proprement ecclésial ne doit pas être sous-estimé. Certes, les transformations des mœurs, les révolutions intellectuelles qui modifient les représentations collectives, les dérives déconstructionnistes sont autant de défis à affronter pour l’Église. Mais quand ce sont les membres de son personnel qui sont atteints par les mêmes maux contemporains, portés parfois à un degré supérieur, la catastrophe est bien telle que la ressent Paul VI.
L’appel de Léon XIV
L’effondrement, dont on constate avec cette enquête de l’IFOP qu’il poursuit ses effets, exige un réveil missionnaire, celui que Léon XIV recommande à l’Église en France. Cet appel ne résonne pas dans le vide, parce que l’humanité ne saurait se satisfaire d’un nihilisme qui conspire à sa fin. En ce temps de Pentecôte, nous sommes conviés à accueillir l’Esprit qui renouvelle la face de la Terre.