« Res novae » est l’une de ces formules idiomatiques apparemment claires qu’apprennent les latinistes débutants. En anglais, la combinaison des deux termes est on ne peut plus facile : « things + new = new things » (en français : choses + nouvelles= choses nouvelles). En latin, ceci inclut à la fois le sens de « nouveautés » et celui d’ « innovations » — qui vont de pair pour un Américain qui croit que toutes choses nouvelles sont forcément bonnes —, au mieux une curiosité au pire une expérience incertaine. De proche en proche, on peut parcourir ainsi tout le champ des interprétations jusqu’à la révolution.
« Rerum Novarum », à l’époque, le titre de l’encyclique de Léon XIII en 1891 qui a donné le départ à l’enseignement catholique social contemporain, en avait intrigué plus d’un : « Choses nouvelles » ou « Révolution » ? En pratique, il visait les deux, son argument étant que si l’on ne parvenait pas à aborder comme il faut les choses nouvelles, il était probable qu’elles le seraient sous une forme révolutionnaire. L’enseignement vaut pour tous les temps.
Je pensais ainsi hier, premier dimanche de l’Avent, première expérience de la nouvelle traduction de la Messe 1
De nombreux médias ont feint de découvrir soudain ce qui avait toujours existé dans le catholicisme ; certains catholiques espéraient au contraire une sorte de révolution.
Les changements sont modestes, ainsi que l’avait souhaité Benoît XVI, nous laissant un peu moins concentrés sur nos propres problèmes et un peu plus absorbés dans les mystères divins.
Le Pape ne voulait pas d’une révolution telle que celle qui était intervenue à la suite de Vatican II et qui avait tant bouleversé l’Eglise et le monde. Il y aura néanmoins des remous car ce qui concerne la Messe et l’Eglise, en dépit de toute apparence, passionne à tel point que même les anti-catholiques ne peuvent l’ignorer.
Les révisions sont bonnes dans l’ensemble, quoiqu’insuffisantes. Dommage car il est peu vraisemblable qu’il y ait une autre révision avant un demi-siècle. Il y a quelques nouveaux termes qui sont introduits que vous n’entendrez pas dans un culte protestant. Cela n’est pas négligeable.
Nous avons souvent entendu dire que les innovations liturgiques introduites par Vatican II étaient destinées à permettre une « participation » de l’assistance – le peuple de Dieu – plus active et plus complète dans la Messe. Tel fut bien le cas, passé l’effet de mode, mais une moindre attention fut accordée à la communication en soi qu’à son objet. La constitution conciliaire sur la Liturgie, « Sacrosanctum Concilium », insiste sur la formation des laïcs qui leur permette de participer au chant, de comprendre les concepts théologiques inclus dans les formules liturgiques, et plus généralement de participer aux richesses de la grande tradition catholique.
Ceci aurait pu se concrétiser dans les années soixante, à un moment où l‘accès à l’éducation supérieure se généralisait. Or, les catholiques ont depuis cette époque reçu moins d’instruction religieuse qu’avant.
Il s’en serait fallu de peu pour que les choses tournent autrement. Mes enfants, qui fréquentaient dans les années 80 l’école catholique, y avaient découvert par exemple dès l’âge de sept ans le mot « transubstantiation », un terme finalement pas seulement réservé aux catholiques. Je ne regrette pas mon investissement pour le bien de l’Eglise mais aussi pour celui du monde, lequel part à la dérive par une attention excessive aux choses nouvelles et un manque de connaissance des choses permanentes.
La nouvelle traduction de la messe contient par exemple le mot «consubstantiel » et d’autres qui peuvent avoir un heureux impact sur quelques catholiques un peu curieux de la substance de leur foi 2 Ces choses peuvent paraître aujourd’hui « nouvelles » mais elles ne sont pas si difficiles à comprendre. Elles doivent permettre une meilleure participation aux mystères sacrés qui était l’objectif de Vatican II.
Les réactions négatives dans certains milieux catholiques sont en un sens assez surprenantes mais en même temps trop évidentes. La modicité de la réforme est telle que le mouvement de recul à son endroit paraît presque névrotique.
L’an dernier déjà, dans le magazine jésuite America, un prêtre avait été frappé par le mépris exprimé à l’encontre de « l’impérialisme romain » lors d’une réunion consacrée à la nouvelle traduction : « Quelqu’un avait même hasardé l’idée qu’avec tout ce que l’Eglise a actuellement sur les bras – les défis globaux concernant la justice, la paix, l’environnement, les scandales, la pénurie de prêtres, la croissante désaffection des femmes, la raréfaction de la pratique — il paraissait presque grotesque de poursuivre une telle ambition au mieux banale au pire désespérément déplacée. »
L’auteur, qui avait été présent à Vatican II, poursuivait par une tirade sur « l’inversion » par le Vatican des objectifs du Concile. 3
Or ledit Concile avait précisément vu dans l’Eucharistie « la source et le sommet » de la vie chrétienne, vision que partagent les plus progressistes des catholiques. N’est-il donc pas important de mettre à jour la liturgie même si vous continuez d’être plus préoccupé par la litanie rituelle des « problèmes » ?
Peut-on parler banalement d’une réalité de cette importance ? Ce qui nous éloigne de nombreux services religieux protestants n’est-il pas que Dieu y est évoqué comme guère plus que l’homme de la rue, même s’il est considéré comme quelqu’un de relativement important et puissant ?
La nouvelle traduction a engendré des réactions souvent inattendues, parce que la Messe continue de compter et ce jusqu’à ce qu’il y ait des hommes sur terre. 4
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/of-new-things.html
Pour aller plus loin :
- NDT : la troisième édition de la traduction anglaise depuis le Concile a été introduite le 27 novembre aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada et en Inde.
- NDT : dans le Credo, le terme « Consubstantialem Patri », en français : « de même nature que le Père » – qui avait déjà fait sensation à l’époque, était précédemment traduit en anglais : « One in Being with the Father », ne faisant qu’un dans l’Etre avec le Père.
- NDT : la controverse est venue du fait qu’une révision élaborée en 1998 avait été rejetée par Rome qui avait donné pour instruction en 2001 de rédiger une nouvelle traduction aussi proche que possible du latin. Des puristes considèrent les amendements comme du mauvais anglais.
- NDT : trois autres révisions dans cette nouvelle traduction : les échanges entre le célébrant et les fidèles : au « le Seigneur soit avec vous » on ne répondra plus « And also with you » Avec Vous aussi, mais comme en français « et avec votre Esprit » « And also with your Spirit ».
Même rapprochement pour le Gloria : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » remplace « Peace to his people on earth » Paix sur le terre à son peuple.
Avant la Communion, on ne dira plus « je ne suis pas digne de Vous recevoir » mais « je ne suis pas digne que Vous entriez sous mon toit » (You Should Enter under my roof).