Quand je m’adresse au public à propos de la mission des laïcs catholiques, je vois parfois un auditoire ébahi. Supposant que je n’empoisonne pas vraiment mes auditeurs, j’imagine que leur conception du catholicisme se limite presque exclusivement à la pratique des offices.
C’est compréhensible. Une célébration, si on peut dire, ça se mesure, on sait à quelle heure elle commence, et pour combien de temps. On n’est alors guère soumis à de pesantes contraintes, tout au moins en surface. Puis on s’en va, on retourne à la vie.
En fait, nos évêques et nos prêtres sont dans le même bateau. Bien que les célébrations prennent du temps, et soient au cœur de la vie du clergé, elles sont gérables, d’autant que les célébrants savent ce qu’ils font.
Mais on ne parle jamais de la Messe, par exemple, comme « gérable », ou hors de la vie courante. Bien plus, elle est « la source et le sommet de toute la vie catholique » (Vatican II). L’expression « toute la vie catholique » va parfaitement bien avec tout le document qui traite par exemple « des fidèles qui, en vertu de leur sacerdoce royal, participent à l’offrande Eucharistique. De même ils exercent ce sacerdoce en recevant les sacrements, en priant, en rendant grâce, en témoignant d’une vie sainte, par leurs renoncements et une charité active.
Ceci est justifié car je vois souvent des catholiques qui, disons-le, « s’agenouillent pour prier le dimanche, et font leurs prières sur le dos des autres en semaine. » Le contraste grotesque et fortement choquant entre la participation au sacrifice plein d’amour du Christ lors de la messe et le sacrifice indifférent pris aux autres pour son propre intérêt, est perturbant, c’est le moins qu’on en puisse dire.
Mais il n’y a pas d’enquête aux États-Unis sur la simple pratique du dimanche, on n’identifie guère de différences morales entre les catholiques et le reste de la population. J’imagine donc qu’ils sont des « catholiques à l’église ».
Pour la plupart, il n’y a pas de catholicisme « à plein temps ». Vatican II résume ce que cela signifie pour les laïcs:
« tout leur travail, leurs prières et leur participation à l’évangélisation, leur vie quotidienne de couple, familiale, leurs activités de chaque jour, leur détente physique et intellectuelle, menés dans l’Esprit, et les difficultés de l’existence supportées avec patience — tout cela devient « sacrifice acceptable pour Dieu par l’entremise de Jésus Christ. » Tout cela s’imbrique parfaitement à l’offrande du corps de notre Seigneur dans la célébration de l’Eucharistie. Et donc, tout comme ceux qui pratiquent l’adoration, le laïc consacre son propre monde à Dieu.»
Comment le mettre en pratique chaque jour?
Une vie marquée par l’amour, non pas une simple émotion, mais l’amour tel que décrit par Saint Paul: « La charité est longanime; la charité est serviable; elle n’est pas envieuse; la charité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas; elle ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal; elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. La charité ne passe jamais. Les prophéties? elles disparaîtront. Les langues? elles se tairont. La science? elle disparaîtra.» (1 Cor, 13:4-8).
On se sacrifie par chacun de ces actes. Et se sacrifier s’oppose à la pression quotidienne pour tout maîtriser. Nous sommes souvent confrontés à des décisions imprévues qui n’entrent pas dans nos projets — aider quelqu’un, donner un Euro à celui-là, tendre l’oreille à celui-ci, se lever et prendre la parole.
Tout cela est dérangeant — parfois risqué. Mais nous marchons à la suite de quelqu’un qui fut crucifié, et la crucifixion est plus que dérangeante. On peut mesurer le niveau de son propre catholicisme en voyant s’il est dérangeant ou non.
Évidemment, le clergé doit relever exactement le même défi. Par leur baptême, les clercs doivent marcher à la suite du Christ 24 heures par jour, sept jours par semaine. De plus, les clercs ont la tâche d’enseigner, d’établir des liens entre la vie liturgique et la vie de chaque jour, et il faut aussi qu’ils mènent leur propre existence. Le Christ n’est pas mort afin que nos curés profitent d’un bon cognac et d’un bon cigare, ou se fassent décorateurs d’intérieur. Le Christ est mort pour qu’ils puissent en permanence proclamer l’Évangile.
Réjouissons-nous, les contraintes de la nouvelle loi sur la protection de santé 1 ont incité des chefs d’entreprise catholiques « à plein temps » à s’élever publiquement contre, tout comme nous avons vu providentiellement des générations de catholiques « à plein temps » faire grandir des familles qui consacrent le monde à Dieu.
Naturellement, nul ne peut certifier que ces chefs d’entreprises réussiront mieux que ceux qui serrent la vis et traitent leur personnel comme du bétail. Il y a trop d’impondérables dans le monde du travail. Mais à de nombreux points de vue, améliorer le service aux clients, la qualité de vie du personnel et la participation de l’entreprise à la communauté, c’est apporter une lumière à la vie, comme le font les familles catholiques « à plein temps ».
Oui, la Messe est un moment de grâce incomparable, mais le reste du temps doit se passer en coopération de la grâce avec le reste — tout le reste — de notre vie.
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Bevil Bramwell, OMI, professeur de théologie à l’Université Catholique Distance à Hamilton, Virginie.
NDT: la citation de la première épitre aux Corinthiens est tirée de l’édition française de la Bible de Jérusalem.
Photo : Récitation du Rosaire en famille.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/liturgical-catholics-vs-247-catholics.html