Bismarck : La première guerre de la culture - France Catholique
Edit Template
L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
Edit Template

Bismarck : La première guerre de la culture

Copier le lien

Le mois dernier, l’ancien Secrétaire d’Etat, Henry Kissinger, s’extasiait, en première page du supplément littéraire dominical du New York Times, sur le nouveau livre de Jonathan Steinberg consacré à l’homme de pouvoir qui a dominé le XIXe siècle, Otto von Bismarck. « Le maître-homme d’Etat , écrit le Dr. Kissinger, était un rationaliste dont le philosophe de référence n’était pas Descartes mais Darwin ; pas le « je pense donc je suis » mais « la survie du plus fort. » Kissinger oublie de mentionner que Bismarck était en outre un anti-catholique forcené qui a usé brutalement de tout son pouvoir pour détruire l’Eglise.

Bismarck (1815-1898), originaire d’une famille de nobliaux prussiens – les « Junkers » -, a gouverné l’Allemagne de 1862 à 1889 sous trois monarques Hohenzollern. Il n’était pas une figure charismatique ni un grand orateur mais un brillant manipulateur politique qui a dominé l’administration de son pays par la force de sa pure volonté.

Afin de rassembler les multiples principautés germaniques sous la Prusse protestante et non la catholique Autriche, Bismarck a mené trois guerres victorieuses en moins d’une décennie. En 1864, après une guerre limitée avec le Danemark, la Prusse a étendu son hégémonie en annexant le duché du Schleswig. Ensuite, la Prusse s’en prit en 1866 à l’Autriche qui demanda la paix après la sévère défaite de Konigraetz. L’accord négocié par Bismarck stipulait que l’Autriche se retirerait de la Confédération des Etats allemands.
Enfin, l’armée prussienne de Bismarck a défait la France à la bataille de Sedan en 1870 et absorba la province d’Alsace-Lorraine. Au cours des négociations de paix, dans la Galerie des Miroirs au château de Versailles, Bismarck parvint à son but ultime : le roi Guillaume Ier de Prusse fut déclaré Empereur d’Allemagne, une nouvelle fédération comprenant vingt-cinq Etats.

Afin d’affaiblir l’autonomie des Etats fédérés, le désormais chancelier impérial Bismarck introduisit le suffrage universel. Il devait vite le regretter après s’être aperçu qu’un tiers de la population de la Prusse élargie était de confession catholique romaine.

Afin de contrer l’influence croissante du Parti Catholique du Centre, le Zentrum, Bismarck, un matérialiste qui ne reconnaissait aucun pouvoir supérieur à celui de l’Etat, a profité de l’occasion de la proclamation par le premier Concile du Vatican de l’infaillibilité pontificale, pour lancer le Kulturkampf – le combat pour la Civilisation. Bismarck éructa : « L’infaillibilité du pape est une menace pour l’Etat ! Il s’arroge tout pouvoir temporel qui lui convient…déclare nos lois nulles et non avenues, lève des impôts…bref, personne en Prusse n’est si puissant que cet étranger. »
Bismarck a aboli les dispositions constitutionnelles qui protégeaient l’Eglise et fermé le département catholique pour le culte et l’enseignement. Les lois anti-catholiques ont supprimé l’instruction religieuse dans les écoles, mis fin à la reconnaissance légale du mariage catholique et expulsé les jésuites. Les évêques furent condamnés comme agents de l’ennemi. Bismarck déclara dans une circulaire officielle, que « les évêques ne sont que des instruments (du pape)…Pour le gouvernement, ils sont devenus les représentants d’un souverain étranger…lequel, en vertu de son infaillibilité, est désormais un monarque absolu – le plus absolu de tous les monarques sur terre. »
Un quart des églises catholiques, un millier de presbytères, et vingt journaux catholiques furent fermés. Des personnalités catholiques laïques furent mises en prison, leurs biens et leurs revenus confisqués. La vie sous le régime du Kulturkampf a été décrite par un prêtre connu pour ses activités militantes, le Père Karl Jentsch : « Chaque jour le Catholique devait lire… qu’il était un ennemi de la Patrie, un petit papiste, un esprit borné et que son clergé était la lie de l’humanité. » (certaines choses ne changent jamais.)

En mai 1873, Bismarck poussa l’adoption des lois anti-catholiques qui décrétaient que tous les séminaristes devaient être Allemands et formés dans des écoles allemandes ; la discipline devait être exercée par les seuls évêques allemands et approuvée par les tribunaux royaux pour les affaires religieuses ; les nominations ecclésiastiques devaient être approuvées par les gouverneurs régionaux ; les prêtres qui contrevenaient aux Lois de Mai seraient passibles d’amendes et d’emprisonnement.

Selon Steinberg, « les Lois de Mai étaient un scandale pour deux raisons. Elles violaient les droits des sujets garantis par la constitution prussienne et les principes d’une société libérale. Elles attaquaient la nature même de l’Eglise catholique romaine, « corps mystique du Christ incarné.»
Bismarck, qui avait crié à ses adversaires : « Nous n’irons pas à Canossa, ni physiquement ni spirituellement », en vint à regretter ces mots. Le brillant et obstiné dirigeant du Parti Catholique du Centre, Ludwig Windthorst, appela à la résistance passive aux Lois de Mai. Les archevêques de Paderborn et de Munster préférèrent la prison à la soumission. La condamnation du gouvernement par le Vatican et les mentions de Bismarck par le Pape comme un « Satan casqué » ou un « grand sorcier » encouragèrent les fidèles à résister.

Aux élections de 1874, le Centre doubla ses voix et obtint avec 1,493 million suffrages, le nombre record de 99 sièges au Reichstag. Ainsi affaibli, le gouvernement renonça à appliquer les lois anti-catholiques. Vaincu, Bismarck prit prétexte de la mort de sa Némésis, le Pape Pie IX, en 1878, pour négocier avec son successeur Léon XIII un Concordat qui élimina l’essentiel de la législation.

Le chancelier Bismarck qui, selon la conclusion de Steinberg, « représentait tout ce qu’il y a de brutal et d’impitoyable dans la culture prussienne », a engagé son pays sur la voie qui le mena à sa ruine. Après la chute du dernier chancelier du Reich, Adolph Hitler, les Alliés victorieux ont officiellement aboli la Prusse, si chère à Bismarck, parce que « depuis son origine, elle a été un facteur de militarisme. » Ultime ironie de l’histoire : la dernière loi anti-catholique de Bismarck, qui interdisait aux prêtres de professer des opinions politiques depuis la chaire sous peine de crime, a été abolie en 1953 par le Parti Démocrate-Chrétien au pouvoir sous la conduite de l’éminent dirigeant catholique Konrad Adenauer.