En 1977, j’ai écrit un livre intitulé « Bienvenue, quatre milliardième ! ». C’était la suite de « Dignité humaine et nombre d’humains », paru en 1971. Les deux livres traitaient de « l’explosion de population », cette supposée crise de l’époque. Nous allions nous retrouver démunis de toute ressource. Nous allions tous périr d’inanition dans le quart de siècle. Des politiques drastiques pour réduire la population furent proposées et souvent mises en application. Les bébés n’étaient pas bienvenus. La panique était générale. Le mouvement écologiste a débuté dans cette atmosphère de fièvre : « Sauvez la terre, et non pas les gens ! »
Ces prédictions de catastrophes imminentes étaient toutes fausses. Le désastre ne s’est pas produit. Dans « Apocalypse comme entreprise séculière » (The Scottish Journal of Theology – 1976), je soutenais que cette frénésie écologique découlait, non des faits, mais d’une délocalisation théologique du transcendant dans ce monde d’ici-bas considéré comme la seule et ultime destinée de l’homme (voir mon livre paru en 2011 « L’âge moderne »)
Bien plus, comme Julien Simon, Herman Kahn et d’autres l’ont affirmé à l’époque, avec certains développements cruciaux dans la culture des céréales, des ressources supplémentaires étaient disponibles. Toute l’attention portée sur ces problèmes nécessitait d’être réorientée. Le quatre milliardième enfant n’était pas un désastre. Sa naissance était plutôt un cadeau à accueillir. Pourquoi ? C’était précisément en ayant de nouvelles intelligences et de nouvelles demandes que nous avons appris à prendre soin de nous-mêmes, appris que le monde est bien plus riche que nous le pensions.
Nous sommes maintenant sept milliards sur cette planète. Généralement plus riches qu’aucune des générations qui nous ont précédés dans l’histoire. Pourquoi ? Nous pouvons (et nous le faisons) apprendre à nous occuper de nous-mêmes quand nécessaire. Le monde, contrairement à l’opinion des pessimistes, n’est pas un espace parcimonieux, à moins que nous ne choisissions de le rendre tel par notre folie. Quoi qu’il en soit, un demi-siècle après cette alerte à la surpopulation, la civilisation occidentale, par ses propres choix moraux, expérimente un déclin drastique de la population. Pourtant le savoir de l’homme sur tout ce qui le concerne et sur le monde qui l’entoure n’a jamais été aussi développé.
D’ici environ cinquante ans, nous attendons une population mondiale de neuf milliards d’habitants. Devons-nous de nouveau appuyer sur le bouton d’alerte ? Ces remarques sont provoquées par un documentaire sur la population mondiale que j’ai vu le 21 juillet. J’ai cru d’abord que cette analyse était une reprise de la fameuse « Bombe de population » de Paul Ehrlich. Accompagnés d’un commentaire inter-disciplinaire, des graphiques étaient présentés, prédisant que la population mondiale allait atteindre entre neuf et onze milliards d’ici quelques décennies.
Mais cette présentation n’était pas faite sur le mode catastrophe – comme l’est si souvent l’écologie. Il soutenait bien plutôt que les hommes avaient l’intelligence et la capacité de faire avec leur nombre croissant. Le documentaire explorait les changements dans l’agriculture, l’énergie et les ressources. Nous avons réellement la capacité de nous occuper de ces choses. Il y a bien longtemps, George Gilder enseignait déjà que la richesse ne consiste pas d’abord en ressources mais en cerveaux.
Que pouvons-nous tirer de cette approche ? Premièrement, que l’écologie a une face totalitaire. La solution du conseiller papal Joachim Schnellnhuber est de réduire la population mondiale à moins d’un milliard. Tenter d’accomplir cet exploit légitime de vastes programmes d’avortement, de contrôle des naissances, d’euthanasie et autres « étapes » nécessaires du même genre. Si nous tablons a priori l’impossibilité pour l’humanité de faire face à ses propres besoins quand ils se présentent, nous devons imposer un contrôle sévère sur toutes les activités et valeurs humaines.
Ce qui manquait au documentaire, c’est de s’intéresser à l’objectif de l’homme. Les scientifiques savent que le soleil s’éteindra. L’objectif de l’homme est-il de se maintenir à flot dans l’espace aussi longtemps qu’il sera possible ? Qu’est ce qui fait la différence, si les ressources sont limitées comme beaucoup l’affirment, que nous les utilisions rapidement ou petit à petit ? Au final, le même nombre de gens aura été entretenu.
Mais si le monde et ses ressources, humaines et naturelles, existent en vue d’un objectif autre que simplement tourner dans l’espace, on peut concevoir une autre finalité pour l’homme. Notre monde est prévu périssable. C’est une place temporaire où chacun de nous négocie son but transcendant ultime. Nous n’avons pas ici de cité durable. L’écologie veut la faire durable en contrôlant les effectifs et les activités.
Il existe un meilleur moyen. La principale raison pour laquelle nous serions incapable d’entretenir tout le monde, et tout particulièrement les pauvres qui restent, n’est pas le manque de ressources ou de moyens pour entretenir de plus grands effectifs de notre espèce dans des conditions de vie plus humaines. Cela provient de théories gouvernementales et environnementales qui déclarent avec insistance que nous ne pouvons rien faire d’autre que nous limiter à un faible nombre de privilégiés et à leur descendance réduite, et cela d’âge en âge, sans autre projet que de maintenir la terre à flot.
Il n’y a pas de bonnes raisons qui empêchent une population de neuf milliards de prospérer. Le projet de faire vivre indéfiniment notre espèce sur cette planète est un projet transcendant. Le monde finira au moment choisi par Dieu, avec probablement plein de ressources encore disponibles. Sa fin a peu à voir avec la façon de prendre soin de la planète, mais tout à voir avec la façon dont nous vivons dessus.
James V. Schall, S.J., qui a été professeur durant 35 ans à l’université de Georgetown, est l’un des écrivains catholiques les plus prolifiques d’Amérique.
Illustration : bienvenue !
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/08/04/welcome-number-9000000000/