Aveuglement devant la fadeur - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Aveuglement devant la fadeur

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« En voulez-vous un tout simple, ou un décoré d’un petit bonhomme ? »

Oui, le client voulait acheter un crucifix. Il ne voyait sur le visage de la jeune vendeuse aucune trace de mordant, pas d’expression désabusée, drôle ou ironique, ni aucune autre manifestation d’humour – Cela se passait dans un magasin catholique de livres et de gadgets. Elle semblait inconsciente du fait qu’elle venait de porter la sottise à un degré presque sublime.

Ma propre plainte à propos de ces marchés religieux – toujours moins de livres, et des objets toujours plus fabriqués à l’économie – peut être connue d’avance. Il semble qu’elle soit en l’occurrence hors de propos.

J’ai choisi cette anecdote (que je n’ai que de seconde main), parce qu’elle m’a fait rire. Plus tard, je me suis demandé si Notre Seigneur aurait ri avec moi. Peut-être pas.

Il y a une loi qui interdit aux institutions catholiques de n’employer que des catholiques, du moins ici dans le grand nord totalitaire, aussi je suppose que la vendeuse n’était pas catholique, ou chrétienne ou…n’importe quoi. L’image mentale que je me suis faite d’elle aussitôt était probablement elle-même tout à fait illégale. Nous avons ici une législation sur les droits de l’homme par laquelle n’importe qui peut être poursuivi en justice pour particularisme.

(« Le problème avec les stéréotypes, c’est qu’ils sont tous vrais » a marmonné un jour un socialiste de ma connaissance dans un moment d’exaspération. Hooo, ce que cela a dû lui coûter !)

Mais j’écris pour un site Web américain ; je prends le risque.

Ce que nous considérions comme acquis ne peut plus être considéré comme tel. Nous savons tous cela, bien que parfois, « dans des moments de gâtisme » nous pouvons l’oublier.

Cela va au-delà des questions de droit. Nous ne pouvons pas sans risque considérer qu’une personne au-dessous d’un certain âge – avec ou sans doctorat de philosophie – ait la moindre idée de ce qui a pu arriver dans le monde avant sa naissance. (Ou même de ce qui a pu arriver depuis, en fait.)

Et alors quoi ? Le monde avance monsieur, et il vieillit, et notre condition avancée de décadence n’est pas réservée aux affaires ecclésiastiques.

Rien qu’hier, perdu dans un grand magasin qui semblait vendre tout, sauf la chose très simple que je cherchais, j’ai été obligé de me rappeler un petite vérité. Avec le triomphe du capitalisme libéral avancé et d’Internet, il n’est plus nécessaire d’employer du personnel qui ait la moindre connaissance de ce qu’il va vendre. « Le progrès » a changé tout cela, et à part quelques spécialistes techniques, tout peut être fait par des zombies payés au smic. (Ou, comme je préfère les appeler, « l’électorat ».)

Franchement, je crois à la loi de l’offre et de la demande, comme je crois à celle de la pesanteur. Les deux croyances se combinent en une vision du plus petit commun dénominateur vers lequel nous sombrons irrémédiablement.
Et c’est à ce monde-là que nous prêchons maintenant une histoire extraordinaire de vie et d’amour ; de péché et de rédemption ; de mort transcendée.

Heureusement, quand nous invoquons sincèrement Notre Seigneur, nous recevons l’aide de forces invisibles. Mais comme Saint Paul l’a expliqué, nous travaillons aussi contre d’autres forces invisibles : puissances et principautés ; princes des ténèbres ; esprits du mal.

Il y a près d’Ottawa, à Belle Corners, une petite église paroissiale sous le patronage de Saint Martin de Porrès. Elle a été cambriolée cette semaine. Les voleurs ont pris le tabernacle avec le Saint Sacrement, ils ont cassé ce qu’ils pouvaient, et aspergé le reste d’obsénités anticatholiques avec une bombe de peinture.

Ce n’est pas un incident isolé. Ce type d’attaques est devenu de plus en plus courant. Ils y gagnent un reportage médiatique minimum, pour une raison que moi, dans mon expérience de journaliste, je comprends parfaitement. C’est parce que ce type d’incidents contredit ce que les média ont toujours « rapporté » – que le monde est devenu indifférent à la religion chrétienne ; qu’il considère que l’Eglise catholique en soi est un « non sujet ».

Le monde peut souvent être indifférent, et en fait totalement ignorant de la religion chrétienne, mais le Prince de ce monde lui, n’est pas indifférent.

De plus, ignorance et méchanceté agissent de concert. Dans ce cas précis, le seul reportage médiatique que j’ai pu trouver présentait cet évènement comme un simple cambriolage avec vandalisme – comme si les coupables avaient fait effraction dans un magasin pour voler des objets de valeur, et laissé du désordre. Les détails les plus révélateurs que j’ai fournis, ont été omis.

Une fois de plus, cela ne me surprend pas. De par mon expérience des centres de presse, je peux dire que la plupart des journalistes, y compris ceux qui ont été autrefois baptisés dans des églises catholiques, n’ont pas la moindre idée de ce qu’est le Saint Sacrement. Ils pensent à l’Eglise de façon très vague, comme à quelque chose qui est « du mauvais côté de l’histoire ».

Ils ne pourraient pas non plus comprendre l’idée de « l’ignorance invincible »- alors même que leur âme immortelle pourrait en dépendre entièrement.
Dans mon supermarché local, il y a une marque de biscuits appelée : « Décadent ». On comprend qu’ils contiennent plein de pépites de chocolat. La conception publique de la décadence est elle-même devenue tout à fait décadente.

De même, le terme « méchant » survit, dans l’usage populaire, mais seulement pour désigner les sources probables du plaisir physique. On l’emploie aussi bien pour désigner le plaisir du goût que le plaisir sexuel. Ce fait à lui seul nous en dit long sur la profondeur de la dépravation qui se cache sous ce qui paraît extérieurement complètement neutre.

Comme l’enseigne l’Eglise, en effet, et comme elle l’a fait depuis des siècles, l’être humain n’est pas incolore, inodore et sans saveur. Un moment il baille son indifférence ennuyée. L’instant suivant, il vous tue. L’ignorance et le mal se soutiennent mutuellement.

La magnifique, mais aussi horrible vérité, c’est que les êtres humains ne peuvent pas rester à la surface des choses. Nous essayons ; tout autour de moi, je vois des gens qui essayent. Mais il n’est pas en notre pouvoir de nous en sortir.

A mon avis, c’est une erreur catastrophique d’adapter l’enseignement de l’Eglise à ce qui est superficiel : d’en faire quelque chose d’ordinaire et d’accessible, qui fait du bien et qu’on n’a qu’à prendre sur le rayon, comme n’importe quel autre produit du marché. Tel quel, il peut se « vendre », mais du coup, il peut aussi être jeté comme tout ce qu’on trouve dans ce marché.

L’Eglise ne peut pas être fade. Elle appartient au Christ, à l’image de Qui nous avons été créés, et la fadeur n’a jamais été dans son répertoire. Notre marchandise n’est pas banale. Dessus, il y a un petit bonhomme.

Traduction de « Blindness to blandness », http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/blindness-to-blandness.html