Plusieurs Etats européens, militairement engagés dans la guerre en Afghanistan, sont plus ou moins en butte à l’hostilité de l’opinion publique. En France, l’opposition de gauche refuse de se mobiliser.
Voici une quinzaine d’années, la classe politique française et les médias célébraient à l’unisson la naissance de la « démocratie d’opinion » exprimée par les sondages. Expérience faite, il est clair que le gouvernement, les grands partis et les directeurs de la presse écrite et télévisée font un tri dans les enquêtes d’opinion comme dans les événements.
La participation des troupes françaises à la guerre en Afghanistan fait partie de la longue liste des questions qui ne sont pas disputées dans l’espace public classique. Certes, la mort de dix soldats français dans l’embuscade d’Uzbin en août 2008 a été largement médiatisée – mais sans que l’engagement militaire français soit ouvertement débattu. Pourtant, toutes les enquêtes montrent que l’opinion française est, dans sa majorité, aussi hostile à cette guerre que les Britanniques.
Un événement survenu récemment aurait pu lancer le débat : la chute du gouvernement de Peter Balkenende, le 21 février aux Pays-Bas. Mais ce fait important, à peine signalé en France, est déjà oublié. La campagne pour les élections régionales, qui a surtout porté sur des sujets nationaux (« identité nationale », Islam), donnait à la gauche socialiste et communiste une occasion de mettre le gouvernement et l’Elysée dans l’embarras. Mais la gauche classique reste muette.
D’ordinaire, l’extrême gauche, traditionnellement antimilitariste, et les Verts, pacifistes, lancent les mouvements anti-guerre. Tel fut le cas pour ce qui concerne l’Afghanistan. Mais les campagnes d’affichage et une ou deux manifestations de rue se sont traduites par des échecs. Puis la rivalité entre l’organisation dirigée par Olivier Besancenot et le Front de gauche (Jean-Luc Mélenchon et les communistes) a chassé les préoccupations afghanes des esprits contestataires.
Face à une droite tout entière rangée derrière le président de la République, les socialistes sont maîtres de la décision pour ce qui concerne une campagne contre la guerre en Afghanistan. Or ils ont manifestement décidé de ne rien faire, en ponctuant cette inaction de quelques demandes de débats parlementaires et de déclarations critiques. C’est ainsi que Jean Glavany, dans un intéressant dossier publié par Le Monde (27-2), dénonce les échecs politiques et militaires de la Coalition (élection présidentielle ratée, corruption du pouvoir, échec de la lutte contre la drogue, enlisement militaire) mais sans en tirer la moindre conséquence : ce dirigeant socialiste, naguère proche de François Mitterrand, se prononce pour un règlement négocié du conflit sans que les lecteurs en sachent plus sur les éléments de cette négociation et sur les moyens d’y entraîner les insurgés.
Cette prudence (ou cette inertie) tient d’abord au fait que l’engagement de notre pays dans la guerre en Afghanistan avait été conjointement décidée par Jacques Chirac et par Lionel Jospin – comme d’ailleurs la guerre menée contre ce qui restait de la Yougoslavie en 1999. Les socialistes ne veulent pas se renier en menant campagne contre le retrait des troupes françaises.
La deuxième raison tient à leurs incertitudes et à leurs divisions internes quant aux conditions politiques et militaires de ce retrait. Ils préfèrent différer au maximum leurs éventuelles réponses, ce qui signifie qu’ils se refusent à modifier le cours d’événements qu’ils jugent pourtant négatifs.
La troisième raison, plus générale, est que le Parti socialiste a tendance à se désengager des questions internationales et des questions politiques décisives (avenir de l’Europe, solutions économiques et monétaires à la crise) pour se concentrer sur la gestion des collectivités territoriales, loin, aussi loin que possible, de Kaboul, de Téhéran, de Washington et de Pékin.
Privés de tout relais politique, les opposants à la guerre sont à la fois majoritaires et marginalisés, ce qui arrange l’ensemble de la classe politique.
Alice TULLE