Commençons par deux petits traits de sagesse :
Le fils : Tous les hommes qui ont été ordonnés avec moi semblaient penser que l’art de prêcher leur viendrait tout naturellement.
Le père : Alors, je plains leurs paroissiens !
Chanoine Twells, Colloques sur l’art de la prédication
« Je crois à l’existence d’un prédicateur vraiment, comme je crois à l’existence de la Comète de Halley, qui arrive en vue de la terre environ tous les soixante-dix-sept ans. »
Philippe Brooks, Conférences sur l’art de la prédication.
Dans une longue série de terribles homélies, l’autre jour, j’en écoutais encore une, mal préparée, livrée impromptu, assortie de l’inévitable histoire personnelle qui n’a rien à voir avec les lectures du jour. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser à mon ami calviniste qui, pendant à peu près toute sa vie, a eu le bonheur de bénéficier d’une tradition sérieuse de prédication. S’il décidait un jour de rejoindre l’Eglise catholique, comme certains d’entre nous le voudraient bien, il sacrifierait en homélies, l’équivalent des sonates de Bach – bien construites, belles, profondes – pour quelque chose qui ressemblerait à du mauvais hip-hop, joué par un mec blanc un peu ringard qui n’aurait aucun sens du rythme. Cela équivaudrait, en ce qui concerne les homélies, à renoncer à la messe de Mozart pour la remplacer par une messe à la guitare, à l’église saint Louis des Jésuites.
C’est douloureux. C’est embarrassant. Mais nous ne devons pas nous plaindre. Donc, je ne me plaindrai pas. Je vais faire pire : je vais faire une suggestion.
Il faut reconnaître d’abord et en premier lieu, que prêcher est difficile. Parler en public, en soi, est difficile, mais le faire en y ajoutant la complication d’avoir à dire quelque chose d’intelligent à propos d’un des livres les plus compliqué théologiquement, et profond spirituellement qui ait jamais été écrit, est une tâche qui dépasse simplement les capacités de presque tout le monde.. Je sais que j’en serais incapable, jour après jour, semaine après semaine.
Un jour, un de mes amis m’a réprimandé, disant : « Smith, tu voudrais que chaque prêtre soit un autre Thomas d’Aquin. »
« C’est un peu injuste », me suis-je dit, « mais ce n’est pas une mauvaise idée. Mais, dis-moi encore: Pourquoi n’aurais-je pas le droit de vouloir cela ? »
« Parce que, réfléchis, c’est un truc impossible » me répondit-il, « Ton prêtre de base n’est ni un philosophe, ni un théologien de génie ; il n’est qu’un type sympa qui a reçu une éducation de base, et qui essaye de dire quelque chose de sensé à un groupe de personnes qui n’est pas particulièrement intéressé par ce qu’il a à dire. »
« C’est tout à fait juste, » ai-je pensé, « mais vous n’avez pas besoin d’être un philosophe de génie pour faire mieux que des tentatives d’humour boiteuses et des récits d’ histoires personnelles, semaine après semaine, à propos des étranges habitudes qu’ont les adorables enfants de votre sœur, ou de l’année où vous êtes allé en camp d’été et avez marché seul dans le noir, ou encore de la pauvre femme malade à qui vous avez rendu visite tandis qu’elle gisait , mourante, un soir, évènement qui s’est révélé un don de Dieu pour votre vie spirituelle – et ainsi de suite, avec toutes ces petites anecdotes personnelles tandis que les textes de l’Evangile, de l’épitre du psaume, et de la lecture de l’ancien testament sont à peine mentionnés, et même parfois totalement inaperçus.
Que faire ?
Une réponse est de suivre le conseil que Saint Augustin donne dans le livre 4 de son œuvre : De la doctrine chrétienne, livre qui traite explicitement du prédicateur chrétien. Saint Augustin était lui-même un orateur superbe, bien sûr, et personne n’est tenu d’atteindre son niveau, pas plus que nous n’attendons de tous les compositeurs qu’ils atteignent le niveau de Bach ou de Mozart. Ce que Saint Augustin recommande à ceux qui ne sont pas de particulièrement bons prédicateurs, c’est au minimum de chercher à parler avec sagesse plutôt que d’être éloquent mais creux. Voilà un bon conseil.
Mais pour ceux qui n’arrivent ni à être sages, ni à être éloquents – et ceci concerne un nombre appréciable de prédicateurs – il recommande qu’ils lisent un sermon écrit par quelqu’un d’autre : « Si ces hommes prennent ce qui a été écrit avec sagesse et éloquence par d’autres, y appliquent leur mémoire, et le délivrent au peuple, on ne peut pas les blâmer à condition qu’il le fassent sans tromperie, car ainsi, ils finiront peut-être par devenir des prédicateurs de la vérité (ce qui est certainement souhaitable) ».
Alors, ce qu’on devrait mettre à la portée des prêtres, dès que possible, c’est un recueil de sermons contenant une sélection des grandes homélies de l’histoire, éditées et adaptées pour leur permettre de meubler environ vingt minutes, ce qui est le cadre acceptable pour une assemblée paroissiale catholique. Un prêtre ne pourrait pas lire une homélie entière d’un des grands prédicateurs tels que Saint Augustin, Saint Jean Chrysostome ou le bienheureux Henry Newman : toutes sont trop longues. Mais un éditeur avisé pourrait faire des coupures judicieuses, et fournir un volume d’une sélection de quatre ou cinq sermons pour chaque dimanche, suivant un éventail de styles rhétoriques : du grandiloquent au plus ordinaire et au plus simple.
L’objection évidente à cette proposition, est qu’ainsi, les prêtres n’apprendraient jamais à prêcher par eux-mêmes. Mais non. Saint Augustin prévoit cette objection et répond : « de même que les petits enfants ne peuvent apprendre à parler qu’en apprenant les mots et les phrases de ceux qui parlent déjà, pourquoi les hommes ne pourraient-ils pas devenir éloquents sans qu’on leur enseigne l’art du discours, simplement en lisant et en apprenant ces sermons d’hommes éloquents, et en les imitant le plus possible. …Nous en connaissons plusieurs qui, sans avoir appris les règles de la rhétorique, sont plus éloquents que beaucoup qui eux, les ont apprises ; mais nous ne connaissons personne qui soit éloquent, sans avoir jamais lu ou entendu des discours ou des débats d’hommes éloquents. » Après avoir lu pendant quelques années, semaine après semaine, de grands sermons, le prédicateur peut apprendre à imiter le style de ce qu’il a lu comme il peut s’imbiber de la sagesse qu’ils contiennent.
Ce pourrait être un grand rite de passage : un prêtre, après de nombreuses années d’apprentissage consciencieux de l’art de prêcher par les plus grands maîtres de l’art, est finalement diplômé par un jury d’experts, et peut prendre sa place parmi ses prédécesseurs, et prêcher ses propres sermons.
Et pendant ce temps-là, ses paroissiens n’auront pas à écouter semaine après semaine des idioties sans aucun sens, et lui peut passer du temps à faire des choses qu’il fait bien. Tout le monde y gagne.
le 4 novembre 2015
Gravure : « Saint Augustin prêchant », d’après Carle van Loo, c. 1755 [Notre-Dame-des-Victoires, Paris]
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/11/04/in-search-of-better-homilies/





