A l'écoute de Thomas Merton - France Catholique
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A l’écoute de Thomas Merton

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En juillet dernier, j’ai fait une retraite avec les trappistes à l’Abbaye Notre-Dame de Gethsémani dans le Kentucky, probablement la dixième retraite que j’y ai faite depuis que j’ai frappé à la porte de la maison d’hôte alors que j’étais étudiant dans les années 80.

A peu près à cette époque, quelqu’un m’avait donné un vieux livre de poche de « The Seven Storey Mountain » (en français, La nuit privée d’étoiles) le célèbre récit de conversion par le moine le plus célèbre de l’abbaye, Thomas Merton. Et j’ai été, en dépit de scrupules occasionnels, de parti pris pour Merton depuis cette époque.

Après cette première visite, j’ai pillé les nombreux livres de Merton, la sorte de lecture zélée que son œuvre suscite une fois qu’on a été touché par le virus. C’est un bon compagnon pour les jeunes gens ayant un faible pour Thoreau. Le mois passé marquait le 50e anniversaire de la mort de Merton, ce qui l’a remis dans mes pensées.

Au cours des années, j’ai eu le plaisir de faire la connaissance d’un moine de Gethsémani, le père Paul Quenon, qui a intégré le monastère au sortir du lycée et s’est trouvé immédiatement sous la direction du maître des novices, Thomas Merton. (Imaginez : un jeune homme entre au monastère au lieu d’aller à l’université et se retrouve principalement avec Thomas Merton comme professeur et conseiller.)

Quiconque souhaitant savoir comment était Merton durant ces années (1958-1968) peut maintenant trouver des anecdotes profondément éclairantes dans l’autobiographie prolifique du frère Paul : « In Praise of the Useless Life : A Monk’s Memoir » (Louange d’une vie inutile : autobiographie d’un moine). Car le frère Paul, comme son vieux maître des novices, est un poète largement publié dont le talent lyrique nourrit la prose. (Le meilleur échantillon de son œuvre est : « Unquiet Vigil : New and Selected Poems » (Veille inquiète : nouveaux poèmes choisis).

Je me suis souvent demandé ce que ç’aurait été de converser avec Merton, comment il aurait modulé sa voix ou comment il aurait fait comprendre un point. Je me suis demandé comment il aurait fait des conférences aux moines. Solennellement ? De façon décontractée ?

Mais il y a quelques années, le frère Paul m’a rappelé que beaucoup des conférences que Merton à données à Gethsémani ont été systématiquement enregistrées sur un vieux magnétophone à bande depuis environ 1962 jusqu’au dernier voyage de Merton en Asie. Et c’était souvent le frère Paul lui-même qui appuyait sur le bouton d’enregistrement.

Ces bandes sont conservées à Bellarmine University à Louisville, qui héberge également le centre Thomas Merton. Et maintenant une firme nommée « Now You Know Media » a édité un CD de conférences de Merton sur des sujets divers, nature des vœux monastiques, théologie mystique, prière contemplative, littérature moderne et contemporaine.

Ces conférences donnent un éclairage explicite sur Merton l’enseignant. Et ce que nous voyons c’est que aussi subversif et hétérodoxe qu’il ait pu se faire paraître dans ses écrits publiés, quand il parlait aux moines de sujets élevés et fondamentaux, il tenait le cap bien mieux que ne le supposaient ses critiques. Il appréciait les détails – les noms, les dates, les idées étoffées. Il préférait que les moines sachent quelque chose et qu’ils se se contentent pas de quelques miettes d’information minimaliste sur quelque sujet que ce soit.

Néanmoins, on doit être averti que ces conférences, même quand reliées par thèmes – une série sur les Pères latins ou les douze degrés d’humilité ou la poésie ou Faulkner par exemple – ne sont pas des « cours » au sens littéral du terme. Merton était trop digressif, trop prêt à flâner sur des chemins de traverse intéressants alors qu’en route vers un un plus grand point. Mais c’est ce qui donne de la valeur aux conférences et qui les rend plaisamment divertissantes plus souvent qu’à leur tour. Pas mal de gens sont intéressés à s’étendre quel que soit le sujet.

Une découverte délicieusement surprenante pour moi est venue d’une remarque faite en passant par le frère Paul qui a révélé une déclaration faite un jour par frère Louis (le nom sous lequel Merton était connu au monastère) durant ces jours exaltants où se tenait à Rome le concile Vatican II. Merton disait que saint Thomas d’Aquin était un théologien que quasiment plus personne ne lisait tant il était tombé en désuétude – un fait, disait Merton, qui donnait aux moines une excellente raison de le lire.

Un petit ensemble de causeries sur Les chemins de Dieu, une œuvre attribuée à Saint Thomas d’Aquin, révèle que Merton, même pendant les années 60, gardait un profond respect pour saint Thomas et pour les scolastiques en général. Une découverte bienvenue et que les détracteurs de Merton ne soupçonneraient naturellement pas. Et il y en a d’autres. (Il citait parfois librement le latin, souvent sans même traduire mais en indiquant charitablement le sens.)

Il y a aussi, c’est notable, une bonne dose de rire. Merton pouvait être loufoque. Il savait comment raconter une bonne blague – souvent à ses propres dépens – et avoir des appréciations chaleureuses ; il n’avait pas le comportement d’un homme qui se prend trop au sérieux. Et il pouvait être prophétique, même au sujet de petites choses : il a un jour déclaré au pied levé que la musique des Beatles serait probablement considérée comme très bonne dans cinquante ans et, comme nous le savons, cinquante ans plus tard, il avait raison.

Mais quel que soit son sujet, temporel ou d’éternité, Merton était toujours en train d’aider les moines à voir la petite flamme bleue du sens couvant dans toute image ou assemblage de mots : notez ceci et notez-le bien – ne négligez pas ce qu’il y a ici au centre. Tout professeur peut apprendre de sa méthode.

Il est toujours agréable de s’éloigner d’un stéréotype. De toute évidence, Merton était davantage libre penseur et orateur imprécis que ne l’ont encouragé, ou même accepté, des siècles de tradition cistercienne et trappiste, et ce trait l’a quelquefois mis dans la panade. Mais je trouve que je n’ai jamais fini d’écouter une conférence sans imaginer ce que la nouvelle de la mort de Thomas Merton dans la lointaine Bangkok par une froide journée de décembre 1968 a représenté pour ceux qui respectaient fidèlement la liturgie des heures au monastère, ceux qui l’avaient connu et aimé et avaient appris de lui depuis si longtemps.


Tracy Lee Simmons, un nouveau contributeur est l’auteur de « Climbing Parnassus : A New Apologia for Greek and Latin » (Gravir le Parnasse : une nouvelle apologie du grec et du latin). Contributeur de « National Review », il enseigne les lettres au Westover Honors College à l’université de Lynchburg.

Illustration : Le frère Merton en compagnie de novices

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/01/24/on-listening-to-thomas-merton/