Une fête chrétienne libérale des sentiments - France Catholique
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Une fête chrétienne libérale des sentiments

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Christopher Dawson (1889-1970)

Christopher Dawson (1889-1970)

En 2013, Ross Douthat a publié Bad Religion, un livre qui faisait valoir que le christianisme américain avait perdu son chemin au cours des six dernières décennies. À travers les séductions de l’évangile de la prospérité et la mentalité thérapeutique qui place l’estime de soi au centre de toutes les questions éthiques, le christianisme a trahi ses vérités anciennes et authentiques. Ce sont de véritables hérésies, comme les appelle Douthat, bien sûr. Mais, mon premier réflexe a été de demander : « Alors vous pensez que la religion est devenue mauvaise ? »

L’historien anglais de la philosophie et converti catholique Christopher Dawson a lancé une collection de courts livres appelés Essays in Order en 1931. Il a commencé par noter que la civilisation occidentale était déjà chancelante. En fait, qu’elle s’était déjà effondrée. Sa collection était fondée sur la conviction qu’il était temps pour nous de commencer à penser à reconstruire la civilisation à partir de ses fondations.

En présentant la collection, non seulement il reconnaît le déclin de l’Occident, mais il souligne également qu’un renouveau international catholique a commencé – qui est en fait déjà vieux de plusieurs décennies. Ses principaux penseurs publiaient des essais sur le rétablissement de l’ordre. Parmi ceux qu’il a publiés, il y a Jacques Maritain, Carl Schmitt et Theodor Haecker.

Il est très intéressant de voir comment Dawson décrit l’effondrement et pourquoi il pensait que les catholiques pouvaient semer les graines d’un nouvel ordre social. Comme converti, Dawson a compris par expérience le déclin de la « mauvaise religion ». Le protestantisme qu’il connaissait avait, au fil des générations, abandonné sa substance dogmatique, théologique et métaphysique au profit de la simple morale.

Il avait raison. saint John Henry Newman a parlé, dans sa vieillesse, de toute sa vie de combat contre le libéralisme dans la religion. Par cela, il entendait une compréhension de la religion comme vérité privée, ou opinion, plutôt que comme dogme public. Newman et Dawson ont tous deux vu avec clarté que de nombreux protestants modernes en étaient venus à considérer la religion comme privée parce qu’ils l’avaient d’abord réduite à un simple « sentiment moral ». La foi religieuse est désormais considérée comme enracinée dans les sentiments plutôt que dans l’intellect. Il ne convenait de se prononcer que sur des questions de bonté ou de morale, et non sur la vérité ou la réalité.

Newman insiste catégoriquement sur ce qu’il appelle le « principe dogmatique ». La religion est fondamentalement une révélation de vérités dogmatiques auxquelles nous devons consentir, ou ce n’est rien du tout. Et pourtant, le vocabulaire d’une grande partie des écrits de Newman montre que son propre idiome naturel consiste à parler de la religion en termes de sensations et de sentiments, comme s’il s’agissait principalement d’une partie de la vie morale. Il voyait assez bien les filets, mais il ne parvenait pas toujours à les éviter.

En 1931, Dawson bénéficia des expériences de Newman, ainsi que du travail de ceux qui, comme il le prétend, constituaient déjà un renouveau intellectuel catholique mûr. Parmi eux, Jacques Maritain et ses vastes expositions de saint Thomas d’Aquin, qui ont beaucoup contribué à façonner les esprits de deux générations.

De l’avis de Dawson, le Christ que les protestants libéraux proposaient est venu nous enseigner « d’aimer notre prochain » et non nous initier à des mystères mystérieux comme la vie intérieure de la Trinité ou l’analogie de l’être créé avec Dieu comme être incréé. L’injonction d’être bon était tout ce qui restait.

De l’avis de Dawson, la religion ne pouvait pas survivre en tant que simple morale ; notre vision des types d’actions qui sont bonnes pour nous ne peut être connue que si nous avons d’abord déterminé dans quel but ou à quelle fin nous – en tant qu’êtres spécifiques – sommes ordonnés. Dans les années 1930, Maritain a soutenu :

« Il faut donc savoir ce qu’est l’homme : ce qui est l’office de la métaphysique et même de la théologie. L’éthique, que nous pouvons considérer comme la rationalisation de l’usage de la liberté, suppose la métaphysique comme préalable indispensable. L’éthique ne peut se constituer que si son auteur est d’abord en mesure de répondre aux questions: qu’est-ce que l’homme ? Pourquoi est-il fait ? Quelle est la fin de la vie humaine ? » (La liberté dans le monde moderne)

Ce qui compte pour moi en tant qu’action morale découle du genre d’être que je suis – dans le langage d’Aquin, du genre de forme que j’ai. Et la forme, à son tour, découle de la fonction, du but ou de la fin appropriée.

Maritain n’a pas hésité à répondre à ces questions métaphysiques : « L’homme est un être métaphysique, un animal qui nourrit sa vie de transcendantaux. » Nous sommes par nature nés pour la contemplation de la vérité, de la bonté et de la beauté, et par le biais de ces trois « transcendantaux », nous sommes appelés à notre accomplissement dans la contemplation de Dieu.

Dans un autre livre, Essai sur la philosophie chrétienne, Maritain explique les implications éthiques de cette métaphysique. Le christianisme propose que l’homme ne trouve sa véritable fin que dans la jouissance contemplative, l’amitié éternelle de Dieu. Le moindre morceau de notre moralité dépend de cette conclusion sur notre but et notre destin.

Si les chrétiens perdent de vue la métaphysique, la morale pourra bien rester en place pendant un certain temps. Mais, encore une fois, ce ne sera peut-être pas le cas. Notre vision de ce pour quoi nous sommes peut changer ou s’altérer, de manière totalement inaperçue. Glissant de cette hauteur transcendante où, comme Moïse, nous pouvons espérer converser avec Dieu, elle pourrait progressivement descendre encore plus loin jusqu’à atteindre le niveau du temps présent, et déclarer que les sensations et les sentiments de ce monde sont tout ce que nous pouvons savoir du paradis.

Ce sont précisément des exemples de mauvaise religion de Douthat. Bien avant les années 1950, une grande partie de la chrétienté avait perdu de vue notre fin propre et ne se souciait que de maintenir une « bonne conduite ». Indépendamment du dogme, la bonté elle-même était mise à la dérive. « Aimer son prochain » ne signifie pas littéralement, pour de nombreux chrétiens maintenant, ce que cela signifiait pour leurs ancêtres.

En traitant comme un dogme superflu ce qui était, en réalité, la vérité essentielle du christianisme, le christianisme a d’abord perdu le but de sa dimension morale, puis il a fondamentalement modifié le contenu de sa morale. Hélas, il y a des moments où la religion catholique semble moins la source d’un renouvellement de l’ordre moral, comme l’espérait Dawson, et plus un invité tardif à la fête chrétienne libérale des simples sentiments.