Un compte-rendu neutre de Pâques ? - France Catholique
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Un compte-rendu neutre de Pâques ?

Traduit par Bernadette Cosyn

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L’autre jour, un prêtre mentionnait à juste raison dans son homélie que les Evangiles n’étaient pas des biographies dues à un « observateur neutre ». Ils ont été écrits dans une perspective de foi, pour transmettre cette foi aux autres. Jean confesse qu’il a écrit son Evangile « afin que vous puissiez croire que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et que, en croyant, vous puissiez avoir la vie en Son nom. » (Jean 20:31)

Il n’y a pas de scandale là dedans, et le prêtre ne le suggérait pas. Il est utile de distinguer des textes qui ont des objectifs différents. Vous ne devriez pas confondre la description d’une noce faite par la mariée avec celle faite par un journaliste. Le compte-rendu exubérant de l’épouse n’est pas nécessairement « moins vrai » que le compte-rendu impassible du journaliste. Mais si vous prenez le compte-rendu de l’épouse pour celui du journaliste, vous pourriez vous étonner de voir le journaliste s’enthousiasmer pour les plus petites choses. Et si vous prenez le compte-rendu du journaliste pour celui de l’épouse, vous pourriez vous demander pourquoi une femme tout récemment mariée peut se montrer si froide concernant son propre mariage.

« C’est une question de perspective » disons-nous. Oui, effectivement. Quelle perspective ? Et étant donné le point de vue de cette personne, qu’est-ce qui semblera important ? Si le maire était au mariage et qu’il a fait des avances à une demoiselle d’honneur, un journaliste peut penser approprié de le mentionner. Et l’épouse non. Nous pouvons comprendre les deux points de vue.

Mais j’essaie de comprendre ce que pourrait être un observateur « neutre ». Les érudits emploient parfois ce mot comme si nous le comprenions. Je n’en suis pas si sûr. Nous avons tendance à penser l’observateur neutre comme quelqu’un qui n’a pas de préjugé et qui raconte l’histoire impartialement. Mais le premier point est-il seulement possible et le deuxième désirable ?

Considérons quelqu’un écrivant un récit historique des atrocités d’Hitler, Staline ou Mao. Qu’est-ce qui serait un récit « neutre » et « impartial » ? Si quelqu’un était capable d’écrire un récit neutre et impartial sur de telles horreurs, qu’est-ce que cela révélerait sur lui ? Qu’il est admirablement « neutre » ? Ou profondément sans cœur, sans une once de compassion ? Comment pourriez-vous être neutre relativement au meurtre systématique de millions d’êtres humains ?

Une personne dit : «  aujourd’hui je me suis levé, je me suis habillé, j’ai pris mon petit déjeuner, j’ai nourri mon perroquet, je suis allé au bureau, j’ai planifié l’extermination de 60 000 Juifs, je me suis fait couper les cheveux et je suis rentré pour souper. » Attendez ! Dirions-nous « 60 000 quoi ! » Nous ne serions pas rassurés si la personne répondait : « c’était juste l’une des activités de ma journée. J’essaie de regarder les choses d’un point de vue neutre. » Soit vous vous opposez au mal, soit vous l’autorisez à sembler « normal » – comme prendre le petit déjeuner.

Des biblistes modernes prétendent que leurs compte-rendus sont supérieurs à ceux des évangélistes parce que leur érudition est « neutre », et non écrite dans une perspective de foi. Ils parlent de ces récit comme si un point de vue neutre était possible.

Le Seigneur du monde s’est incarné, s’est sacrifié pour nous, a été crucifié, est mort et a été enseveli. Le troisième jour, il est apparu à ses disciples dans une chambre haute verrouillée. Un récit neutre dirait quoi ? « Quelques jeunes Juifs fervents déclarent avoir vu le mort dans une chambre haute. » Un journaliste pourrait ne pas vouloir donner immédiatement crédit au récit, mais nous nous étonnerions qu’il ne cherche pas à vérifier par lui-même.

Un homme reconnu mort est vu marchant de ci de là vivant, et cela ne mériterait pas une enquête ? Est-ce que cela ne serait pas comme un journaliste apprenant de sources fiables que des extra-terrestres ont atterri dans un champ du New-Jersey et partant à la place enquêter sur une histoire d’homme mordu par un chien dans le Queens ? S’il ne rejoint pas le champ du New-Jersey, cela ne peut que signifier qu’il n’a pas cru ce qu’il a entendu. Il n’est pas « neutre ». Il a déterminé qu’il ne s’était rien passé.

Pourquoi quelqu’un s’attendrait-il à ce que les écrivains aient un point de vue neutre sur l’apparition du Messie, le Fils de Dieu incarné ? Dieu vient en personne et les gens qui sont avec l’homme-Dieu sont supposés dire : « aujourd’hui, j’ai pris mon petit déjeuner, je suis allé travailler, j’ai parlé avec mes cousins, j’ai rencontré Dieu qui m’a dit de faire paître son troupeau, à midi j’ai mangé du poisson, je me suis planté une écharde dans le pouce, j’ai fait une promenade sur la plage… »

Qui voudrait écrire un truc pareil ? Et si quelqu’un le faisait, le verrions-nous comme quelqu’un « d’objectif » ou comme un idiot ne saisissant pas l’importance de l’événement ? Dirions-nous de lui qu’il a capturé la « vérité vraie » ? Ou qu’il l’a manqué à peu près complètement ? Ce récit « impartial » inspirerait-il des multitudes sans nombre et serait-il transmis de génération en génération ? Je gage que non.

Je suis toujours parti du principe que la réponse à un flot de bonnes nouvelles serait la joie. Etre « neutre » à ce sujet laisse entendre qu’on a entendu l’histoire mais manqué le sens. Ces lignes ne sonnent peut-être pas très joyeusement, mais au moins T.S. Elliot a compris quelque chose que les gens de notre époque manquent souvent à propos de la signification de Pâques :

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Le chirurgien blessé ploie l’acier

Remis en cause par une partie mal trempée

Sous les mains saignantes nous percevons

La compassion aiguisée de l’acte guérisseur

Résolvant l’énigme du graphique fiévreux

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Notre santé seule est la maladie

Si nous obéissons à l’infirmière agonisante

Dont le souci constant n’est pas de plaire

Mais de nous faire souvenir de nous, de la malédiction d’Adam

Et que notre maladie doit empirer pour pouvoir guérir.

.

La terre entière est notre hôpital

Subventionné par le millionnaire ruiné

Dans lequel, si nous agissons bien nous pourrons

Mourir du soin paternel absolu

Qui ne nous quittera pas mais nous préservera partout.

.

La fraîcheur remonte des pieds vers les genoux

La fièvre chante sur un fil électrique mental

Si je veux être réchauffé, je dois d’abord geler

Et trembler dans des feux purgatoriels glacés

Dont les flammes sont des roses et la fumée des ronces.

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Le sang qui s’égoutte comme seule boisson

La chair sanglante comme seule nourriture

En dépit de quoi nous aimons penser

Que nous sommes sains, chair et sang robustes –

De nouveau, en dépit de cela, nous appelons ce vendredi une bonne journée.

[extrait des Quatre Quatuors]

Randall Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint Thomas de Houston.

Illustration : « L’inspiration de Saint Matthieu » par Le Caravage, 1602 [chapelle latérale de l’église Saint Louis des Français Rome]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/03/28/a-neutral-account-of-easter/