Traductions bibliques et liturgiques - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Traductions bibliques et liturgiques

FC 978 – 27 août 1965

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La liturgie en français vient de poser avec une acuité particulière le problème des traductions de la Bible et de la Liturgie. Il est apparu que des traductions destinées à être lues à voix haute (à plus forte raison quand elles seront chantées) doivent répondre à bien d’autres exigences que celles destinées simplement à la lecture privée.

Que cette traduction publique du texte sacré s’imposât, un petit fait significatif l’a bien révélé. On nous disait, on nous dit parfois encore : dès lors que les fidèles avaient en main de bons missels, contenant une traduction claire, que fallait-il de plus ? Pourquoi tous ces changements ? Ceci aurait pu être discuté, mais n’aurait eu de valeur que si tous les fidèles avaient eu vraiment l’habitude de lire ce qui est dans leur missel, à supposer d’abord qu’ils fussent tous capables de s’y retrouver. La preuve que ces suppositions étaient bien trop optimistes, c’est le nombre de gens qui s’écrient : « Quel est donc ce nouveau Credo qu’on nous fait dire maintenant à la messe ? On n’en avait jamais entendu parler !… Décidément, c’est bien vrai qu’on nous change la religion !… » Or, ce « nouveau Credo » remonte exactement à l’année 325 pour sa plus grande partie, et les derniers compléments qu’il a reçus lui ont été ajoutés en 380. On l’a toujours chanté à la messe latine, depuis dix bons siècles… Mais personne, ou presque, apparemment, n’avait encore une vague idée de ce qu’il signifiait !

On fait des critiques aux traductions officielles. Elles ne sont pas parfaites, car il n’y a pas de traduction parfaite, mais on doit reconnaître leur très haute qualité. En particulier, ces traductions de l’ordinaire de la messe (à la seule exception du « Prends pitié », qui est d’une bien inutile maladresse) sont particulièrement heureuses : elles ont réussi en général à concilier la fidélité du texte original avec une langue simple, harmonieuse et parfaitement compréhensible à la seule audition. Pour qu’on en soit partout assuré, il faudra simplement que les officiants fassent l’effort de rééducation nécessaire. Une conséquence particulièrement néfaste du latin a été l’habitude, trop fréquente dans le clergé catholique, de ne parler qu’en bredouillant. L’effort à consentir est considérable, car on revient de loin. Il vaut la peine qu’on le fasse. Ceux qui ont une fois entendu des prêtres anglicans réciter ou chanter l’office, dans une cathédrale d’outre-Manche, savent quelle dignité incomparable les textes liturgiques traditionnels peuvent revêtir quand, bien traduits, ils ne sont pas moins bien prononcés.
Une des réussites les plus étonnantes de la liturgie anglicane est la traduction des oraisons-collectes en anglais. Le latin de ces textes, justement parce qu’il est si latin, ne se prête aucunement à une traduction littérale en langue moderne. Cranmer, l’auteur de cette traduction anglicane, a réalisé un chef-d’œuvre de fidélité au sens profond de l’original, dans une libre transposition, toute fidèle également au génie de la langue anglaise. Sans oser encore affirmer que la traduction française officielle de nos oraisons ait cette qualité, on doit reconnaître qu’elle est également, en général, une réussite exceptionnelle.

Je voudrais profiter de cette occasion pour attirer l’attention des lecteurs sur des exemples de traductions si bien faites qu’elles parviennent, non seulement à transmettre tout le contenu du texte original, mais à en faire un nouveau texte, d’une vie qui lui soit propre, qui ne sente pas, justement « le traduit », dans une fidélité cependant intégrale. Ce sont les traductions qu’une religieuse bénédictine, Mère Elisabeth de Solms, a données de toutes sortes de grands textes chrétiens, dans les récents volumes de cette collection de livres d’art religieux mentionnés souvent dans ces colonnes : « Les points cardinaux » (Zodiaque), préparés par des moines de la Pierre-qui-Vire.

Le dernier, Tympans romans, contient une traduction de pages de l’Enfer et du Purgatoire de Dante qui est d’une beauté et d’une simplicité dans la vérité difficilement égalables. Mais ce sont toutes les traductions de cette moniale, uniformément appliquées à des textes parmi les plus grands de toute la tradition chrétienne, qui montrent à l’évidence comment un texte longuement médité, vraiment assimilé, peut pleinement revivre dans une traduction. De telles traductions sont un témoignage si renouvelé à la tradition qu’on peut dire qu’ils la renouvellent elle-même.

Louis BOUYER