Tolle, lege - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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Tolle, lege

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Conversion de saint Augustin

Conversion de saint Augustin

© Musée Thomas-Henry

Note : Dans cet article, Robert Royal fait l’état des lieux de l’enseignement, en particulier de la lecture, aux USA. Les similitudes sont frappantes avec ce qui se passe en France.

[…]

D’immenses conséquences peuvent découler d’une lecture. Saint Augustin d’Hippone était un lecteur assidu mais généralement tourmenté et malheureux durant sa jeunesse. C’est seulement après avoir connu le grand archevêque de Milan, saint Ambroise, et après bien des errances qu’un jour à Milan, dans un jardin, il a entendu une voix mystérieuse – il n’a jamais pu en identifier la source – disant : « tolle, lege » (prends et lis). Il a saisi une Bible, l’a ouverte au hasard et a finalement trouvé la paix en tombant sur ce passage de Saint Paul :

Comportons-nous honorablement, comme il convient en plein jour, sans orgies ni beuveries, sans luxure ni débauche, sans querelles ni jalousie. Mais revêtez le Seigneur Jésus-Christ et ne cédez pas aux désirs de la chair. (Romains 13:13)

Augustin devait déjà être familiarisé avec l’idée de base. Mais éperonné par cette voix mystérieuse, il a lu quasiment comme un enfant dont les yeux s’ouvrent pour la première fois aux mots écrits.

Quand vous lisez ce que des « experts » érudits, déconnectés de l’enfant qui sommeille en eux, écrivent parfois, il devient clair qu’apprendre à lire et à écrire n’est pas une bénédiction sans mélange. Et pas uniquement sur des sujets moraux cruciaux comme l’avortement, mais également en ce qui concerne de nombreux faits récalcitrants, comme la différence biologique mâle-femelle, que notre non-culture actuelle essaie de réduire à la non-existence.

Même au niveau quotidien, le mot écrit est une épée à double tranchant. Quand G.K. Chesterton visitait l’Amérique, il a parcouru Broadway de nuit et s’est écrié :  « Quel splendide jardin de merveilles ce serait pour quelqu’un qui aurait le bonheur de ne pas savoir lire. »

Pourtant nous avons besoin de beaucoup de choses, des simples et des complexes, que nous obtenons par la lecture – si nous savons bien lire. Beaucoup de gens n’obtiennent pas ces choses. Le New York Review of Books (revue littéraire) […] vient de publier un éditorial surprenant détaillant les décennies désastreuses de l’enseignement du langage oral et écrit, différentes pratiques ayant pris la place de l’antique phonétique.

Les « méthodologies » nouvelles encouragent les élèves à deviner les mots et évitent de dire aux écoliers qu’ils se sont trompés (cela les peinerait). L’ancienne approche demandait de réels efforts, à la fois des enseignants et des élèves, lors des premières étapes, les plus cruciales, et faisait répéter les choses aux élèves jusqu’à ce qu’ils les aient assimilées.

Les résultats de ces [nouvelles] expérimentations sont là. En Amérique, soixante-sept pour cent des élèves de CM1 sont des lecteurs « peu compétents » – une formule typiquement bureaucratique qui sous-estime probablement le problème. Pour les enfants noirs du même âge, le pourcentage monte à 82%. La phonétique demandait plus d’efforts, mais fonctionnait manifestement.

Et ce n’est que pour les débuts. Nous nous inquiétons à juste titre à l’heure actuelle de ce que les élèves, de façon choquante, en sachent si peu sur l’histoire de l’Amérique, la Civilisation Occidentale, les bases de l’Ancien et du Nouveau Testament. Mais comment le pourraient-ils s’ils ne deviennent pas des « lecteurs compétents » ? Ou si leurs enseignants ont été endoctrinés dans des idéologies encore plus dommageables que des « méthodologies de lecture » déficientes ?

De ce breuvage de sorcière éducatif il résulte que les étudiants, depuis ceux qui qui ont arrêté avant le bac jusqu’aux diplômés des grandes écoles, grandissent dans la certitude qu’ils ont une bonne connaissance de notre civilisation, qu’ils considèrent comme un océan de maux observé sous la lorgnette de la Critical Race Theory (NDT : courant universitaire qui en est arrivé à voir partout une oppression par les Blancs) et de « l’intersectionnalité » (avec pour résultat que les deux renforcent mutuellement leurs revendications de victimisation en raison du racisme, du sexisme, de l’homophobie, de la transphobie, des micro-agressions, de la marginalisation etc.)

Ils regardent leur propre civilisation comme étant uniquement impérialiste, colonialiste, triomphaliste, sans même soupçonner son côté auto-critique – dérivant principalement du christianisme – sur toutes choses allant de l’esclavage à l’exploitation économique. Le mot précis étant absent, ils sont complètement inconscients de ce que la poursuite du pouvoir, sous le masque de notions vagues telles que « l’équité », remplace inévitablement la poursuite de la vérité.

C’est la Semaine des Écoles Catholiques. Mais la mission actuelle des écoles catholiques est d’affronter l’état actuel de la culture. Beaucoup d’entre nous ressentent que nous sommes dans quelque chose s’apparentant à des temps apocalyptiques. Nous pouvons espérer et prier que ce ne soit qu’un ressenti passager découlant de plusieurs crises simultanées dans l’Église et dans le monde.

Mais il vaut la peine de se rappeler que, contrairement au mythe des Lumières selon lequel le Christianisme a conduit aux Ages Sombres, c’est Saint Benoît et les monastères qui ont préservé le savoir après la chute de l’Empire Romain. Ensuite Charlemagne, qui a commencé la reconstruction de l’Occident, savait qu’il avait besoin de puissance militaire, bien évidemment, mais également d’une instruction largement répandue. Il est allé chercher Alcuin – « l’homme le plus savant qui se puisse trouver » – et d’autres clercs lettrés pour aider à créer un réseau d’écoles pour instruire les gens et par ce procédé a donné naissance à ce que nous connaissons sous le nom de Renaissance Carolingienne, le commencement du relèvement de la culture européenne.

Pour nous à l’heure actuelle, un enseignement authentiquement catholique est tout autant urgent. Et il y a un aspect financier crucial souvent négligé. Les riches ont les moyens de s’offrir une instruction catholique, les pauvres obtiennent souvent des bourses. On laisse la classe moyenne se débrouiller.

Mon curé a mis en place une solution : il aide à payer les frais de scolarité quand des élèves passent des écoles publiques aux écoles catholiques – une mesure pratique qui devrait être dupliquée à grande échelle pour assurer le bien des élèves mais également pour montrer aux gens inquiets de nos crises actuelles qu’ils peuvent faire quelque chose qui aide vraiment.

L’alternative, c’est de laisser les choses suivre leur cours, au détriment à la fois de la foi et de la raison – ce qui, comme nous l’enseigne l’Histoire, n’est pas très catholique.