Sur une lettre de Benoît XVI - France Catholique
Edit Template
L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
Edit Template

Sur une lettre de Benoît XVI

La visite pascale du pape François au pape Benoît XVI est l'occasion de revenir sur la lettre du pape émérite à Mgr Vigano, alors responsable de la Communication du Vatican, qui a fait polémique en Italie, mais il faudrait prendre garde de ne pas prendre ce que le pape émérite qualifie de « en marge » comme l'essentiel de cette lettre. En cela Mgr Vigano n'avait pas tort : il avait lu l'essentiel. Le « marginal » était une sévère mise au point, non pas sur le pontificat, mais sur une publication. Retour sur les événements du carême… qui ont conduit, le 21 mars, à la démission de Mgr Vigano.
Copier le lien

Le pape François a rendu visite au pape émérite Benoît XVI, dans l’après-midi du mardi 27 mars, pour lui souhaiter une heureuse fête de Pâques : des images qui font toujours le tour du monde et qui réjouissent les fidèles, avides non seulement d’avoir des nouvelles du pape émérite, qui aura 91 ans le 16 avril, mais de se réjouir aussi de leurs relations fraternelles.

Le pape François aurait pu téléphoner, ce qu’il fait. Mais à Pâques, il rend visite au pape émérite, au monastère Mater Ecclesiae, dans les Jardins du Vatican.

Et puis le pape François a voulu que Marie soit honorée sous le vocable de « Mère de l’Église » par une mémoire liturgique obligatoire désormais chaque année, le lundi de Pentecôte, pour honorer la maternité spirituelle. Cette coïncidence entre le nom du monastère où vit Benoît XVI en moine avec la volonté liturgique et mariale du pape François est un signe de plus de la connivence profonde entre ces deux pères spirituels, dans une Église « mère ».
La mosaïque qui commémore la protection de Marie au moment de l’attentat du 13 mai 1981 contre saint Jean-Paul II, a aussi pour titre, Place Saint-Pierre, Mater Ecclesiae. N’est-ce pas la continuité de trois pontificats qui se manifeste, sous le signe de Marie et de la miséricorde ? !

Récemment, dans une lettre rendue publique, Benoît XVI souligne effectivement la « continuité intérieure » entre son pontificat et celui du pape François. Ce que dit le théologien Ratzinger est toujours affûté : « Cooperatores veritatis ».

Il y défend aussi la formation philosophique et théologique « profonde » de son successeur, taxant d’« insensé » le petit jeu qui consisterait à opposer son pontificat (qui ne serait que théorie et théologie) à celui de son successeur (qui ne serait que pastoral). Oui le pontificat de Benoît XVI a été pastoral : on lui doit le début de la tolérance zéro contre la pédophilie, par exemple. Son premier voyage a été la JMJ de Cologne ! Oui le pontificat de François est celui d’un pasteur profondément préparé théologiquement.

Un théologien, ami de longue date de Joseph Ratzinger, a d’ailleurs publié, en 2016, une interview du pape émérite et récemment un livre reprenant l’interview ont donné des clefs de lecture précieuses dans le riche commentaire qui l’accompagne.

Dans Comprendre de manière nou­­velle : Notes en marge de l’interview du pape émérite Benoît XVI (Parole et Silence), le père Jacques Servais souligne en effet la continuité des trois pontificats, en particulier sous le signe de la miséricorde : « La miséricorde est le visage de Dieu pour notre temps, elle exprime de façon nouvelle la  »justification par la foi ». À l’encontre de certaines apparences, des liens de nature non seulement pastorale mais théologique l’unissent en profondeur à son successeur sur le siège de Pierre. »
« Pour moi, le fait que l’idée de la miséricorde de Dieu devienne [de nos jours] de plus en plus centrale et dominante […] est un “signe des temps” », a confié Benoît XVI au jésuite belge, recteur de la Casa Balthasar de Rome.

Mais, puisqu’il y manifeste ce qui fait, selon lui, l’unité des pontificats, pourquoi tant de remous autour de la lettre de Benoît XVI au préfet du Secrétariat du Vatican pour la communication, Mgr Dario Edoardo Vigano, au point de conduire ce dernier à démissionner ?

En premier, la photo officielle (voir ci-contre) de la collection de 11 volumes de la Librairie éditrice du Vatican (LEV) sur La théologie du pape François, publiés à l’occasion du cinquième anniversaire de l’élection du pape argentin : le premier feuillet de la lettre de Benoît XVI y est complètement visible, le second est en grande partie caché sous les 11 petits volumes. Il n’en fallait pas plus pour aiguiser la curiosité de la presse : qu’y avait-il sur le second feuillet, dont Mgr Vigano avait omis de faire la lecture, alors qu’il avait lu à haute voix le premier feuillet pour la présentation des livres à la presse ?
La lettre de Benoît XVI est en date du 7 février. Le 12 mars Mgr Vigano, devant la caméra du dicastère, n’en a donc lu que la première partie, celle sur l’unité des deux pontificats. Et c’est bien en effet cela que voulait souligner d’abord Benoît XVI : l’unité profonde.

Le père Servais écrit lui-même : « Que le Pape François soit un homme de profonde formation philosophique et théologique, c’est ce que montre avec force documents le livre récent du Prof. Massimo Borghesi, Une biographie intellectuelle (à paraître aux Éditions Jésuites de Paris). Par-delà toutes les différences de style et de tempérament, il existe par ailleurs entre Benoît XVI et lui une authentique continuité qui ressort clairement des allégations du premier contenues dans l’interview qu’il nous avait accordée en mars 2016. »
Dans des lignes publiées par l’agence ZENIT, il écrit encore : « Dans les notes qui accompagnent la publication de cette interview, nous présentons et élaborons l’un ou l’autre des thèmes abordés (la doctrine de la foi, la miséricorde, la justice et le salut des non-croyants), et tout d’abord la notion de « développement ». »

Voilà pour l’unité des pontificats. Mais sur un autre plan, dans la seconde partie de la lettre, le pape émérite manifeste son étonnement qu’on ait choisi, parmi les théologiens, un théologien allemand, Peter Hünermann, aujourd’hui âgé de 89 ans, qui a autrefois contesté vigoureusement le magistère de Jean-Paul II (notamment Veritatis splendor) et son propre magistère.

Il a écrit un volume intitulé : Des hommes selon le Christ aujourd’hui. L’anthropologie du pape François.

Soyons clair : la seconde partie de la lettre ne vise pas le pontificat de François. La première partie est une longue précaution pour qu’on ne se fourvoie pas dans cette interprétation. Dans le livre du père Servais et en d’autres occasions, notamment dans les Derniers entretiens avec Peter Seewald, le pape émérite l’exprime clairement. En revanche, dans cette seconde partie, avec son tact plein de vérité, le pape émérite regrette le choix éditorial de Hünermann.

Le pape Benoît XVI, avait rencontré Hünermann en 2006 quand les éditions Herder ont publié en allemand un ample commentaire du Concile Vatican II qu’elles venaient remettre à Benoît XVI : il n’a pas apprécié la contribution de Hünermann.

Benoît XVI indique ensuite que le théologien « a participé, dans une mesure importante, à la publication de la Déclaration de Cologne, qui a attaqué l’autorité du magistère du Pape [Jean-Paul II] de façon virulente, spécialement sur des questions de théologie morale ».

En janvier 1989, cette Déclaration avait fédéré des réactions contre un congrès de théologie morale tenu au Vatican, sur Humanae vitae, deux mois plus tôt.

Le théologien allemand a réagi dans la presse italienne en affirmant le contraire de Joseph Ratzinger à savoir… la discontinuité et l’opposition entre un pontificat abstrait et un pontificat pastoral. On retombe dans ces clichés contre lesquels la lettre de Benoît XVI s’insurge ! Il n’est pas inintéressant de noter que les tenants de Ratzinger versus Bergoglio comme les tenants de Bergoglio versus Ratzinger ont cela de commun qu’ils affirment la discontinuité, que les deux papes au contraire affirment !
Autre reproche lu dans les commentaires : la lettre n’a été publiée entièrement que « tardivement », le 15 mars. Pas de censure, pas de maquillage, dit alors la communication du Vatican qui publie le texte – italien ­– en entier.
Il faut conclure avec les propos du pape émérite, qui dit bien que ses remarques sur Hünermann sont « en marge » par rapport à l’essentiel, à savoir ce qu’il affirme en premier de la continuité des deux pontificats, le sien et celui du pape François. Et qu’il se réjouit de la parution de la collection.


Lettre du pape Benoît XVI à Mgr Vigano

Très Révérend Monseigneur,

Merci beaucoup de votre aimable lettre du 12 janvier et pour le cadeau qui l’accompagne des onze petits volumes sous la direction de Roberto Repole. J’applaudis à cette initiative qui veut s’opposer et réagir au préjugé insensé selon lequel le pape François serait seulement un homme pratique, dénué de formation théologique ou philosophique particulière, tandis que je serais uniquement un théoricien de la théologie qui aurait peu compris la vie concrète d’un chrétien aujourd’hui. Les petits volumes montrent, à raison, que le pape François est un homme d’une profonde formation philosophique et théologique et ils aident ainsi à voir la continuité intérieure entre les deux pontificats, même avec toutes les différences de style et de tempérament.
Cependant je ne me sens pas d’écrire à leur sujet une « page théologique brève et dense ». Toute ma vie, il a toujours été clair que je n’aurais écrit et que je me serais exprimé seulement sur des livres que j’aurais vraiment lus. Malheureusement, ne serait-ce que pour des raisons physiques, je ne suis pas en mesure de lire les onze petits volumes dans un avenir proche, d’autant que m’attendent d’autres engagements que j’ai déjà pris.

Je voudrais seulement noter, en marge, ma surprise devant le fait que parmi les auteurs, figure aussi le prof. Hünermann, qui, durant mon pontificat, s’est distingué pour avoir dirigé des initiatives anti-papales. Il a participé, dans une mesure importante, à la publication de la « Kölner Erklärung » (« Déclaration de Cologne », ndlt), qui, en rapport avec l’encyclique Veritatis splendor a attaqué l’autorité magistérielle du Pape de façon virulente, spécialement sur des questions de théologie morale. Même la Europäische Theologengesellschaft (Société européenne de théologiens, ndlt) qu’il a fondée, a été pensée par lui initialement comme une organisation en opposition au magistère papal. Par la suite, le sens ecclésial de beaucoup de théologiens a empêché cette orientation, faisant de cette organisation un instrument normal de rencontre entre théologiens.

Je suis certain que vous comprendrez ma dénégation et je vous salue cordialement,

Vôtre,

Benoît XVI