Sur le Chemin - France Catholique
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Padre Pio, ses photos inédites
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Sur le Chemin

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Samedi dernier, je suis entré à Saint-Jacques de Compostelle après une randonnée pédestre de plus de cent kilomètres sur ce qui est appelé en Espagne El Camino (le Chemin) – le pélerinage pédestre multi-séculaire vers la cathédrale de l’Apôtre Jacques. C’est très facile d’écrire ceci, presque aussi facile que de le lire. Mais si vous n’avez jamais arpenté « le Chemin », vous ne comprenez probablement pas tout ce que signifient ces quelques mots. Ca fait penser à une excursion champêtre. Et si vous avez vu le film « The Way » avec Martin Sheen (j’en ai parlé ici), vous pouvez être tentés de voir cela simplement comme une sorte d’expérience spirituelle boboïsante. Allez donc côtoyer les gens, jeunes et vieux, plus ou moins raides et contus, pieds bandés et endoloris, chevilles et genoux défaillants, dos meurtris, brûlés par le soleil et pelant, qui arrivent à la cathédrale après de longs kilomètres de marche et de méditation. Vous ne confondrez plus avec du tourisme spirituel. Avec seulement cinq jours disponibles pour cette marche, nous nous en sommes rendu compte plus vite que nous n’en avons compris les bienfaits. Il y a un T-shirt humoristique en vente ici – l’inscription est bien plus profonde qu’il n’y paraît : au dessus de pieds bandés, ces mots Me muero por llegar (je meurs pour y arriver). Le christianisme primitif, avant d’être connu sous ce vocable, était juste He Hodos en grec, la Voie, le Chemin. Le Christ s’est nommé Lui-même le Chemin, alors que vous soyez toujours en route ou arrivé, scripturairement, c’est tout un, Lui. Nous débattons actuellement de questions philosophiques et théologiques cruciales, absolument nécessaires pour préserver le vrai cheminement de l’humanité et ce qui est fondamentalement humain. Mais le Christianisme, ce n’est pas seulement des idées et des principes. C’est d’abord un chemin de vie. Ce chemin n’est pas facile, et bien qu’universel, chaque personne doit emprunter le passage particulier que Dieu lui réserve. Marchant avec les autres, vous notez très vite les différences. Certains montent à l’assaut des collines, d’autres les abordent avec lenteur. Certains décrivent chaque souffrance et douleur – il y en a bien davantage, et même des inédites, que vous ne sauriez croire – d’autres souffrent stoïquement en silence. Certains racontent leur vie en marchant, d’autres sont toujours à la fin le grand mystère qu’ils étaient au départ. Le chemin aussi est différent de ce que vous pensez. Pour la plupart d’entre nous, une colline, c’est juste là où on donne un coup d’accélérateur. Un marcheur sait que la montée de côtes, surtout de celles d’entre elles longues et monotones, peut mettre en crise l’âme et le corps. Chez moi, je suis un grand randonneur. Mais je ne m’étais jamais rendu compte, pas avant plusieurs jours difficiles, que les descentes sont plus épuisantes que les montées. Virgile a écrit dans l’Enéïde : facilis descendus Averno (NDT : on descend facilement le mont Averne, censé mener aux Enfers dans la mythologie romaine) « la descente en Enfer est facile ». Mais qui sait que de nombreuses descentes s’enchaînant au fil des jours deviennent une sorte d’enfer ? Le Chemin (de Compostelle) se déroule sur différents niveaux, et change plusieurs fois au cours d’une même journée. Une minute, Dieu est là présent dans le ciel et le monde tourne rond, simplement parce que vous n’avez pas mal aux pieds. La minute d’après, la pluie balaie tout et vous prenez conscience que Dieu, le Ciel et la Terre ont leur propre chemin, qui n’est pas le vôtre. Par moments, l’effort surhumain vous fait douter de toute l’entreprise. Frayant votre chemin entre les fermes et les champs, les villes et les zones industrielles, vous passez par différents stades d’exaltation spirituelle et d’abattement. Vous ne pouvez supporter un autre rythme (chaque pas est une prière, qu’ils disaient, mais ils ne disaient pas que c’était aussi une souffrance). Alors vous êtes convaincus que la spiritualité de l’ensemble du voyage rassemble d’une certaine manière tous les hauts et les bas en une architecture spirituelle au delà de la connaissance humaine. Il y a des matins tout droit sortis de Fern Hill de Dylan Thomas : Et puis il fallait se réveiller, et la ferme, comme un vagabond blanchi de rosée, revenait, le coq sur l’épaule. Tout replendissait. C’était Adam et la jeune vierge, le ciel se recueillait à nouveau et le soleil s’arrondissait sur l’horizon ce jour-là. Cela devait donc être après la naissance de la lumière, à la fine pointe de l’aube. Les chevaux, envoûtés, sortaient fumant de la hennissante et verte écurie pour les champs de la louange. Et des soirs où vous vous demandez si vous aurez le courage de vous lever le lendemain pour vous y remettre. Camino_cert.jpg photo 2 : le certificat de pélerin de Robertum Royal Dans son merveilleux livre The Path to Rome (Le chemin vers Rome), Hilaire Belloc décrit sa tentative de traverser les Alpes à pied — et son échec : « du haut du Weissenstein, j’ai vu ma religion telle qu’elle était. Je veux dire : l’humilité, la peur de la mort, la terreur du vide et de l’éloignement, la Gloire de Dieu, les infinies potentialités d’accueil d’où jaillit cette divine soif de l’âme ; mon aspiration à l’achèvement, et ma confiance en la destinée à deux. » De telles expériences sont probablement plus fréquentes que le monde ne le reconnaît. Laissez-moi en narrer une. Je pélerinais sur le chemin de Saint Jacques en portant de nombreuses intentions (y compris toutes celles gravitant autour de The Catholic Thing) et j’invoquais la Trinité, les anges, les saints – Saint Jacques, bien évidemment – et nos deux nouveaux saints papes. Mes questions principales ont obtenu leur réponse. Et bien au-delà, j’ai fini par me réconcilier avec cette vérité que, comme pour les étapes douloureuse du Camino, il est bon pour nous de ne pas voir trop loin dans le futur. Nous marchons par la foi, non par la vue — et c’est bien mieux ainsi. Mais mon épouse cheminait héroïquement sur le Camino avec une intention spéciale pour un de nos quatre enfants. Comme nous entrions dans Saint-Jacques de Compostelle — comme beaucoup de cités européennes un magnifique centre-ville cerné de banlieues modernes déjà décrépites et de lugubres bureaux de béton — elle se tourna vers moi et déclara : « Je t’ai regardé une demi-douzaine de fois ces deux derniers jours et j’ai entr’aperçu un esprit qui faisait route avec toi _ ton père (décédé) ou quelque personnalité littéraire, je ne saurais dire. Mais je l’ai vu si clairement juste à l’instant, que j’ai décidé de t’en parler. » Mon père ne pourrait jamais être confondu avec un personnage littéraire. Et si mon épouse avait une hallucination due à l’épuisement, elle ne confondrait pas l’un et l’autre. J’incline à penser qu’elle a vu quelque chose, dans la pleine lumière d’un samedi après-midi au cœur d’une ville moderne ordinaire, pas moins. Qui était-ce ? Je n’en sais rien. La réponse à cette question, comme à de nombeuses autres sur le Camino, n’a pas été donnée. Qui qu’il en soit, je suis reconnaissant pour l’expérience et pour l’accompagnement. http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/on-the-way.html Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing. Photo 1 = Robert Royal « sur le chemin… »