Sens du Canon de la messe - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Sens du Canon de la messe

FC 997 – 7 janvier 1966

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Nous vivons à une époque où les idées les plus folles se mêlent aux meilleures, si bien qu’on hésite à contredire les folies les plus patentes, de peur qu’on vous accuse de méconnaître des vérités premières, cependant que ces vérités risquent de périr si on ne les dégage pas promptement des contre-vérité qui ne les embrassent que pour les étouffer.

On a heureusement travaillé à restaurer le sens de l’eucharistie comme d’une action, action collective à laquelle tous doivent participer. Mais comment cette action, qui est le mystère sacré par excellence, ne serait-elle pas vidée de sa substance, si l’on évacue pour cela le sens de la présence sacramentelle, mais suprêmement réelle, du Christ, comme prêtre et comme victime ? Il ne fallait certes pas laisser le tabernacle attirer à lui toute l’attention, au point que l’autel ne parût plus que son support. Faut-il pour cela bannir tous les tabernacles de tous les autels ? Faut-il, à plus forte raison, en venir à supprimer les tabernacles purement et simplement ? A vider les églises de la présence sacramentelle permanente ? Ce serait bien là tourner le dos à l’esprit du Concile, surtout après l’Encyclique Mysterium fidei.

Maintenant, certains font un pas de plus. C’est au canon de la messe qu’ils s’attaquent.

Que lui reproche-t-on ? Il paraît que la seule eucharistie à la fois admissible pour l’homme moderne et « ressourcée » intégralement devrait être une pure louange du Créateur, d’où le Sanctus et les autres mentions des Anges devraient être bannis, ainsi que les rappels des saints, soit de l’Ancien soit du Nouveau Testament. A plus forte raison les intercessions, en particulier pour le Pape, l’Evêque, toute l’Eglise, devraient en être exclues. Toutes les références bibliques, dans la mesure du possible, en ayant été effacées, tout ce qui sent la tradition « ecclésiastique » (gros mot à ne plus employer) y étant supprimé, on aurait une « eucharistie œcuménique », paraît-il, où les protestants et les orthodoxes seraient aussi à l’aise que les catholiques, et où l’on ne voit plus, d’ailleurs, ce qui pourrait encore empêcher des juifs, des païens, voire même – pourquoi pas ? – des athées, de s’y sentir comme chez eux. Pour faire plaisir aux orthodoxes, spécialement, on y introduirait en revanche une petite épiclèse : c’est-à-dire une invocation du Saint-Esprit, comme il y en a dans les liturgies d’Orient !…

L’antiquité du « canon »

On est confondu d’entendre des propositions pareilles, et de les voir soutenir par certains de références à des théories critiques, sur l’histoire de la messe romaine, venant au secours de ces desiderata impératifs de fidèles imaginaires.

Mais on s’effraie, en même temps, de l’audace avec laquelle certains groupes manœuvrent pour imposer ce qu’on est bien décidé à faire, et que sans doute, on fait déjà, quoi que la hiérarchie puisse objecter.
Rappelons donc pour mémoire quelques vérités indiscutables ! La première est que le canon de la messe, mis à part quelques détails tout à fait secondaires, remonte tel quel au moins à Saint Grégoire le Grand, cependant que, dans toutes les parties qui en sont connues avec certitude dès le milieu du IVe siècle (par saint Ambroise), il était à peu près tel, alors déjà, que nous l’avons.

Il n’y a pas, en Orient comme en Occident, de prière eucharistique qui, restée en usage jusqu’à nous, puisse revendiquer une telle antiquité. Aux yeux non seulement des orthodoxes, mais des anglicans et même des protestants qui ont quelque sens de la tradition, le jeter par-dessus bord reviendrait, de la part de l’Eglise romaine, à renier toute prétention à jamais plus représenter l’Eglise catholique.


La louange du Créateur-Sauveur

D’autre part, la louange eucharistique n’est pas n’importe quelle louange du Créateur, comme celle que n’importe quel « bon païen » peut lui adresser. C’est la louange du Dieu créateur et sauveur, pour son plan de salut révélé dans le Christ. Loin donc, que cette louange exclue la prière, et spécialement l’intercession, elle l’appelle : comme la supplication instante pour que le dessein divin, que nous reconnaissons dans l’action de grâces, ait enfin sa réalisation totale, en nous et dans le monde entier. Expulser une telle prière de l’eucharistie, ce serait la mutiler mortellement.

Sanctus et Bible

Quant au Sanctus (attesté déjà par Origène, et repris au culte de la synagogue), aux mentions des Anges, et spécialement de l’Ange du Sacrifice, aux mentions des saints de l’Ancienne Alliance (Abel, Abraham, Melchisédech) et plus généralement quant à toutes les références bibliques qui font la richesse propre de l’eucharistie romaine, vouloir s’en défaire, serait aller au rebours, précisément de tout « retour aux sources » de tout œcuménisme digne de ce nom.

Que dire alors de l’affirmation que le canon romain n’est qu’une mosaïque de prières distinctes, et qu’il faut lui rendre l’unité en en faisant une seule prière, rigoureusement logique et continue ? Comme le savent bien tous ceux qui connaissent la liturgie juive, et les plus anciennes liturgies chrétiennes (comme celle d’Addaï et de Mari) : c’est au contraire ce qui trahit chez lui son antiquité que cette facture, toute sémitique dans son origine, alors que les belles prières, bien filées comme de beaux discours de rhéteurs ou de philosophes, sont des produits typiques de l’humanisme hellénistique décadent.

Enfin, croire qu’on se gagnerait la faveur des orthodoxes en singeant un détail des formulaires orientaux, est le comble de la naïveté. L’épiclèse adressée au Saint-Esprit, les savants orthodoxes en sont aujourd’hui bien convaincus comme les autres, ne s’est introduite, en Orient même, que vers la fin du IVe siècle. S’il n’y en a pas dans la liturgie romaine, tout comme il n’y en a pas non plus dans la plus ancienne liturgie d’Orient, celle d’Addaï et de Mari, que je viens de mentionner, c’est la meilleurs preuve de son caractère particulièrement primitif.

Sachons donc bien, une bonne fois, que le « retour aux sources » n’est pas n’importe quel archéologisme de fantaisie, pas plus que l’œcuménisme ne consiste à emprunter aux autres ce qu’ils ont de plus douteux en abandonnant ce qu’on a de plus solide, et que, enfin, ce qui a chance de remplir nos églises, c’est la messe traditionnelle rendue à la vie.

Louis BOUYER