Sectes et protestants - France Catholique

Sectes et protestants

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Cher Gérard Leclerc,

Abonné depuis très peu de temps à  » France Catholique « , je découvre avec joie ce beau journal.

Dans le dernier numéro, j’ai lu intégralement votre éditorial page 3, ainsi que votre  » journal  » pages 25 à 27 , bien intéressants l’un et l’autre.

Mais je ne puis m’empêcher de vous faire part de ma réaction à certains termes de votre éditorial.

Profondément catholique et attaché à la doctrine, je suis en même temps actif dans les milieux du Renouveau charismatique et dans des groupes interconfessionnels.

Je réagis donc à deux passages de votre édito :

 » face à l’effervescence évangélique, celle qui attire vers les sectes tout un petit peuple latino-américain  » ; plus loin :  » le succès des sectes pentecôtistes « .

Je m’interroge. Vous n’êtes pas le seul, loin s’en faut, parmi les représentants attitrés de la culture catholique, à utiliser ce vocabulaire dépréciatif : effervescence, sectes.

Et pourtant ! que de fois, depuis le Concile Vatican II, avons-nous entendu nos pasteurs, papes y compris, nous rappeler que le Seigneur désire l’unité des chrétiens. On s’est mis à parler de  » frères séparés « , à propos des orthodoxes et des protestants. Les protestants de l’Eglise réformée de France, tous les orthodoxes sont donc nos frères séparés. Mais les innombrables adeptes du protestantisme évangélique, un peu partout dans le monde, ne seraient pas des frères séparés, et même pas des frères du tout ? De simples  » effervescents « , adeptes naïfs et trompés de  » procédés qui relèvent plus de la propagande publicitaire que de l’annonce d’un salut en esprit et en vérité  » ?

Convenez avec moi que votre charge contre ce que je persiste à considérer comme une forme de protestantisme est brutale et sans nuance. Et hélas tout à fait symétrique aux dénonciations tonitruantes du catholicisme assénées par moult pasteurs évangéliques pour lesquels l’Eglise catholique a complètement dévié et a été contaminée par un esprit d’idolâtrie, par le paganisme, par l’  » esprit de contrôle  » etc. etc.

Je vois avec tristesse que même si le combat pour l’unité mené courageusement et souvent solitairement par nos prédécesseurs a abouti à un rapprochement spectaculaire entre les frères ennemis d’hier, depuis quelques décennies il débouche, faute de lucidité, sur une nouvelle fracture entre d’un côté les évangéliques et pentecôtistes, de l’autre tous les autres chrétiens. D’un côté on manie l’anathème à tout va, de l’autre le mépris supérieur pour ces méthodes simplistes de propagande qui, paraît-il, ne correspondent pas aux besoins des plus pauvres.

Si nous voulons que les évangéliques cessent de débaucher les catholiques en attaquant brutalement le contenu des dogmes purement catholiques, commençons, nous catholiques, par faire notre mea culpa, et par rompre avec l’assurance de notre supériorité. Après tout, sommes-nous si sûrs que les méthodes d’évangélisation des premiers chrétiens étaient si différentes de la propagande publicitaire grossière que vous dénoncez ? Sur une route à grande circulation à Marseille on peut lire un énorme panneau :  » Christ est mort pour nos péchés « . Prosélytisme grossier, ou témoignage de foi ? Est-il si évident que nos compatriotes, y compris nombre de catholiques pratiquants, ont vraiment entendu parler de ce que signifie concrètement la Rédemption ? Pourquoi pas le leur dire, ou le leur rappeler ? Bien sûr un panneau, aussi énorme soit-il, ne suffit pas. Bien sûr il existe parfois dans la prédication pentecôtiste-évangélique des thématiques déviantes, une incitation au fondamentalisme obtus, une culture de l’émotion au détriment de l’intelligence etc. etc…Mais il s’y trouve aussi d’authentiques vertus chrétiennes, et la triade foi-espérance-charité y est présente, on ne saurait en douter.

Alors ? Pour l’instant, l’heure n’est pas à la réconciliation, semble-t-il. Le mouvement évangélique, plongeant ses racines dans une tradition qui n’est pas si nouvelle, jouit d’un énorme dynamisme qui le ferme au dialogue. Il lui suffit de supplanter, un peu partout, les grandes Eglises institutionnelles. De leur côté ces dernières se sentent fortes de leur fidélité à des traditions remontant très haut. Chacun se sent assez fort pour se passer de l’autre, et l’ignorer, en toute bonne conscience. Et comme on refuse de voir dans l’autre  » un frère séparé « , on pense que la prière pour l’unité de Jean 17 ne s’applique pas à ce cas de figure. Ainsi se reconstitue, sous la triste forme de la concurrence, la vieille histoire de la division des chrétiens.

Quand l’émulation et la collaboration viennent remplacer la concurrence, alors Dieu peut faire des miracles. A nous de travailler à ce rapprochement qui ne peut que réjouir notre commun Père du ciel. En évitant tout ce qui peut blesser l’autre et le persuader qu’il n’est ni compris, ni aimé pour ce qu’il est.

Je vous prie d’agréer, cher Gérard Leclerc, l’assurance de ma considération et de mon respect

A.C.
Nancy