Schisme ou schiste ? - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Schisme ou schiste ?

Le dialogue avec les Américains constitue la partie la plus difficile à jouer pour le pape François surtout après son encyclique et avant son voyage aux États-Unis en septembre.

L'encyclique sur l'écologie et l'Amérique

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Nulle part les réactions à Laudato si’ n’ont été aussi contrastées qu’outre-Atlantique. L’Europe est dans son ensemble acquise à l’impératif de protection de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Les plus pauvres des peuples d’Asie les plus touchés par les intempéries ont vu la lumière. Le continent qui fait difficulté est l’Amérique dans sa double composante sud et nord, latino et anglo-saxonne.

Les opposants au Pape en Amérique du Nord ont immédiatement relié l’inspiration de l’encyclique à l’expérience argentine de son auteur et plus récemment aux travaux de la conférence des évêques d’Amérique latine à Aparecida (2007) où le cardinal Bergoglio s’était déjà exprimé avec force. Ces influences sont d’autant plus cruciales que l’élection présidentielle de 2016 risque de se jouer autour de l’électorat latino. L’encyclique vient s’ajouter aux démarches diplomatiques en faveur du rapprochement avec Cuba. Ce n’est pas un hasard si le Saint-Père, sur sa route vers les États-Unis fin septembre, a prévu de faire une visite de quatre jours dans l’île des frères Castro.

François doit ensuite prononcer un discours à New York devant l’Assemblée générale des Nations unies, exercice bien rôdé depuis celui de Paul VI en 1965, mais, pour la première fois de l’Histoire, il prendra la parole devant le Congrès des États-Unis à l’invitation du speaker de la Chambre des représentants, John Boehner, catholique pratiquant et républicain.

Depuis mars, la question était sur toutes les lèvres à Washington : que va dire le Pape ? L’ambassadeur américain auprès du Vatican est mis à contribution, des papiers circulent, des lobbies s’agitent à Rome. Tout cela c’était avant le 18 juin et la publication d’une encyclique qui bouleverse le champ politique américain au début de la campagne présidentielle.

La moitié des candidats déclarés à la candidature républicaine sont catholiques, dont Jeb Bush, fils et frère de présidents, seul de sa famille à s’être converti au catholicisme, le seul aussi à parler espagnol et à avoir épousé une Latino-Américaine. L’intéressé a pourtant été le premier à se démarquer de la parole pontificale comme en son temps l’avait fait le premier catholique à avoir été élu président (et le seul jusqu’à ce jour), John Kennedy en 1960. Les temps ont bien changé depuis. Les catholiques, alors majoritairement démocrates, se partagent aujourd’hui à égalité entre républicains et démocrates avec une prime désormais pour les républicains au Congrès. Un Américain sur cinq se déclare catholique (en légère diminution) mais les élus sont toujours à contre-pied avec les enseignements du Magistère : ceux de gauche rechignent à suivre les évêques sur l’avortement ou le mariage de même sexe, ceux de droite sont rebutés par les condamnations du capitalisme outrancier, de la société de consommation, de la guerre dite « juste » en Irak, du camp de Guantanamo, de la politique anti-immigrants, sans oublier la peine de mort, et bien sûr l‘exploitation des gaz de schiste, les forages en Arctique, l’oléoduc qui doit relier les champs canadiens au golfe du Mexique au détriment de l’environnement. On comprend que Jeb Bush ait affirmé publiquement qu’aucun prêtre, aucun évêque, aucun cardinal et même le Pape ne le conseille dans sa politique économique !

Cependant, les républicains ne sauraient aller trop loin dans leur rejet de la doctrine sociale de l’Église s’ils veulent conquérir une partie de l’électorat latino. Quant aux démocrates, le Pape montre que trop de prudence, trop d’indifférence, leur font perdre toute force d’attraction. Le ton de l’encyclique encore plus que son contenu fait honte aux dirigeants de tous bords enfermés dans leurs comptes d’apothicaires.

Laudato si’, du propre aveu de son auteur, ne fera sans doute pas changer d’avis les opposants radicaux mais agira sur le « marais » qui ne s’engage jamais franchement ni pour ni contre, qui attend de voir où va le vent avant de se rallier. Aux États-Unis, c’est sur cette frange d’électorat flottant que François compte pour renverser le courant. La partie n’est nullement gagnée d’avance. Il ne s’agit pas pour lui évidemment de favoriser l’élection de tel ou tel candidat ni de recommander telle ou telle mesure concrète, mais de fournir un « cadre moral de référence » selon les termes du cardinal archevêque de Washington, Donald Wuerl.

Rien n’est changé en apparence mais en réalité tout est transformé. Les termes du débat sont déplacés. Les premiers fruits se verront donc aux États-Unis en septembre avant Paris en décembre, mais bien au-delà. Le Pape est en effet l’un des rares dirigeants du monde à pouvoir se projeter dans la très longue durée, non pas en personne mais de par la nature même de l’institution qu’il incarne.