Reconnaître nos témoins muets - France Catholique

Reconnaître nos témoins muets

Reconnaître nos témoins muets

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Le Massacre des Innocents, François-Joseph Navez, 1824

Le Massacre des Innocents, François-Joseph Navez, 1824

[collection privée]

L’Église catholique a pour tradition de canoniser ceux qui ont eu une vie héroïque de foi, d’espérance et de charité. Mais il y a certains témoins, les martyrs, qui meurent in odium fidei, à cause de la « haine de la foi » de leurs persécuteurs. Ils ont professé leur amour du Christ avec une fidélité éternelle, jusqu’à l’effusion de leur force vitale.

Autrefois, le chrétien persécuté, appelé à comparaître devant l’empereur ou à se tenir sur l’échafaud, avait au moins la dignité de professer sa croyance avant l’exécution. Dans les temps modernes, cependant, le chrétien persécuté fait souvent face à un tyran sans nom et sans visage. Aujourd’hui, le martyr souffre généralement de sa croyance à huis clos, dans des camps de prisonniers, dans des ruelles, aux mains d’un persécuteur qui ne veut laisser aucune trace de son acte odieux. Saint Jean-Paul II a appelé plusieurs de ces témoins contemporains cachés, « les nouveaux martyrs ».

L’un des exemples modernes les plus saisissants nous vient de la canonisation de la sainte et martyre, Édith Stein (Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, O.C.D), qui fournit un commentaire brûlant sur la nature insidieuse de la persécution des chrétiens ces derniers temps. Au moment de sa canonisation, le débat était encore ouvert de savoir si elle méritait le titre de « martyre », même par certains catholiques.

Cependant, comme l’explique la Positio [Présentation] officielle concernant le martyre de sainte Édith Stein : « Bien que l’Église ne doive pas trop facilement conférer le titre de martyre, elle ne doit pas non plus, au contraire, donner un avantage aux “Tyrans” modernes qui, avec leurs machinations sophistiquées et leurs mauvais tours, cherchent à éliminer non seulement la foi catholique mais aussi le martyre, rendant l’Église et ses témoins complètement muets. »

Le témoignage muet des chrétiens modernes persécutés nous rappelle ce tout premier groupe d’âmes massacrées dans la haine du Christ : les Saints Innocents. Sans voix et incapables de crier au Ciel, ils ont néanmoins été éliminés afin d’éradiquer le Christ de cette terre.

Comme ces tout premiers martyrs muets de l’Église, nos martyrs modernes souffrent sans le privilège d’affirmer leur crédo à haute voix, avec courage. Pourquoi ? Parce que le Tyran moderne ne pose pas la question : « Quel dieu servez-vous ? » Il connaît déjà la réponse. Laisser la question sans réponse rend les motifs de la persécution inconnus, et le Tyran moderne la préfère de cette façon.

Les portes de nos églises sont maintenant fermées. Beaucoup d’entre nous ressentent clairement, peut-être pour la première fois, ce qui se passe quand un gouvernement arrête le culte divin. Mais est-ce seulement épouvantable à New York, Chicago et à Londres ? Qu’en est-il des portes fermées de l’église à Damas et à Bagdad ? Qu’en est-il du sort des chrétiens dans les ruelles sombres de Mossoul ? Ou dans de vastes étendues en Chine ?

Le Tyran sans visage fait des ravages, et ceux qui disparaissent, ou dont les restes se trouvent parmi les décombres dans ces coins trop souvent oubliés de la terre, n’ont pas eu leur moment de profession de foi devant l’empereur païen. Le leur est un témoignage muet.

Ce témoin muet n’en est pas moins puissant par son silence. Leur silence parle, crie pour être entendu et résonne à travers les couloirs du Ciel.

La fermeture de nos églises, non maitrisé, presque sans gémissement, devrait ouvrir nos yeux et nos oreilles aux menaces contre la foi dans d’autres contextes, aux actes flagrants contre la croyance, à la fois loin et près de chez nous.

Le martyre ne connaît pas de frontières géographiques ou chronologiques. Des Saints Innocents aux églises fermées de Pékin, le martyre est « le suprême témoignage rendu à la vérité de la foi : il désigne un témoignage qui va jusqu’à la mort ». (Catéchisme de l’Église catholique, 2473)

Un témoignage silencieux s’est produit, lorsqu’une boulangerie a été fermée à Portland parce que ses propriétaires chrétiens ont refusé de faire un gâteau pour un « mariage homosexuel ». L’allégeance au Seul Vrai Roi a été proclamée, lorsqu’une messe de Pâques au Sri Lanka s’est terminée en bain de sang et que la congrégation fut appelée à se soumettre au régime sans visage.

Le pape saint Jean-Paul II, qui n’était pas étranger à la persécution silencieuse du Troisième Reich et, plus tard, à la répression soviétique, était bien conscient du courage dont notre génération aurait besoin, pour témoigner devant les pouvoirs sans visage et insidieux de notre époque.

Presque tout le monde se souvient de sa célèbre proclamation dans l’homélie pour l’inauguration de son pontificat « N’ayez pas peur ». Beaucoup moins se souviennent d’autre chose qu’il a dit ce jour-là : « Que le Christ parle à l’homme. Lui seul a des mots de vie, oui, de vie éternelle. »

C’est le Christ qui parle à travers notre témoignage muet. La seule chose que nous devrions craindre est de céder le pouvoir aux tyrans en acceptant leur redéfinition des règles de témoignage et de martyre. Vivre en chrétien sans crainte et, si nécessaire, donner sa vie malgré l’odium fidei, la haine de la foi, est la vocation de notre génération de croyants.

Nous avons vu la foi persécutée à l’intérieur de nos propres murs d’église. Nous avons vu la vérité et la bonté inestimables de l’Eucharistie niée, dénigrée et profanée. Nous avons, en grande partie, gardé le silence. Cela doit cesser. Nous devons reconnaître et aider les persécutés, où qu’ils se trouvent, même parmi nous.

Nous devons rejeter, sous toutes ses formes, la persécution rusée qui ne donne aucun nom à son action et aucun visage à ses décrets, cachant ainsi ses motifs et dissimulant son effet. Nous devons refuser de permettre une telle redéfinition de la réalité, un tel désir de faire taire l’Église, ses vérités fondamentales et son témoignage courageusement aimant, c’est-à-dire la voix du Christ.

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[(À propos de l’auteur

Elizabeth A. Mitchell a obtenu son doctorat en communications sociales institutionnelles à l’Université Pontificale de la Sainte Croix, à Rome. Elle y a travaillé comme traductrice pour l’office de presse du Saint-Siège et pour L’Osservatore Romano. Elle est actuellement doyenne de la Trinity Academy, un établissement privé du Wisconsin, aux États-Unis. Elle est conseillère au Centre International st. Gianna et Pietro Molla pour la famille et la vie et est conseillère théologique pour le site Nasarean.org, une mission de défense pour les chrétiens persécutés au Moyen Orient.)]