Qui est prêtre dans l’Eglise ? - France Catholique

Qui est prêtre dans l’Eglise ?

FC 1220 – 1er mai 1970

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Ces dernières années nous ont fait assister, à l’intérieur de l’Eglise catholique, à une redécouverte du sacerdoce des fidèles ou, pour mieux dire, de la participation commune et universelle de tous les baptisés au sacerdoce unique de Jésus-Christ. Il n’y a, à proprement parler, en effet, qu’un seul prêtre dans le christianisme : Jésus-Christ, qu’un seul sacrifice : celui de sa croix.

Mais à cet unique sacrifice nous sommes, ou nous devons être, tous associés. L’Eglise tout entière, comme le dit saint Augustin, et chacun de nous en elle, doit se joindre à l’offrande que le Christ a consenti au Père, de tout son être.

Notre sacrifice, nous dit saint Paul, c’est d’offrir ainsi, en toutes nos actions, notre propre corps, tout notre être incarné en ce monde, par la fidélité à suivre Jésus.

Tous les baptisés participent au sacerdoce unique du Christ

Et cela est possible, car chacun de nous, dans son baptême, est incorporé à Jésus, devient membre du Christ pour sa part, comme l’Eglise tout entière est le corps du Christ. Elle l’est, effectivement, parce que tout entière elle est rassemblée, par le Christ lui-même et en lui-même, dans la célébration de l’Eucharistie. Tous en effet y participant au pain unique qui est son corps, crucifié et ressuscité pour nous, deviennent un seul pain, un seul Corps du même Christ s’étendant à nous tous, vivant en nous tous par la puissance de l’Esprit.

Ceci, à la messe, s’effectue d’abord par la prière de tous qui les ouvre et les livre dans la foi à la Parole divine, puis par l’offrande qui les présente au Christ pour qu’il les saisisse, dans les éléments de leur propre vie, le pain et le vin, et fasse de ceux-ci l’offrance de lui-même ; enfin, dans la communion, où ils deviennent effectivement tous ce qu’ils reçoivent : le Corps unique du ressuscité nous incorporant tous ensemble à lui-même…
Ainsi tous, dans l’Eglise, sont prêtres, de son propre sacerdoce, et toute leur existence dans le monde doit traduire cette consécration. Toute leur vie doit devenir eucharistique : réponse de l’amour des fils à l’amour du Père, communication de cet amour à tous les hommes, dans le témoignage insécable de la foi et de la charité…

Le sacerdoce universel ne minimise pas le sacerdoce ministériel

Est-ce dire que ce sacerdoce universel des baptisés supprime ou minimise le sacerdoce ministériel des apôtres, de leurs successeurs les évêques, et de ces coopérateurs des évêques que sont les prêtres du second rang ? Tout au contraire, ce que nous venons de dire suffirait à faire pressentir que l’un ne va pas sans l’autre.

Comment les chrétiens croiraient-ils, seraient-ils baptisés sans ces « envoyé » ou « apôtres » (deux mots synonymes) de Jésus-Christ qui leur apportent non seulement de sa part, mais comme les simples instruments dont il se saisit pour cela, et sa parole et les signes sacramentels que lui-même leur a confiés, de son action permanente ? Comment, surtout, formeraient-ils un seul Corps, s’unissant dans l’Eucharistie à la propre oblation du Sauveur, s’il ne se tenait pas, au milieu d’eux à ce moment, cet envoyé, ce représentant personnel de leur Chef  ? Après avoir consacré une fois pour toutes ses membres dans le baptême, c’est cet « envoyé » qui les renouvelle sans cesse dans leur foi commune par la prédication, qui consacre sans cesse à nouveau l’union de tous dans le sacrement d’unité, où avec Jésus, en Jésus, tous, associés à sa croix, ne cessent d’être offerts et offrants…

Certains, cependant, aujourd’hui comme par le passé, paraissent incapables de tenir ensemble ce qui va ensemble. On oppose le « sacerdoce des fidèles » comme déjà au XVIe siècle, dans les premières erreurs luthériennes (dont tant de protestants, depuis lors, sont pourtant bien revenus) à un sacerdoce ministériel, ou bien réduit à n’être qu’une émanation du premier, ou bien rejeté purement et simplement.

La structure que le Christ a voulue

Nous avons commencé, en effet, par voir certains catholiques, à l’œcuménisme trop facile, admettre que l’ordination dans la ligne de la succession des apôtres, par l’intermédiaire des évêques, n’est pas nécessaire au sacerdoce ministériel. Oublieux de la structure que le Christ a voulue pour son Eglise en l’établissant sur le fondement des apôtres que lui-même avait choisis, que lui-même déclarait envoyer comme il avait été envoyé par le Père, on voudrait que l’Eglise dans sa masse indifférenciée, succède aux apôtres, voire au Christ, et puisse faire des ministres de son sacerdoce de n’importe quels de ses membres, pourvu qu’une communauté de chrétiens les porte à sa tête. Ainsi, non seulement on brise l’unité de l’Eglise, dans l’espace comme dans le temps, mais on agit comme si le Saint-Esprit pouvait être séparé de l’intervention historique du Christ dans notre vie : comme si c’était aux hommes de se constituer en Eglise, d’organiser l’Eglise, et non à son fondateur seul.

Certaines interprétations des « messes de groupes » sont aberrantes

Quand on en est venu là, il est fatal qu’on aille plus loin. Aujourd’hui, il ne faut pas nous le dissimuler, quelles que soient les possibilités riches et fécondes des « messes de groupes » dont on nous parle tant, certains de ceux qui les préconisent y voient avant tout l’occasion de mettre en usage non seulement des « célébrations » qui ne tiennent aucun compte (ou si peu que rien) de la liturgie fixée par l’autorité, mais des « eucharisties » auxquelles puissent présider indifféremment n’importe quel laïc, garçon ou fille. Tout le monde étant prêtre, plus besoin de ministres particuliers du sacerdoce de Jésus-Christ, consacrés par les successeurs des apôtres, comme ceux-ci l’avaient été par les apôtres, comme les apôtres l’avaient été par le Christ… Ainsi, nous dit-on, nous aurons enfin « l’Eglise de l’Esprit » à la place de « l’Eglise de l’Institution ». Mais qui donc a institué l’Eglise, sinon le Christ ? Et que pourrait être une Eglise de l’Esprit qui ne serait plus celle que le Christ a voulue, demeurant constituée de fait comme il l’a voulue ? L’Esprit pourrait-il être opposé au Christ, à sa volonté ?

Ne nous y trompons pas, nous arrivons ici à un des moments décisifs où la question n’est plus seulement : serons-nous fidèles à l’Eglise catholique, ou la renierons-nous ? Mais, inséparablement : serons-nous fidèles à Jésus-Christ, ou lui tournerons-nous le dos ?

Louis BOUYER