Propos d'étape - France Catholique
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Propos d’étape

Entretien avec Frédéric Aimard, né en 1953, directeur, depuis 1998, de l'hebdomadaire France Catholique, fondé en 1924.

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Je voulais d’abord qu’on se mette d’accord – ou pas, d’ailleurs… – sur un premier point : j’ai le sentiment qu’en France, dans une partie de la société au moins, il y a une certaine opposition au phénomène religieux, qu’il soit catholique, islamique ou judaïque. Avez-vous le même sentiment ?

Frédéric Aimard : Absolument. Ça se décline en plusieurs « problèmes » : il y a une absence de culture religieuse qui paraît criante, une coupure avec la culture globale, qu’elle soit philosophique, artistique… Des générations entières seront incapables, en visitant le Louvre, de savoir de quoi parle cet héritage qui devrait être commun. A partir de cette méconnaissance, on peut se faire des idées qui sont obligatoirement fausses sur la religion.

Deuxièmement, il y a un phénomène médiatique qui est globalement hostile parce que l’Eglise est perçue comme étant du côté du pouvoir. Après Mai 68, l’Eglise a été chahutée, de l’intérieur et de l’extérieur, par la révolution sexuelle et par le mouvement « autogestionnaire » (bien oublié aujourd’hui). Maintenant, c’est par tous les libéralismes (la culture libérale-libertaire antireligieuse dont Canal + est le prototype) : tout ce qui représente une organisation prétendument « fermée » est rejeté. Vue de l’extérieur, l’Eglise est une hiérarchie parfaite, avec un point culminant qui paraît tout-puissant et qui définit des « dogmes » intangibles. Le dogme semble un élément dictatorial, ce qui est un contre-sens… mais à quoi bon tenter de s’expliquer là-dessus ?

Pour être plus trivial, pendant des années et des années, quand je proposais France Catholique sur des stands dans des rassemblements (à Paray-le-Monial ou à Lisieux), à l’époque de la montée du FN, j’ai dû supporter de bons catholiques qui, en voyant la Une du journal, lisaient « Front National ». Curieusement ça a disparu d’un coup. Vous pouvez dire ou être ce que vous voulez, les gens se font, le plus souvent, leurs idées sur vous sans vous et on ne sait pas comment les stéréotypes se forment ni comment ils finissent par disparaître.

Le climat est hostile aussi parce qu’il y a eu des phénomènes comme la pédophilie dans le clergé qui ont déclenché des campagnes de presse qui ne sont pas toutes déséquilibrées. Il est certain que de très hauts responsables de l’Église ont commis de grandes fautes en ne voulant pas voir l’ampleur du phénomène et en se montrant incapables de sanctionner les coupables. Cela dit, je suis bien persuadé que, dans l’Education nationale et toutes les structures d’encadrement de loisirs des jeunes, des pervers totalement laïcs ont sévi dans les mêmes périodes et probablement dans les mêmes proportions. On n’en parle pas encore beaucoup, mais ça viendra. Non ?

Enfin, il y a le contact réel avec la religion, qui se fait avec des personnes qu’on rencontre. Il peut être bon ou mauvais. Il est souvent très superficiel, ce qui peut encore donner des idées fausses.

L’Église, en langage chrétien, est composée de pécheurs et ça peut choquer non seulement les chrétiens mais aussi les gens qui sont extérieurs à la religion et qui constatent que les chrétiens proclamés font souvent le contraire de ce qu’ils disent. Comme on est dans la morale, et que la morale n’est plus enseignée, celui qui édicte des normes est accusé d’être un hypocrite.

Historiquement, un certain moralisme, en particulier à l’encontre des élites, s’associe souvent avec la perte de la foi : du temps des Lumières et de la Révolution française par exemple. Le désir de pureté sans Dieu, c’est toujours la catastrophe.

En tant que directeur de France Catholique, comment contredire ce phénomène anticatholique ?

J’essaye d’en faire abstraction. Je fais comme si toute cette image négative et hostile m’était finalement égale. Je pars du principe que les gens devraient s’informer et constater qu’on n’est pas ce qu’ils croient. C’est leur responsabilité, pas la mienne. J’essaye quand même de les aider à réfléchir sur ce sujet.

Par exemple à propos de l’homosexualité. Est-ce que l’Eglise est « homophobe » ? Je sais qu’elle ne l’est pas. Elle n’est certes pas favorable du tout au « mariage gay », mais les homosexuels sont accueillis dans l’Église. Il y a d’ailleurs beaucoup d’homosexuels chrétiens. Une chose que j’ai pu faire, c’est de donner la parole à Philippe Ariño, un écrivain et penseur qui est à la fois homosexuel et catholique. Nous avons édité un petit livre, « L’homosexualité en vérité », qui dit des choses fondamentales et intelligentes. Ça a été un succès d’édition à notre niveau. Notre public a très bien réagi au fait qu’on offre une tribune à cet intellectuel, qu’il n’aurait pas forcément eue ailleurs. Nous avons continué en participant à la diffusion de son disque, car il est aussi chanteur… On est à contre-image et l’infinie tolérance de notre public se manifeste bien à cette occasion.

Il n’y a jamais une tentation de se censurer pour attirer le public ?

Oui, on est souvent dans la prudence. On peut être si maladroit. Même si France Catholique s’adresse surtout à un public convaincu, nous sommes tout de même lus de l’extérieur. Et quand on fait des « bêtises », elles sont contre-productives. D’un point de vue de marketing simple, ce n’est pas bon, et d’un point de vue simplement humain, on risque de blesser, ce qui est le contraire de ce qu’on veut, mais on ne peut pas toujours faire plaisir à tout le monde.

Au moment de l’attentat à Charlie-Hebdo, nous avons mis la pancarte « Je suis Charlie » à la Une. Une partie de notre public a très mal réagi. Cela nous a coûté cher. On a fait ce qu’on a cru bon. Parce qu’il nous a semblé préférable, sur le moment, d’être du côté de la France attaquée et solidaires plutôt que de celui de ceux qui pensent qu’elle mérite de l’être à cause de ses péchés (vieux débat…). Ensuite les musulmans du Niger se sont mis à brûler les églises… Le Pape a expliqué que le blasphème entraînait la violence. Il n’a pas justifié cette dernière pour autant. C’était certes trois jours plus tard. Dans ces cas là, les explications ne servent pas à grand-chose. Au contraire, plus on s’explique, plus on s’enfonce. On dirait que les querelles de mots, les raisonnements binaires, les simplifications effacent les vérités psychologiques profondes. Comment faire comprendre que dire qu’on est ce qu’on n’est pas (par exemple au moment de l’attentant au Danemark, la pancarte tenue par la République française dans un dessin de notre caricaturiste Chaunu s’est transformée en « Je suis Danoise »… La France Catholique n’est pas plus danoise qu’elle n’est Charlie, et pourtant l’identification avec les victimes garde du sens). Enfin, ces périodes sont toujours très douloureuses à vivre. Si on est trop prudent, on a honte de soi. Si on s’engage trop on se détruit en même temps. Péguy a vécu et fort bien décrit cela avec sa revue dont il reconnaissait qu’elle mécontentait à chaque parution un bon cinquième de ses lecteurs, avec ce commentaire teinté d’humour : « La justice consiste seulement à ce qu’ils ne soient pas toujours les mêmes ». Mais Péguy n’était pas grand gestionnaire non plus…

Et puis, on peut passer d’un cinquième à l’autre. Le soir de l’attentat, je me sentais « Charlie » (sans évidemment approuver le contenu de ce journal), trois jours plus tard, je l’étais beaucoup moins. Quelques semaines après, quand j’ai vu sur Internet les raisons de ceux qui ne voulaient pas être Charlie, certaines m’ont semblé valables (quand elle venaient d’Afrique) mais, globalement, je me suis retrouvé à nouveau dans le premier camp. Il faut dire que le 11 janvier, j’étais pas hasard (car je n’ai pas participé à la manif) sur un quai de métro où j’avais mes habitudes de manifestant prises pour les Manifs pour tous. Et j’ai eu la surprise de retrouver là un petit groupe de jeunes gens qui s’étaient mobilisés contre la mariage homosexuel et que j’ai bien reconnu. Une très jeune fille, apprenant que 60 chefs d’Etats allaient participer au grand rassemblement «  républicain » où elle se rendait et retrouverait d’ailleurs ses parents, disait à ses camarades : « Pour la première fois de ma vie, je me sens fière d’être française ». Alors les tentatives de récupération de gauche avec un « esprit du 11 janvier » qui serait exclusivement « républicain et anti Front National », ou celles d’une certaine droite pour salir, avec des théories plus ou moins construites, la réaction spontanée des braves gens, pour moi c’est un peu du même ordre. Je n’aime pas qu’on attaque mon pays, par des attentats bien sûr, mais aussi, plus insidieusement, par des soupçons exagérés de manipulations quand il a une réaction massive et belle de refus de la violence.

Comment placer le journal par rapport au lecteur pour le conforter dans sa foi ?

Le journal est une espèce d’amicale : les abonnés sont souvent là depuis très longtemps. On a au moins deux sortes de public : le public de tradition, qui fonctionne pratiquement par héritage familial ; il ne demande pas à être convaincu, mais à être entretenu dans sa foi et informé sur des éléments de doctrine (théologie, liturgie etc.), sur la vie de l’Eglise (Rome, et tout ce qui peut se faire de catholique dans le monde et en France). Et puis il y a un public de nouveaux convertis ou de revenants vers la foi, qu’il faut parfois, paradoxalement, calmer un peu… Enfin c’est comme ça que je vois les choses. Il y a d’ailleurs un public qui nous est totalement propre, celui des descendants d’abonnés (des enfants, petits-enfants, neveux et nièces d’abonnés morts mais qui ont laissé un souvenir marquant de leur foi. Presque chaque année, nous recevons une belle lettre d’un homme ou d’une femme, parfois dans la force de l’âge, qui nous a « cherché partout » et qui renoue ainsi avec la foi en même temps qu’il fait tardivement son deuil d’un père ou d’une mère, d’un vieil oncle qui était religieux, etc.

Par « métier » et par volonté, on est toujours dans l’espérance, voire l’optimisme : on pointe le projecteur sur ce qui est nouveau ou prometteur. C’est une pratique qu’avaient déjà nos prédécesseurs : par exemple, dans les années 1970, le phénomène des nouvelles communautés « charismatiques » qui utilisaient des méthodes d’évangélisation et de louanges protestantes des Eglises américaines, s’est implanté en France. Alors que ces mouvements paraissaient très bizarres, même au sein de l’Eglise, nos prédécesseurs les ont aidés généreusement à se donner une crédibilité et une respectabilité. Ces mouvements sont aujourd’hui parmi les plus vivants de l’Eglise.

Mais cet optimisme est parfois de façade ou, disons, d’ordre surnaturel. Quand on sait qu’une voisine sur trois a subi un avortement ou bien accepte de jouer les cobayes de la procréation artificielle sans vouloir rien savoir des conséquences éthiques, que demain sans doute, un voisin sur deux laissera euthanasier ses parents, il faut vraiment se réfugier dans la prière pour ne pas craquer.

A propos des musulmans, dans France Catholique, parlez-vous d’autres fois que la foi catholique pour montrer une face plus positive de l’islam que celle qui est généralement présentée ?

Comme nous essayons de ne pas être dans l’homophobie, nous ne sommes pas dans l’islamophobie. Nous essayons parfois de repérer des interlocuteurs valables dans l’islam qu’on essaie de mettre en avant. Le regard qu’on peut avoir sur le Proche-Orient ou l’Afrique du Nord nous est souvent rapporté par des gens qui connaissent très bien ces régions car ils y ont vécu, ils y ont eu des amis et des voisins musulmans. Cela ne date pas d’hier. Si Hamza Boubakeur, père du recteur actuel de la Grande Mosquée de Paris était un grand ami d’un de mes prédécesseurs illustres : Jean de Fabrègues.

Les musulmans et les chrétiens n’ont qu’un seul et même Dieu. Cela ne fait pas de Mahomet un prophète inspiré à nos yeux, mais nous ne suspectons pas la sincérité des gens, ni leur fond de bonté.

Cela dit, on remarque sans doute trop peu, par prudence, les conversions de musulmans vers le christianisme. Il y en a en France (et quelques-uns parmi nos abonnés !) mais aussi beaucoup en Algérie et un peu au Maroc… Ce n’est pas toujours vers le catholicisme directement que ces anciens musulmans s’orientent, mais ce sont des phénomènes qu’on aimerait connaître mieux et pouvoir accompagner. On ne peut malheureusement pas souvent être utile à ces gens-là.

Je ne crois de toute façon pas que ni les catholiques, ni les Français soient si hostiles que cela à l’islam. A l’islam peut-être, mais pas aux musulmans qui sont leurs concitoyens. Aux Etats-Unis non plus d’ailleurs, après les attentats contre les Twin Towers, on n’a pas eu de vague de violence ou de racisme : les gens font la différence. Je ne crois pas qu’il y ait un gros travail de désintoxication à faire, nous n’avons pas de rôle particulier à jouer. Il faut faire confiance dans l’intelligence des peuples.

Ça peut évoluer en cas de coup dur, mais si c’est le cas, nous évoluerons tous de la même façon. C’est si difficile de ne pas être totalement de son époque, même quand on est catholique… De toute manière ce n’est que rétrospectivement qu’on peut prétendre dire qui s’est trompé, mais avec de nouveaux préjugés pas forcément meilleurs.

Le pape François est très populaire. Mais pas chez tous les catholiques. J’ai remarqué que vos amis du blogue The Catholic Thing semblent s’abriter derrière le cardinal Burke pour critiquer François.

Vous êtes un lecteur bien attentif. Ce blogue catholique américain, dont nous essayons de traduire presque chaque jour une chronique, est un portefeuille de signatures assez diverses. Je n’ai pas remarqué une hostilité récurrente. En tout cas elle serait bien moins marquée que celle de certains blogues catholiques de la sphère tradi française qui pensent s’être trouvé un nouveau porte-parole. Il paraît que le Cardinal n’était pas content de la démission du Pape Benoît. Mais là où il était, il aurait peut-être pu jouer un rôle plus déterminant pour protéger le Pape des trahisons qui ont eu raison de ses forces ? Je suppose que c’est cela qui a joué dans la décision du nouveau Pape de le nommer à un poste plus honorifique, plus que des déclarations plus ou moins à l’emporte-pièce et plus ou moins vérifiées ou sur-interprétées surtout lors de la préparation du synode sur la famille. Douter du charisme du successeur de Pierre ne me paraît pas une bonne chose. Cela ne peut rien apporter de bien.