Piégés par la croix - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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Piégés par la croix

Traduit par Isabelle

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Il y a deux mois, le jour de la fête du Christ Roi, mon fils aîné m’a tiré par la manche pendant la messe. Montrant du doigt le crucifix il a demandé : « Que veulent dire les lettres au-dessus de Jésus ? »

INRI

Je lui ai épelé à voix basse les lettres latines : Jésus de Nazareth Roi des Juifs.


« Les romains ont cloué cela au-dessus de la tête de Jésus pour le tourner en dérision. Ils pensaient qu’Il se prétendait le roi du monde, mais qu’il n’était juste qu’un rien du tout qu’ils pouvaient tuer en le crucifiant. »

« Oh » a dit James –Augustin de sa manière particulièrement songeuse.

« Alors, Jésus a piégé les romains. »

C’était au milieu de la messe. Nous venions de nous lever pour le Credo. J’ai murmuré : « Quoi ? »


« Les Romains ne pensaient pas qu’il était un roi, et se sont moqués de Lui pour montrer qu’il n’était pas un roi, mais en fait, il en était bien un. Il les a piégés. »

J’ai mis mon bras autour de James et j’ai dit :

« Oui, toute la chrétienté a piégé le monde. Le monde pensait que tout était moins important qu’en apparence, et que l’essentiel était le pouvoir terrestre. Et le christianisme dit : « Ha, je vous ai bien eus. » »

Puis je suis retourné à ma prière.

C’est une drôle de façon d’y penser, mais plus je réfléchissais à ce que James m’avait dit, plus cela me paraissait juste. En tous cas, cela me paraissait une façon perspicace d’escrimer le mystère de la Croix et la nature ironique de la royauté du Christ – ceci est ma façon de m’exprimer comme professeur de lettres.

Ils l’ont fouetté, dénudé, et battu ; ils ont mis une couronne d’épines sur sa tête et un sceptre de roseau dans sa main ; ils l’ont fait marcher dans les rues en une procession qui n’avait rien de royal, et ils l’ont suspendu à une croix pour qu’il meure, clouant au-dessus de sa tête un titre qui disait avec mépris et crachat, « voici votre roi ».

Une partie du piège de la Croix est sûrement qu’il ne se limite pas à la Croix. Nous comprenons le monde de travers si nous ne lisons pas, à travers son littéralisme brut, le sens « ironique » qui le sous-tend, au-delà et en deçà.

On peut tout tordre dans un sens ironique. Non pas dans le sens contemporain de sarcasme, où nous considérons que rien n’est sincère, ni sérieux ; c’est-à-dire pas dans le sens où l’on prononcerait « la signification du monde » seulement entre guillemets. Mais dans le sens d’une signification claire et facile. Cependant, il y en a une qui nous attend, profonde et difficile, et qui transforme ce que nous croyions savoir à mesure que nous avançons plus profondément dans la connaissance. Et si nous échouons à regarder plus loin, nous échouons à voir la vérité.

Je ne pense pas que je serai jamais capable d’apprécier Ulysses, le roman atrocement difficile de James Joyce. C’est regrettable, car j’ai toujours été intrigué par l’usage que fait Joyce du mythe, son parallèle entre les errances du héros de l’Odyssée, drôle, courageux, rusé et aux mille idées, et celles de Léopold Bloom, le juif de Dublin cocufié dont le chagrin à la mort de sa fille et les insécurités n’étaient compensés que par la délectation d’un foie bien frit.

La femme adultère de Bloom, Molly, traîne au lit à lire des romans vulgaires en attendant d’accueillir un amant en l’absence de son mari. Elle n’a rien d’une Pénélope excepté que, dans le plan de Joyce, elle est en fait Pénélope.

Que faisait Joyce en resituant l’épopée d’Homère dans son propre Dublin sordide du tournant du siècle ? En réincarnant l’Odyssée dans Bloom, et comme nous l’apprenons, Télémaque dans le jeune, sale et insouciant Stephan Dédale ? Est-ce que tout ceci n’était qu’une plaisanterie ?
Personne ne le savait.

Un des premiers critiques de ce roman, l’écrivain français Valéry Larbaud, a fait une conférence en insistant sur le fait qu’il ne faut pas le considérer comme une simple blague, un morceau d’humour, qui décrirait Bloom et d’autres hommes modernes comme des « chiens en vie » bien pâles en comparaison d’un « lion mort » comme celui de l’Odyssée. Il y a quelque chose de plus grave en jeu, a-t-il dit ; il n’a jamais expliqué quoi.

Toutefois, considérons ce moment du roman où Bloom entre par hasard dans une église pendant la messe, et voit de dos la chasuble du prêtre où il est écrit : « I.H.S. »

Il a vu le prêtre reposer le calice bien sur l’autel, et faire une génuflexion devant lui, laissant voir la grande semelle grise de sa botte sous le vêtement en dentelle qu’il porte… Une tonsure derrière. Des lettres sur son dos : INRI ? non, IHS . Molly m’a dit un jour que je le lui demandais : J’ai péché (I Have Sinned) : ou non, c’est: j’ai souffert (I Have Suffered) . Et l’autre? Des clous en fer ont pénétré ? (Iron Nails Ran In).

Molly, sensuelle et illettrée, mais catholique, prétend savoir exactement ce que veulent dire ces lettres codées ; Ce sont des acronymes pour  «  I Have Suffered », (J’ai souffert) et « Iron nails ran in » (Des clous en fer ont pénétré). Bloom commence à se faire piéger en croyant que ce littéralisme apparent est toute la vérité ; la blague s’est retournée contre lui, non pas parce que les lettres veulent dire cela ou n’importe quoi d’autre, mais parce qu’elles veulent dire encore plus.

Les codes IHS en anglais, sont les lettres grecques pour Jésus, que les premiers chrétiens utilisaient eux-mêmes comme un code. INRI est le code du latin de Pilate, qui voulait montrer combien le Christ était moins qu’un roi alors que, en fait, le Christ était plus qu’un roi, plus qu’un empereur romain, parce qu’il était le roi de toute la création.

On est généralement d’accord pour dire que Joyce était un apostat (bien que son ami Thomas MacGreevy dise que de temps en temps ils allaient à la messe ensemble). Mais on a souvent traité l’Ulysses de Joyce de grand roman catholique, et juste pour cette raison; Ce qui semble être de simples jeux littéraires, en fait, révèle que la littérature de ce monde porte en son sein un mystère en langue étrangère.

Etre catholique, c’est être quelqu’un qui voit que cette littérature et son sens caché ne sont pas une simple plaisanterie, ou du moins pas le genre de plaisanterie à laquelle nous sommes habitués. Le monde a été piégé par Dieu ; Quand nous croyons que nous avons bien cloué sa signification et l’avons réduite à un acronyme que nous pouvons facilement expliquer, Dieu retourne les choses sur l’axe de la croix et – Ah – révèle quelque chose d’infiniment plus grand que ce que nous aurions jamais pu concevoir de nous-mêmes.

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Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/01/10/pranked-by-the-cross/