Notre consensus national se désagrège de façon critique - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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Notre consensus national se désagrège de façon critique

Traduit par Bernadette Cosyn

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Il y a quelques semaines, j’ai écrit sur les grandes divisions perturbant la société américaine de nos jours et sur la possibilité d’une seconde guerre civile (NDT : la première ayant été la Guerre de Sécession). Le paragraphe de conclusion de cet article contenait ces mots : « Je me console avec la pensée que les assassinats n’ont pas encore commencé ». Aujourd’hui, j’aurais dû dire : « Je me console avec la pensée que les tentatives d’assassinat n’ont pas encore réussi jusqu’ici ».

Ces deux dernières semaines, suite aux bombes dans le courrier et aux meurtres de masse dans la synagogue de Pittsburgh, les ondes ont été pleines de voix célèbres, tant libérales que conservatrices, appelant à la restauration de l’unité nationale.

Quand l’ancien vice-président Joe Biden, un libéral très connu, a ajouté sa voix à celles de ceux qui déploraient la division et appelaient à l’unité, je me suis dit :  « Fort bien ! Magnifique ! Cela veut dire que les libéraux comme Biden vont arrêter de me traiter, moi, conservateur culturel, de raciste, de sexiste, de xénophobe, d’islamophobe et de transphobe. »

Mais bien sûr, l’appel de Biden à l’unité nationale ne signifie rien de tel. Il signifie : « nous pouvons avoir l’unité en Amérique uniquement si les dinosaures moraux tels David Carlin adhèrent au programme ; uniquement s’ils renoncent à leur haine et essaient de se ranger du bon côté de l’histoire. »

Je suppose que Biden se considère lui-même comme l’exemple vivant de la façon dont les libéraux et les conservateurs peuvent se réconcilier. « Dans la mesure où je suis catholique, je suis conservateur, peut-il se dire à lui-même, mais dans la mesure où je soutiens l’avortement et le mariage unisexe, je suis libéral. Pourquoi tout le monde ne peut-il pas être comme moi ? Pourquoi chacun ne peut-il pas embrasser les valeurs catholiques en mots et embrasser en réalité les valeurs anti-catholiques ? »

La plupart de ceux, droite et gauche confondues, qui appellent à l’unité nationale semblent croire que c’est seulement affaire d’être polis les uns envers les autres. Si les politiciens avaient vraiment une authentique volonté d’unité, l’unité s’ensuivrait. Si seulement Donald Trump et les détracteurs de Trump (par exemple CNN et MSNBC) se décidaient à se montrer mutuellement plus de respect, notre pays serait un pays heureux.

Et – si seulement – à un moment du début de l’année 1861, Abraham Lincoln et Jeff Davis s’étaient assis autour d’une sympathique tasse de thé (ou d’un bourbon), la Guerre de Sécession aurait pu être évitée.

Mais nos divisions nationales sont bien plus sérieuses que cela, bien plus profondes. Nous sommes au milieu d’un affrontement de visions du monde – au au moins de visions d’une nation. Quelle sorte de nation les USA deviendront-ils ?

Seront-ils une nation complètement sécularisée dans laquelle la religion et une morale basée sur la religion jouent un rôle minime, voire pas de rôle du tout ; une nation dans laquelle le gouvernement central sera un être quasi divin, ayant le pouvoir de résoudre tous les problèmes ? Ceci est la vision « progressiste », ou ce qu’il est convenu d’appeler la vision d’une « nouvelle Amérique ».

Ou seront-ils une nation dans laquelle la religion (et tout particulièrement le christianisme) joue un rôle majeur ; une nation dans laquelle on attend des individus et des familles qu’ils soient autonomes et où le gouvernement ne fait que les choses que les individus et associations soit ne savent pas faire, soit ne le font pas aussi bien que lui ? Ceci est la vision « conservatrice », ou comme on peut l’appeler « la vision de l’Amérique à l’ancienne mode » (et la vision catholique de subsidiarité).

Je ne vois que deux moyens possible de restaurer une unité nationale effective.

L’un des moyens est que l’un des deux camps de la grande guerre culturelle gagne d’une victoire quasi totale tandis que l’autre camp souffre une défaite quasi totale. C’est de cette manière que nous avons traité une précédente guerre culturelle, celle qui avait à voir avec l’esclavage.

Puisque une autre véritable guerre civile, avec de véritables armées marchant l’une contre l’autre est improbable, le camp qui espère gagner la guerre culturelle actuelle devra gagner la bataille de la propagande ; ce qui signifie devenir dominant dans les organes de propagande culturelle de la société – c’est à dire les écoles, les lycées, les universités, les médias journalistiques principaux et l’industrie du divertissement.

Puisque les progressistes dominent actuellement ces organes, il est plus que vraisemblable que les progressistes vont gagner la guerre de propagande et donc la guerre culturelle. Nous les conservateurs, nous serons réduits au statut des Confédérés vaincus après la Guerre de Sécession. Tout en vivant dans la nouvelle Amérique, nous nourrirons l’espoir que la vieille Amérique «ressuscite» un jour.

Une autre possibilité est que les deux camps, gauche et droite, trouvent quelque chose de vraiment important sur quoi être d’accord,ce qui rendra nos différences culturelles relativement sans importance. La religion avait l’habitude de remplir cette fonction. Bien que les USA n’aient jamais eu de religion d’état formelle, nous avons eu durant une longue période une religion nationale informelle : le protestantisme.

Ce n’était pas le protestantisme d’une dénomination particulière, mais le protestantisme en général. Mais quand cela n’a plus fait l’affaire, parce que de nombreux catholiques et juifs sont venus en Amérique, notre religion nationale est devenu ce que nous appelons notre « héritage judéo-chrétien ».

Mais avec l’essor de l’athéisme et de l’agnosticisme, cela aussi a cessé de fonctionner. Alors nous nous sommes tournés vers un consensus moral, mais cela s’est rapidement effondré puisque nous ne pouvions pas nous mettre d’accord ni en matière de sexualité (avortement, homosexualité) ni sur une théorie générale de morale.

Alors y a-t-il une chose réellement importante pour laquelle tous les Américains – les catholiques, les protestants, les juifs, les musulmans, les bouddhistes, les hindous, les agnostiques, les athées, les homosexuels, les hétérosexuels, les bisexuels, les transgenres, les mangeurs de viande, les végans, les amis des chiens, les amis des chats, les sadomasochistes etc. – puissent être d’accord ?

La seule chose à laquelle je puisse penser est une activité commerciale passionnée et incessante, c’est-à-dire une frénésie folle de faire de l’argent et de le dépenser. Le genre de chose que Wordsworth, comme s’il anticipait nos problèmes actuels, a dépeint dans son sonnet, « Le monde est trop avec nous ». Ivres de « gagner et dépenser », nous penserons à l’Amérique, non comme à une patrie, mais comme à rien de plus (ou de moins) qu’une immense association commerciale.

A l’exception de quelques-uns d’entre nous, personne ne se souciera plus des idées et des valeurs qui à l’heure actuelle excitent les progressistes et les conservateurs. Les USA seront spirituellement superficiels et unifiés au minimum, à moins que – cela semble probable – l’association commerciale se révèle une base trop faible pour tenir ensemble une nation.

Qu’arrivera-t-il alors ? Qui peut le dire ? Mais ce ne sera pas brillant.


David Carlin est professeur de sociologie et de philosophie au Community College de Rhode Island.

Illustration : « Instruments de pouvoir » (de la série « l’Amérique aujourd’hui » de Thomas Hart Benton, 1931 [le Metropolitan Museum, New York] Cette peinture est l’une des dix peintes par Benton pour la salle de conférences de la Nouvelle Ecole de Recherche Sociale de New York.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/11/03/our-critically-disappearing-national-consensus/