Le lien entre la morale et la loi, la religion et la politique est Ă©vident — plus prĂ©cisĂ©ment, Ă©tait Ă©vident. Les lois devraient ĂŞtre conformes Ă la morale et impliquer une morale. La religion, pour le moins, devrait promouvoir la morale. Les politiciens dĂ©tenant un pouvoir devraient appliquer des lois conformes Ă la morale, et, Ă l’occasion, devraient rejeter des lois clairement contraires Ă la morale.
Mais ces diffĂ©rents domaines — lois, religion, etc. — sont distincts de la morale et bien souvent n’y coĂŻncident pas. La morale touche le bien et le mal, et, dans l’idĂ©al, s’appuie sur des considĂ©rations de conformitĂ© Ă la loi naturelle. Les lois publiques ont pour but le maintien de l’ordre social et de la justice, et peuvent donc nĂ©gliger les infractions morales indĂ©pendantes de la loi. La religion, dans l’idĂ©al, doit nous guider au-delĂ du strict minimum de nos obligations pour dĂ©velopper perfection et harmonie socialement et personnellement. Et les politiciens attachĂ©s Ă la morale, pratiquant « l’art du possible » et souvent confrontĂ©s Ă des situations complexes se heurteront Ă des limites entre leurs pouvoirs personnels et les attitudes morales de leurs mandants.
On a de nombreux exemples de tels cas dans des affaires judiciaires amĂ©ricaines rĂ©centes. Quand la sentence de l’affaire Griswold v. Connecticut (1965) a retoquĂ© les lois de l’État restreignant la contraception, mĂŞme un juge de la Cour SuprĂŞme considĂ©rant que la contraception est immorale ne pouvait que reconnaĂ®tre, avec la majoritĂ©, l’impossibilitĂ© de rĂ©glementer des pratiques privĂ©es et intimes au nom des lois existantes.
Quand fut traitĂ© le procès Lawrence v. Texas (2004) contre les lois sur la sodomie de semblables considĂ©rations auraient pu ĂŞtre Ă©voquĂ©es — le bras de la loi ne peut atteindre les pratiques privĂ©es d’adultes consentants. St. Thomas d’Aquin, d’accord avec St. Augustin, reconnaissait que les lois civiles pouvaient tolĂ©rer la prostitution dans certains cas afin d’Ă©viter les manifestations qu’entrainerait une interdiction. Plus rĂ©cemment, des lĂ©gislateurs des États de Washington et de l’Oregon [extrĂŞme Nord-Ouest, cĂ´te du Pacifique] peuvent opposer la morale Ă l’usage de la lmarijuana, ce qui ouvrirait la voie Ă la pratique de la drogue, mais dĂ©cidèrent de le dĂ©pĂ©naliser tout simplement pour prĂ©server l’ordre social et orienter ailleurs l’action de la police.
On le sait bien, faire la part des choses Ă propos de ces affaires « de prĂ©caution » est une chose (et pourtant combien croient que « permission » signifierait « approbation »). Mais les questions fondamentales soulevĂ©es par l’avortement, le mariage gay, et les procĂ©dures douteuses introduites par les obligations de l’assurance-santĂ© « Obamacare » sont autre chose, de tout autre importance.
Les sondages de ces dernières annĂ©es montrent que plus de 70 pour cent des personnes interrogĂ©es considèrent que l’avortement devtrait ĂŞtre interdit, ou autorisĂ© seulement dans certains cas. Les plus frĂ©quemment citĂ©s sont: le viol, l’inceste, la mise en danger de la mère. En d’autres termes, une grande majoritĂ© soutiendrait une mise hors-la-loi de l’avortement pour convenances personnelles. Et donc, si un lĂ©gislateur catholique, au niveau de l’État ou au niveau FĂ©dĂ©ral, pour qui tout avortement est immoral, et prĂ©fèrerait se rĂ©fugier derrière un amendement Ă la Constitution, devait s’exprimer sur une loi interdisant l’avortement, avec les exceptions mentionnĂ©es, se sentirait-il (elle) en droit d’approuver cette loi? Les trois exceptions impliquent un conflit de droits — dans le cas du viol ou de l’inceste les « droits de procrĂ©ation » de la femme (et non le « droit de choix de procrĂ©ation », comme dit en gaucho-novlangue). Quant aux menaces sur la vie de la mère, les bioĂ©thicistes catholiques reconnaissent que certaines procĂ©dures peuvent ĂŞtre suivies, induisant l’avortement. Le lĂ©gislateur imaginaire Ă©voquĂ© ci-dessus pourrait aussi se sentir justifiĂ© en soutenant une loi limitant l’avortement au premier trimestre de grossesse, suivant l’exemple de nombreux pays europĂ©ens — si une telle loi avait une chance d’ĂŞtre adoptĂ©e et appliquĂ©e.
Mais le devoir moral pour un tel lĂ©gislateur est parfaitement Ă©vident: voter pour un droit illimitĂ© Ă l’avortement ne saurait jamais ĂŞtre moralement permis. Trop peu de gens semblent le comprendre.
Comme je l’Ă©crivais dans un article rĂ©cent, il y a une grande mais souvent insoupçonnĂ©e diffĂ©rence de comprĂ©hension de la signification du mariage entre catholiques, protestants, et laĂŻques. Si le mariage n’est qu’un contrat civil soumis aux règlements de l’État, avec d’immenses possibilitĂ©s d’extensions concevables pour la plupart d’entre nous, on peut imaginer qu’un contrat entre personnes de mĂŞme sexe, c’est-Ă -dire une union civile enregistrĂ©e par des autoritĂ©s protestantes ou civiles soit dĂ©clarĂ© « mariage ». En raison d’Ă©volution dans les points de vue, beaucoup de gens, y-compris, hĂ©las, des catholiques, ont adoptĂ© la thèse, sans bases scientifiques, que les homosexuels le sont « de naissance ». On assiste maintenant Ă l’Ă©mergence d’un « droit civil » selon l’Ă©galitĂ© de race et de sexe. Une telle Ă©volution largement rĂ©pandue (mais sans fondement scientifique) autoriserait-elle un politicien catholique, mĂŞme exprimant des objections morales Ă la sodomie, Ă soutenir des lois permettant ces « unions civiles » ?
Une question saute aux yeux: l’Église serait-elle contrainte de cĂ©lĂ©brer des mariages entre homosexuels — ce qui serait blasphĂ©matoire [NDT: aux États-Unis il n’y a pas de mariage civil prĂ©cĂ©dant un mariage religieux Ă©ventuel. Une « Licence » Ă©tant acquise auprès des services de l’État-Civil, c’est la cĂ©rĂ©monie, religieuse ou civile, qui concrĂ©tise et lĂ©galise l’union matrimoniale devant un religieux ou un juge.]. La dĂ©cision d’un politicien, en dernière analyse, doit se prendre selon le principe de libertĂ© religieuse.
Au-delĂ de ce cas hypothĂ©tique, on touche le sĂ©rieux et très grave problème de libertĂ© religieuse posĂ© par les contraintes de l’assurance-santĂ© « Obamacare ». On pourrait faire appel Ă la casuistique jĂ©suite en l’occurrence. Au niveau du contribuable, si un catholique contractant son assurance-santĂ© n’a pas le choix d’exclure les cotisations relatives Ă la contraception, la stĂ©rilisation et l’avortement mais a l’obligation de souscrire la-dite assurance — c’est un cas analogue pour un contribuable Ă qui on demande de participer indirectement Ă des dĂ©penses gouvernementales qu’il rĂ©prouve comme injustes, immorales ou criminelles. Autrement dit se soumettre Ă cette loi injuste (Obamacare) est vraisemblablement tolĂ©rable au plan individuel.
Mais en ce qui concerne les lĂ©gislateurs catholiques, voter pour une telle loi sans la combattre serait inexcusable, et, pour des politiciens catholiques, soutenir et promouvoir de telles lois — en-dehors de l’Ă©vidente anti-constitutionnalitĂ© Ă propos de libertĂ© religieuse — serait plutĂ´t bizarre.
Dans le chaos éthique de notre système démocratique actuel, nous traversons chaque jour des champs de mines morales. Il faut garder un œil vigilant sur les principes de morale — expliquant soigneusement quand et comment émettre des jugements de prudence. Mais le gros du travail consiste, comme toujours, à ratisser la moralité afin de réduire la menace de ces champs de mine.
— – Photo : En France, Manif contre le « mariage pour tous » – avril. Source : Morality and Its Interconnections
— – Photo : En France, Manif contre le « mariage pour tous » – avril. Source : Morality and Its Interconnections
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