Morale et Realpolitik

par Gérard Leclerc

mercredi 4 mars 2020

© Jim Black / Pixabay

Des milliers de migrants se pressent aux frontières de la Grèce, poussés par la Turquie qui exerce ainsi un chantage sur l’Europe pour faire plier ses dirigeants. L’exigence humanitaire doit-elle prévaloir dans pareille situation, alors que d’autres problèmes politiques se posent ?

Les moralistes de métier, qui ont peu à voir avec ce que Nietzsche dénonçait en s’en prenant à la moraline, sont familiers avec le concept de conflits de devoirs. Oui, dans l’ordre de la morale, la conscience n’obéit pas toujours à ce que Kant appelait « un impératif catégorique ». Il existe des situations d’une complexité telle que l’on est contraint d’envisager des obligations contradictoires. Ce qui se passe, en ce moment, aux frontières de l’Europe, plus particulièrement à celles de la Grèce, place ainsi la conscience devant un douloureux dilemme. Le président turc Erdogan a, en effet, décidé d’encourager des centaines de milliers de migrants présents sur son territoire à se diriger vers l’Europe. Une Europe, qui se raidit devant une telle perspective, ayant gardé le souvenir du million de migrants qu’Angela Merkel avait accueilli dans son pays en 2015, ce qui l’avait durablement déstabilisé.

On pense bien sûr au sort épouvantable de toute cette population, avec femmes et enfants, qui se pressent aux abords de la Grèce et qui sont durement repoussés par les forces de l’ordre et malmenés par des habitants exaspérés. Que le pape François, une fois de plus, prenne leur défense, n’est-ce pas de l’ordre de la plus élémentaire compassion ? Que les militants des ONG voués à l’aide des naufragés et de ces migrants en détresse fassent valoir les droits de toutes les personnes en danger est aussi compréhensible. Ces militants ne sont-ils pas, aujourd’hui, sous la menace d’une loi répressive qui les assimile à des délinquants ?

Mais par ailleurs, on se doit de constater que nous sommes en présence d’un problème politique où ces migrants sont les otages d’un chantage et d’un rapport de force. Le président Erdogan veut faire plier les dirigeants européens, en leur imposant cette nouvelle vague massive de réfugiés, parce qu’il est en difficulté sur le terrain des combats en Syrie. Une Syrie qui, par ailleurs, est aussi l’objet de graves conflits de devoirs, avec des combats qui ont jeté sur les routes des centaines de milliers de civils. L’Europe peut-elle plier face au chantage de la Turquie ? Mais par ailleurs, peut-on abandonner, le cœur léger, tous ces malheureux, victimes innocentes d’enjeux qui les dépassent ? Y a-t-il un compromis possible entre la Realpolitik et l’urgence humanitaire ?

Chronique diffusée sur radio Notre-Dame le 4 mars 2020.

Messages

  • A l’heure tout un chacun vaque aux aléas d’une campagne électorale locale, le défi d’une arrivée numérique de migrants utilisés comme monnaie de change pour faire pression sur l’EUROPE est peu évoqué par les candidats aux échéances prochaines.
    Pour cause le sujet est trop sensible et les électeurs peu disposés à accueillir chez eux ces arrivants.
    La morale personnelle de l’accueil de l’étranger en déroute est encore novateur pour la conscience individuelle des chrétiens disposés à aider l’autre sur le principe humanitaire en le souhaitant bien localisé chez lui.
    Le défi à grande échelle de cette "menace migratoire" dépasse les facultés des associations de bienfaisance.
    Elles savent le prix à payer au delà de l’aide pécuniaire de première nécessité.

    La jeunesse de ces arrivants, sa détermination sans frontière et sans ressource la pousse à tenter la dernière chance faute de mieux pour eux.

    L’espèce humaine devenue un objet de chantage politique dérange de toute évidence les dirigeants pris au dépourvu face au risque d’une invasion non préparée.

    On pouvait craindre de la Turquie ce rapport de force en puissance.
    On le craignait par le sud de l’Espagne et les pays du magreb, on découvre que c’est par l’est du continent européen, le plus fragile que les auteurs de ce chantage économico politique exercent leur pression.

    Les églises chrétiennes, les associations humanitaires, seront vite débordées par l’afflux migratoire.
    On devine que là où le débat des retraites des uns, l’épidémie du coronavirus des autres cristallisaient les esprits, ce défi humanitaire prend de court des pays comme les nôtres pour lesquels l’usage de l’arme de la force ne peut satisfaire à terme la quête de solutions.

    Tout un chacun, croyant ou agnostique ne pourra nourrir le sentiment d’indifférence face au problème et les solutions sont à venir…
    Mais lesquelles ?
    Vaste question, véritable interrogation, épreuve de vérité sur le socle des Droits Humains Universels dont nous sommes les héritiers et les inspirateurs dans le monde.
    Demain sera un autre jour mais aujourd’hui le monde change pour eux et pour nous.
    Nous en sommes les témoins contraints, nous devons en devenir les acteurs audacieux !

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