Lorsque le père est indigne et que la mère resplendit - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Lorsque le père est indigne et que la mère resplendit

Légionnaires du Christ : Petite réflexion sur la paternité et la maternité spirituelle

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Lors de la session de l’ICSA – congrès annuel d’étude sur le phénomène sectaire – qui s’est tenu en Italie du Nord, à Trieste, du 4 au 6 juillet, sur le thème: « Des dérives sectaires dans l’Eglise Catholique ? », il y a eu notamment un exposé à propos de la Légion du Christ et du fondateur, de douloureuse mémoire, le père Marcial Maciel Degollado.

http://www.france-catholique.fr/Le-scandale-Maciel.html

Le témoin a voulu exposer l’aveuglement des autorités ecclésiastiques – et des papes, de Pie XII à Jean-Paul II – sur la vraie personnalité du père Maciel, à partir de cette maxime tirée de l’Evangile: Si le fruit est bon, c’est que l’arbre est bon. Mais il ne me semble pas qu’on ait affronté la vraie question malgré le dossier étoffé en forme de réquisitoire, ce que l’on comprend aisément face à une telle trahison.

L’échec d’une canonisation sans procès

On connaît le passage de l’évangile selon Matthieu invoqué : « Gardez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous vêtus en brebis mais qui au-dedans sont des loups rapaces. C´est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Cueille-t-on des raisins sur un buisson d´épines, ou des figues sur un chardon ? Ainsi tout bon arbre produit de bons fruits, mais l´arbre malade produit de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits, ni un arbre malade porter de bons fruits. Tout arbre qui ne produit pas un bon fruit, on le coupe et le jette au feu. Ainsi donc, c´est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez » (7, 15-21).

On a identifié l’arbre avec le fondateur et le fruit avec la fondation. Il y a du bon dans la fondation, donc le fondateur est bon. Or est-on sûr que l’arbre puisse représenter un fondateur? Et est-on sûr que le fruit soit la fondation?

Laissons de côté la logique formelle ou les méthodes exégétiques. Appuyons-nous plutôt sur l’expérience du discernement de l’Eglise. Si l’on identifie l’arbre à une personne, il faudrait identifier ses « fruits » non pas à ses œuvres extérieures, mais à ses vertus. On parle de vertus « héroïques », selon l’expression technique des procès de béatification. Pour béatifier un baptisé, on examine non seulement ses œuvres extérieures, ses paroles, mais ses actes, la façon dont il a vécu les vertus humaines et chrétiennes. On recueille des témoignages. Il semble qu’on ait canonisé le père Maciel de son vivant sans les précautions habituelles des procès de béatification. Y compris hélas des journalistes. Certains ont ensuite demandé pardon à leurs lecteurs de s’être laissés berner – enquête journalistique insuffisante – et de les avoir ainsi bernés, et surtout pardon aux victimes, de ne pas les avoir entendues, ajoutant une nouvelle injustice à leur souffrance.

Bernés, de Pie XII à Jean-Paul II

En 1948, des mises en cause conduisaient Rome à annuler l’autorisation canonique de la Légion. Entre 1956 et 1959, le fondateur était dénoncé pour usage de stupéfiants et il était suspendu de ses fonctions, puis acquitté.
En 1997, huit anciens séminaristes de la Légion avaient rompu l’omerta, accusant le fondateur, d’abus sexuels remontant à 1940 et 1960, dans le Hartford Courant, un quotidien américain. L’année suivante, ils apportent le dossier au cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Doctrine de la foi. Mais il a des bâtons dans les roues. Le fameux adage sur l’arbre et ses fruits est réduit à un raisonnement un peu court: bons fruits – nombre de vocations notamment -, arbre bon. Mais la secte Moon aussi recrute. Ce n’était pas un argument. C’est en décembre 2004 que la Congrégation pour la doctrine de la foi décide de faire toute la lumière. Et en janvier 2005 le père Maciel quitte la tête de la Légion.

Les papes ont été bernés, de hauts prélats aussi, peut-être aveuglés par des dons généreux à des œuvres de charité. Mais en 1997, le cardinal Ratzinger en revanche, aurait repoussé l’enveloppe qu’on lui tendait après une conférence. L’anecdote est connue.

Jean-Paul II était marqué par les procès truqués des soviets contre des prêtres impeccables — discréditer les prêtres pour discréditer l’Eglise, seule résistance organisée contre la dictature communiste . Et comme le Mexique avait vécu une violente persécution anti-catholique au début du XXe s., il était aisé de penser qu’on voulait aussi dénigrer un saint prêtre.

Benoît XVI représentait une autre tradition, une autre expérience d’Eglise. Dès son élection, en avril 2005, son successeur à la Doctrine de la foi, le cardinal William Joseph Levada, s’est saisi de l’enquête, selon la volonté du pape: l’enquête a été reprise et achevée.

La presse a titré, en mai 2006, qu’après dix ans d’enquête et 5 ans d’instruction, le pape Benoît XVI « punissait » le père Maciel, qui avait alors 85 ans, pour abus sexuels. La Congrégation pour la doctrine de la foi, qui a son propre tribunal, a vérifié la véracité des accusations portées contre le prélat mexicain, décidant, au vu des résultats de l’enquête, non pas d’un procès, qui risquait bien de ne pas s’achever avant la mort du fondateur, mais de sanctions immédiates: il a été «invité à une vie discrète de prière et de pénitence» et «à renoncer à tout ministère public». Il s’est éteint en février 2007.

Plusieurs fois le pape a préféré des sanctions canoniques ou administratives immédiates plutôt qu’un procès qui aurait traîné en longueur et auquel le coupable n’aurait pas survécu, étant donné l’âge ou la maladie: il n’aurait donc jamais été sanctionné.

Aucun sentiment religieux authentique

Frédéric Mounier a pu écrire, dans La Croix, en octobre 2012, pour résumer l’action décidée de Benoît XVI contre le péché dans l’Eglise: « Depuis avril 2005, Benoît XVI a ainsi « accepté » 78 démissions d’évêques, soit un tous les 36 jours. Si le chiffre est négligeable par rapport aux 5000 évêques que compte l’Eglise, le rythme manifeste une ferme volonté pontificale de « purificazione », comme on dit au Vatican. Sur le total, seulement cinq relèvent de raisons de santé, la majorité relevant de scandales sexuels et affectifs. Dans la même perspective de « purificazione », il faut lire, depuis la nomination en 2010 du cardinal Velasio de Paolis à la tête de la congrégation des Légionnaires du Christ, le remplacement quasi-intégral de l’état-major de la Congrégation fondée par Marcial Maciel, désormais connu comme pervers sexuel. Sans oublier également le renouvellement des responsables de la branche laïque de la Congrégation, « Regnum Christi ». Sans aucun doute, Benoît XVI a ainsi rejeté la culture du secret et pratique la « tolérance zéro », pour les évêques comme pour les prêtres. »

Le jugement de Benoît XVI est donc tombé en 2006 : « Les comportements très graves et immoraux du père Maciel, confirmés par des témoignages irréfutables, se présentent parfois comme de vrais délits et démontrent une vie sans scrupule ni sentiment religieux authentique. »

Après ce détour historique succinct, revenons à la question de départ: bons fruits, bon arbre? Quelle conception de l’Eglise se profile derrière ce raisonnement? En d’autres termes, une fondation, est-elle toujours et seulement l’œuvre d’un fondateur? Lorsque le pape Ratzinger parle de « mystère » devant le fait qu’un fondateur manipulateur ait pu fonder une communauté qui porte, elle, des fruits – vocations, évangélisation, œuvres de charité – il touche peut-être quelque chose de ce « mystère » qui demeure invisible lorsque le fondateur est un saint éblouissant, qui l’éclipse.

Les vertus éclatantes d’un François d’Assise, d’un Ignace de Loyola, d’une Thérèse d’Avila, d’un François de Sales cachent une grande réalité: ils n’auraient rien pu fonder sans l’Eglise! Leur intuition a porté du fruit parce que greffée sur la sève de la Mère Eglise. Les hérétiques d’autrefois, séparés de l’Eglise, ont disparu.

Quelqu’un qui aurait très bien pu fonder une secte – don de manipulation, d’organisation, de recruter, d’attirer l’argent, capacité de mentir – ne l’a pas fait: il a choisi de confier sa fondation à l’Eglise. Voilà une réponse à la question: comment la Légion a-t-elle pu porter de bon fruits quand le fondateur se rendait coupable de crimes? Je raisonne observateur extérieur – mais catholique baptisé – qui essaye de réfléchir aux points chauds de l’histoire de l’Eglise aujourd’hui pour y discerner l’enseignement à recueillir.

La splendeur de la Mère

Lorsque la sainteté éclatante du fondateur attire sur lui l’attention de l’hagiographie, la Mère nourricière de la fondation – l’Eglise, ses sacrements, sa tradition spirituelle et apostolique, etc – reste dans l’ombre. Au contraire, lorsque le père est indigne, ce qui éclate c’est la Maternité de l’Eglise qui prend en charge les enfants qui lui sont confiés. Une maternité que Rome a aussi incarnée avec Benoît XVI qui a placé la Légion sous sa responsabilité, a décidé de l’accompagner dans cette phase douloureuse de son histoire, plutôt que de la supprimer du paysage ecclésial, comme d’aucuns, scandalisés ou victimes, l’auraient souhaité. Lorsque la Légion envoie ses séminaristes étudier dans une université pontificale comme l’université grégorienne par exemple, c’est une façon de greffer la fondation sur la bonne sève de la théologie et de la spiritualité de l’Eglise. Et c’est cela, et non pas une pseudo-paternité, qui a fait porter du fruit à l’institution.

Un tel fondateur peut certes communiquer ses travers à sa fondation: Internet regorge de témoignages accablants, de première main. Mais je voudrais ici insister sur ce fait tellement négligé que si la Légion a tenu malgré ce tremblement de terre, c’est que le fondateur n’a pas fondé la Légion sur lui-même mais sur l’Eglise. Que partout où la Légion a grandi, elle l’a fait grâce à l’Eglise locale. Les vocations ont été portées par des familles chrétiennes. On parle trop souvent de la maternité de l’Eglise de façon abstraite. Voilà peut-être un exemple concret de la splendeur et du mystère de la Mère Eglise.

Cela signifie peut-être aussi une mission pour la Légion: mission de continuer à se libérer de l’emprise du passé, pour ressembler de plus en plus à la Mère. Pour que grâce à ce drame soit providentiellement révélée la splendeur de la maternité de l’Eglise.

Benoît XVI a souvent répété que dans l’Eglise étaient à l’oeuvre le principe pétrinien et le principe marial. Quand un fondateur n’incarne pas le principe pétrinien – l’amour de Pierre pour le Christ et pour ses brebis va jusqu’au martyre – le principe marial, d’une mère virginale et maternelle, servante et souveraine, peut d’autant plus éclater. Et si la Légion avait pour vocation aujourd’hui de faire resplendir aux yeux du monde la bonté maternelle de l’Eglise qui n’abandonne pas ses enfants lorsque le père est indigne, au contraire les fait grandir droitement au service l’annonce de la bonne nouvelle à ce monde en feu et révéler le mystère de la maternité de l’Eglise?

Une grâce reçue qui deviendrait une vocation

Beaucoup souhaitent un changement de nom de la Légion. La métaphore militaire étant particulièrement imbuvable, spécialement en français, et constituant un mur avant même le premier contact… Mais ce serait commencer par l’extérieur. Commencer par l’amour de l’Eglise mère, de l’intérieur, dans l’action de grâce, portera sans aucun doute des fruits spirituels de purification et des fruits apostoliques, moyennant un diagnostic précis, pour s’en libérer, des comportements qui ont pu avoir quelque chose de sectaire – à l’instar d’autres communautés nouvelles catholiques, qui ne sont pas pour autant des sectes. Et peut-être alors un changement de nom pourrait-il incarner cette bonté maternelle qui a préservé la fondation de devenir une secte dans l’Eglise, peut-être pourrait-il aider à aller de l’avant avec un élan nouveau, un nouveau printemps.