Les vertus du rire et du jeu - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Les vertus du rire et du jeu

Un sain relâchement est préconisé par saint Thomas d'Aquin lui-même.

ÉTÉ

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© Fred de Noyelle / Godong

Le film tiré du roman d’Umberto Eco, Le nom de la rose, a mis dans la tête de beaucoup de gens que la doctrine catholique médiévale condamnait le rire, la détente et le jeu. On se rappelle la face terrifiante du bibliothécaire aveugle, déclamant d’une voix caverneuse la Règle de saint Benoît : Verba vana aut risui apta non loqui – « Il ne faut pas prononcer de paroles vaines ou qui soient propres à faire rire ».

Ainsi aurait-il fallu attendre la Renaissance et, chez nous, le truculent Rabelais, pour que l’on s’avise enfin de ce que « le rire est le propre de l’homme ». Nous avons tous ânonné ces poncifs dans nos dissertations de lycée. La réalité est évidemment plus complexe.

La bonne humeur comme vertu

Que les ordres religieux, où la parole est comptée, n’aient pas autorisé les paroles vaines, cela se comprend aisément. Et il existe, de fait, des manières vaines et inconvenantes de rire. Mais il en existe aussi de bonnes, et cela n’avait pas échappé aux médiévaux.

Il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir la Somme théologique, où saint Thomas d’Aquin préconise la bonne humeur comme une vertu et le rire comme un délassement.

Tout commence par la nécessité du repos. Elle est la conséquence évidente du fait que les hommes, n’étant pas des anges, sont sujets à la fatigue. Que l’on fasse du terrassement ou de la comptabilité, de la menuiserie ou des livraisons, que l’on donne des coups de pioche ou des cours de littérature, le corps et l’esprit ont besoin de se refaire. Or, pour cela, les activités légères et gratuites, autrement dit les « jeux » au sens large, sont recommandés par l’Aquinate. C’était d’ailleurs une leçon de saint Augustin : « Enfin je veux que tu te ménages : car il est bon que le sage relâche de temps en temps la vigueur de son application au devoir » (De musica II, 14).

Or, commente saint Thomas, « une certaine détente de l’esprit par rapport au devoir s’obtient par les paroles et les actions de jeu. Il appartient donc au sage et au vertueux d’en faire parfois usage » (II-II 168, 2).

Réquisitoire contre les rabat-joie

Mais ce n’est pas tout. Le délassement de l’âme suppose le relâchement des tensions, et pour cela, rien ne vaut le rire. D’ailleurs, la fameuse phrase de Rabelais que nous citions tout à l’heure est en réalité d’Aristote : « L’homme est le seul animal qui rit » (Les parties des animaux III, 10).

Saint Thomas, quant à lui, est si convaincu de la salubrité du rire qu’il dresse un véritable réquisitoire contre les rabat-joie et autres pisse-vinaigre : « Tout ce qui, dans les actions humaines s’oppose à la raison est vicieux. Or il est contraire à la raison d’être un poids pour les autres, lorsque par exemple on n’offre rien de plaisant, et qu’on empêche aussi les autres de se réjouir. Ceux qui refusent le jeu ne disent jamais de drôleries et rebutent ceux qui en disent, parce qu’ils n’acceptent pas les jeux modérés des autres. C’est pourquoi ceux-là sont vicieux, et on les appelle, avec Aristote, “pénibles et lourds” » (II-II 168, 4).

Rire de tout ?

Bien sûr, le rire, comme toutes les activités, doit être régulé par la raison. Et si la raideur empesée est un vice, le rire déréglé en est un autre : la bouffonnerie grossière, la raillerie méprisante, le gloussement hébété, chacun dans leur genre, doivent être évités. Là-dessus, saint Thomas cite saint Ambroise : « Prenons garde, en voulant détendre notre esprit, de ne pas perdre toute harmonie, qui est comme l’accord des bonnes actions. » Mais aussi Cicéron : « De même qu’on ne donne pas aux enfants toute permission de jouer, mais seulement cette permission qui n’est pas étrangère aux actions honnêtes, de même dans le jeu lui-même doit briller la lumière d’un esprit vertueux. »

Enfin, si l’on peut rire de tout, on ne peut pas le faire n’importe quand, ni avec n’importe qui : « Il faut encore veiller, comme dans toutes les actions humaines, à ce que le jeu convienne aux personnes, aux temps et aux lieux, et qu’il soit bien ordonné selon les autres circonstances, c’est-à-dire qu’il soit digne du moment et de l’homme. »

Se moquer sans péché ?

Est-ce à dire qu’on ne puisse pas se moquer un peu de nos amis ? Non, pas du tout. L’essentiel est de ne pas manquer à la charité : « C’est faire preuve de bonne humeur que de lancer quelques légères railleries, non pour déshonorer ou peiner son prochain, mais plutôt pour s’amuser et par plaisanterie. On peut donc le faire sans péché, pourvu que l’on observe la retenue convenable. Mais si quelqu’un n’hésite pas à faire de la peine à celui auquel il adresse ses critiques plaisantes, du moment qu’il provoque les risées de l’entourage, il y a là quelque chose de vicieux » (II-II 72, 2).

Bref, pendant les vacances, nous devons cultiver cette vertu régulatrice du rire et des jeux, qu’Aristote nommait l’« eutrapélie ». Littéralement : la bonne tournure d’esprit, qui nous porte à trouver le côté plaisant des choses, dans une ambiance d’amitié et de respect de soi.