Les malheurs du monde, le figuier improductif et nos péchés d’omission - France Catholique
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L'incroyable histoire des chrétiens du Japon
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Les malheurs du monde, le figuier improductif et nos péchés d’omission

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C’est l’une des paroles du Christ les plus terribles de l’Évangile ! «Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même !» Et Jésus la répète deux fois. À quelle occasion ? Eh bien, on vient de lui rapporter deux drames qui viennent de se produire. Un crime de Pilate qui a fait massacrer des Galiléens et mêlé leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient. Et une catastrophe, de celles qu’on appelle trop commodément «naturelles» (afin de ne pas y voir nos propres responsabilités), l’écroulement d’une tour, à Siloé, qui a provoqué dans sa chute la mort de dix-huit personnes.

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On aurait pu s’attendre de la part du Seigneur à une réaction bien différente, une réaction de pitié et d’invitation à la prière. De ce type, par exemple : «Oh! les pauvres ; comme c’est triste et abominable ! nous allons prier pour eux et leurs familles !» Mais ce n’est pas du tout le cas. Jésus serait-il donc dur et insensible ? Serait-il incapable de compatir à nos malheurs, lui qui a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies, lui qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu, lui qui nous a enseigné à «porter les fardeaux les uns des autres» ? Assurément, cette absence de compassion surprend, elle jure avec son style.

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Il doit donc y avoir autre chose : Jésus saisit cette occasion pour appeler les gens, ses disciples, nous-mêmes à la conversion, c’est à dire à changer notre conduite et au-delà, certainement, notre regard sur les événements de la vie et sur la marche du monde. Il prend bien soin de nous dire que, pour avoir subi un tel sort, ces Galiléens massacrés et ces personnes tuées n’étaient pas de plus grands pécheurs ou des coupables plus enfoncés dans le mal que tous les autres ; qu’il n’y a donc aucun rapport direct et mesurable entre les malheurs qui frappent les gens et les péchés qu’ils auraient pu commettre personnellement. Mais, par contre, si les hommes ne se convertissent pas, s’ils ne renoncent pas radicalement à leur conduite mauvaise, c’est une mort comparable qui les attend – pas une mort aux causes aléatoires et qui touche certains plutôt que d’autres, sans qu’on sache trop pourquoi…-, mais la mort en conséquence de leur propre péché, punition divine beaucoup plus redoutable : la mort spirituelle. Car «le salaire du péché, c’est la mort», dit l’Écriture. Et Jésus, dans un autre passage de l’Évangile nous avertit solennellement : «Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme; craignez plutôt Celui qui peut faire périr l’âme et le corps dans la géhenne.» (Mt 10, 28 ; Lc 12, 4) La géhenne, c’est à dire l’enfer, la séparation d’avec Dieu. L’Évangile lui-même nous explique l’Évangile.

De nombreux malheurs du monde, calamités naturelles ou fléaux causés directement par les hommes, arrivent quotidiennement jusqu’à nous. Avec la rapidité des informations et le rétrécissement du monde, on a parfois l’impression d’être harcelés et submergés par tant et tant de mauvaises nouvelles… L’Évangile nous apprend à ne pas nous laisser accabler par la tristesse et le découragement. Jésus nous dit expressément comment réagir de façon positive et constructive pour notre propre salut et pour la réparation du mal qui abîme et qui tue : en nous tournant vers Dieu et son Royaume, en progressant sans compromissions dans la voie du Bien… afin de ne pas encourir des maux plus graves encore que ceux qui détériorent la vie terrestre et même la suppriment… Dans le langage théologique d’Eglise, on appelle «invitations providentielles à la pénitence» le bénéfice que nous sommes appelés à tirer des vents violents de l’adversité ou du destin. Par ces événements tragiques de l’histoire présente ou de notre existence, le Seigneur nous donne l’occasion de nous remettre en question personnellement et de réorienter certains de nos choix… A commencer par un réel partage de solidarité avec ceux qui sont éprouvés.

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De la liaison entre péchés personnels et réprobation de Dieu se soldant par un châtiment mortel, ce qu’il advint aux Hébreux au cours de leur marche dans le désert après la sortie d’Égypte, saint Paul nous en donne l’illustration : «la plupart d’entre eux n’ont pas su plaire à Dieu, et leurs ossements jonchèrent le désert…». Ils n’entrèrent pas dans la Terre Promise ! Tous (répété quatre fois !), ils avaient pourtant bénéficié des mêmes faveurs divines : les signes et les miracle de Dieu, la protection de la nuée, le baptême dans la mer rouge, et cette nourriture et cette boisson spirituelle, la manne et l’eau vive jaillie du rocher qui préfiguraient les dons du Christ… Malgré cela, le plus grand nombre ne répondit pas à l’appel de Dieu, ils cédèrent à des convoitises mauvaises, certains devinrent idolâtres, d’autres tentèrent le Seigneur ou récriminèrent contre lui et périrent par l’Exterminateur. Et saint Paul d’ajouter : «Ces faits se sont produits pour nous servir d’exemple, et l’Écriture nous les a racontés pour nous avertir, nous qui nous trouvons à la fin des temps».

Il y a toutefois une différence essentielle entre eux et nous, entre leur aventure et la nôtre : pour les Hébreux se jouait d’abord un destin temporel et historique, la conclusion réussie de l’Exode et leur entrée dans la terre promise ; pour nous, l’enjeu est plus décisif encore et définitif, car «nous touchons à la fin des temps»: il s’agit de rien de moins que d’entrer, ou de ne pas entrer, dans la vie éternelle.

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J’aurais envie de dire : nous voilà mal barrés : nous n’avons pas droit à l’erreur…!

Heureusement, saint Paul nous rassure dans la suite de sa lettre par ces deux phrases qui suivent immédiatement et qui nous apportent un encouragement énorme (je ne comprends pas pourquoi l’Église ne les a pas retenues pour conclure la deuxième lecture). Après le sévère avertissement : «Que celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber», voici l’affirmation lumineuse et apaisante de l’apôtre : «Aucune tentation ne vous est survenue, qui passât la mesure humaine. Dieu est fidèle : il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces ; mais avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter» (1 Co 10, 12-13).
Ouf ! Au cœur des combats, la force et la miséricorde de Dieu nous soutiennent.

Non, le Seigneur ne nous laisse pas tomber. Il ne manque pas de nous porter secours dans les tentations et les épreuves. La parabole qui suit est là pour nous le montrer encore.

Si le Père, maître de la vigne et du figuier improductif qui est planté au milieu, a quelque velléité de faire couper cet arbre qui déçoit son attente, il écoute néanmoins la plaidoirie de son vigneron de Fils, qui lui dit : «Laisse-le cette année encore, le temps que je bêche autour et que j’y mette du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. S’il ne donne rien, alors tu le couperas».

J’ai relevé cette phrase dans le «Prions en Église» d’aujourd’hui : «Le Carême est un temps où nous somme invités à nous laisser retourner radicalement par les interpellations de Dieu.»

Miséricorde et infinie patience de Dieu à notre égard, grâce à son Fils Jésus Christ, qui jamais ne se lasse de nous chercher et d’intercéder en notre faveur.

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Le figuier qui ne porte pas le fruit attendu ne représente pas tant la méchanceté, la perversité, les coups tordus ou les méfaits, petits ou grands que nous commettons. Je crois que l’absence de fruit – parmi les fautes dont nous nous accusons dans un «Je confesse à Dieu» souvent routinier -, cette absence de fruit représente plutôt les péchés d’omission. Ces péchés d’omission ne font pas de bruit, ou si peu…, ils sont tellement discrets que souvent nous ne les apercevons même pas, apparemment ils ne font de mal à personne… Mais ne sont-ils pas un indicatif de notre tiédeur ou de notre conscience rangée, embourgeoisée et mise à l’abri du grand souffle qui traverse l’Évangile ?

Il est urgent, dans les temps terribles et, sous certains aspects, barbares, que nous traversons (il y a des acteurs économiques et financiers, des dictateurs sanguinaires qui font autant ou plus de victimes que Daech ou Boko Haram) de nous laisser bousculer, déstabiliser peut-être, par cette phrase justement célèbre attribuée au Britannique Edmund Burke, que je cite en renforcement de l’Évangile : «la seule chose qui permet au mal de triompher c’est l’inaction des gens de bien», ou dit d’une autre façon : «il suffit que les hommes de bien ne fassent rien pour que le mal triomphe.»