Les chrétiens face au second tour de l'élection présidentielle - France Catholique
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Les chrétiens face au second tour de l’élection présidentielle

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Pourquoi certains chrétiens pensent-ils voter blanc pour ce second tour ?

Dans ce que j’appellerais « la tentation du blanc », il y a au départ une lucidité sur l’ampleur du mal et un refus — que je partage — de cautionner l’accumulation des lois qui transgressent la loi naturelle, inscrite dans le cœur de tout homme. Mais je parle de tentation parce qu’il y a à mes yeux une confusion entre le devoir d’objection de conscience lorsqu’il s’agit de voter ou pas une loi, et l’abstention ou le vote blanc quand il s’agit de choisir entre des hommes. Celui qui vote blanc pourra difficilement se plaindre en cas de vote d’une loi gravissime promise par un candidat et récusée par l’autre.

Peut-on attendre davantage d’un candidat que de l’autre sur ces questions vitales ?

Le programme du candidat socialiste prévoit, dès la première année de son éventuel mandat, le « mariage » homosexuel, assorti d’un droit d’adopter des enfants voire d’un droit à la procréation artificielle, et l’ouverture à l’euthanasie, déguisée en « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». C’est un nouveau basculement de société qui menace avec chacune de ces deux réformes. La profession de foi et les déclarations du président sortant les récusent clairement.


Pourquoi des catholiques optent-ils pour François Hollande ?

En France, la gauche reste assimilée à l’idée de générosité et de progrès. Dans certaines familles, voter à gauche est une tradition, presque un réflexe du cœur… Il faut un peu de recul pour réaliser que la gauche a changé, véhiculant désormais une idéologie qui n’est pas cohérente en matière de solidarité.

Pourquoi ? Parce qu’elle est établie sur le déni de la famille, de la sexualité véritable, de l’importance de certains droits fondamentaux, à commencer par le droit à la vie. Elle porte en elle, sous un déguisement d’humanisme, trois dérives mortifères : scientisme, eugénisme, laïcisme.

La majorité sortante n’est-elle pas responsable des mêmes dérives ?

C’est incontestable, mais à un degré moindre. Dans les discussions bioéthiques, nous en avons été témoins de façon concrète. Nous avons déploré ce qui a été aggravé dans la nouvelle loi, mais il serait injuste d’oublier ce qui a été préservé. Parmi les parlementaires de l’UMP, certains ont cédé aux sirènes libérales-libertaires, mais d’autres ont su leur résister, d’une façon nouvelle. Sans être inféodé à aucun parti, je suis au regret de constater qu’il est pratiquement impossible pour un élu de gauche de contester certaines dérives éthiques, tant elles semblent être devenues le socle idéologique de leur pensée.

Ne voyons-nous pas émerger à gauche une pensée différente, par exemple avec les Poissons Roses ?

Je veux saluer l’intention qu’ils affichent : que la gauche s’exprime autrement que dans la surenchère « anti vie » et anti famille ». Les initiateurs de ce mouvement sont droits et généreux. Mais je me demande s’ils n’arrivent pas soit trop tard soit trop tôt. Leur irruption dans la campagne peut laisser croire à certains qu’un courant socialiste respecte la vie. Apporter au candidat Hollande des voix ainsi « rassurées » serait entretenir une illusion. Maintenant, si la gauche passe, je souhaite une belle réussite aux Poissons Roses — et aussi bon courage — pour décom­plexer une parole qui concilierait respect de la vie et sensibilité sociale ancrée à gauche. Pour le moment, donner bonne conscience à un vote de gauche quand la gauche promet de mettre par terre les repères essentiels à l’épanouissement des hommes, c’est plus que risqué.

Ne croyez-vous pas que Nicolas Sarkozy a sa part de responsabilité dans la désaffection de certains chrétiens ?

Évidemment. Nous recevons encore des témoignages de personnes qui ont été stupéfaites de certaines prises de positions, voire de l’ouverture à des personnalités dont le témoignage public est scandaleux. Le débat autour du « gender » à l’école a été traité « à la française », c’est-à-dire avec cette tendance d’une certaine intelligentsia à s’inféoder à l’idéologie libertaire, comme si on avait peur de passer pour « ringard ». C’est ce qui s’est passé pendant cinq ans sur l’avortement avec Roselyne Bachelot comme ministre.
Mais Madame Bachelot a résisté avec détermination aux pressions pour l’euthanasie. Et elle a montré une vraie fermeté sur deux autres sujets, celui des « mères porteuses » — qui était mal parti — ou celui des « aidants sexuels » (accès à des prostituées fonctionnarisées pour les personnes handicapées).

Vous voulez dire qu’il faut de la nuance ?

Pas sur les principes, mais quand nous rencontrons des élus, c’est une exigence de justice que d’être en mesure de les féliciter aussi chaleureusement sur un point que nous sommes capables de les contester avec sévérité sur un autre.

Et si l’on vous dit que l’on ne peut faire confiance aux candidats sur leurs promesses ?

Je trouverais cela un peu gros ! Certains affirment que Hollande, en réalité, récusera l’euthanasie. Mais nous voyons les efforts en sa faveur de ceux qui la promeuvent. Ne jouons pas avec ce feu. La naïveté est dangereuse en politique. Oserais-je dire que la dissimulation du mot « euthanasie » nous semble un risque supplémentaire dans la confusion actuelle ? Car il y a une guerre des mots : certains voudront imposer l’euthanasie tout en modifiant sa définition pour ne pas trop choquer. C’est un moyen de passer en force en anesthésiant toute opposition. Déjà les débats d’interprétation autour de la mesure 21 entrent dans cette logique de confusion.

Vous choisissez donc de dramatiser ?

Avons-nous vraiment conscience que nous sommes dans une veillée d’armes ? Notre société est marquée par de fortes contraintes budgétaires. La marge de manœuvre est faible au plan économique, et la gauche est tentée de se rattraper par une surenchère sur les questions de société… Le mariage homosexuel ne coûte presque rien. Certains promoteurs de l’euthanasie, comme le philosophe André Comte-Sponville, osent avancer qu’elle serait source d’économies pour la Sécurité sociale.

Faire comprendre à toute personne dont le pronostic vital est engagée qu’elle a « droit à une mort digne » est facile. Il n’y a pas de pire exclusion que celle qui exploite la vulnérabilité des plus fragiles. Et ne croyons surtout pas que c’est une tentation qui nous est étrangère. Bien des drames du XXe siècle sont nés d’un prétendu « humanisme ».


Pour vous la question de la vie est donc centrale dans ces élections ?

Oui, il y a eu une cristallisation très forte pendant cette campagne autour des questions qui nous mobilisent et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai voulu publier mon livre La Bataille de l’euthanasie avant la présidentielle. Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que les mots utilisés par le candidat Sarkozy pour récuser l’euthanasie et le mariage homosexuel mais aussi ré-impliquer les parents sur les questions de sexualité sont d’une force inédite à cette étape de notre vie politique, bien plus qu’en 2007. Pourquoi faire la fine bouche alors que nous étions habitués à des leaders cultivant au mieux le flou sur ces questions ?

Donc, vous êtes en train de vous jeter dans les bras de Nicolas Sarkozy ?

Aucunement. Ceux de ma femme suffisent ! Sérieusement, vous savez bien que l’action d’Alliance VITA reste libre de tout ancrage partisan et que nous agissons avec tous les élus, quelle que soit leur sensibilité. Ces derniers mois, j’ai été auditionné devant François Bayrou, Christine Boutin ou Jean-Louis Borloo ; j’ai aussi débattu publiquement avec plusieurs leaders socialistes ; notre secrétaire générale Caroline Roux a été reçue par une proche d’Eva Joly, notre président, le docteur Xavier Mirabel, a été auditionné par des parlementaires de tous bords.

On nous respecte d’autant plus que nous sommes fermes dans nos convictions, précis dans nos arguments et justes dans nos évaluations. De toutes les façons, quelle que soit l’issue du scrutin, nous garderons la même implication vis-à-vis du monde politique.

Comment expliquez-vous qu’un certain nombre de chrétiens récusent radicalement Nicolas Sarkozy ?

Vous connaissez leurs motifs : sur la forme, le démarrage « bling bling » de son quinquennat a laissé des traces qui mériteraient tout de même d’être dépassées pour préserver l’avenir. Pour certains chrétiens attachés à la dignité de la fonction présidentielle, Nicolas Sarkozy n’a pas été à la hauteur à ce moment-là : il l’admet.

Ne doit-on pas reconnaître qu’il est sorti de certains discours compassés pour affronter plusieurs enjeux internationaux avec une énergie qui a forcé l’admiration ? J’ai bien vu aussi qu’il y a eu une focalisation sur des questions sensibles comme celle du travail dominical, mais faut-il mettre ce sujet au même niveau que celui du respect de la vie déclinante ?

Considérez-vous que l’intérêt des chrétiens pour la politique s’est accru pour ce scrutin ?

Oui. De plus en plus de chrétiens prennent la mesure de l’importance du politique. Et en même temps que de plus en plus de politiques prennent la mesure de l’importance des chrétiens. Nous l’avons bien vu lors des états généraux de la bioéthique. C’est réjouissant.
Pour les leaders politiques, les chrétiens vraiment engagés sont de « sérieux clients ». Ils sont à la fois respectés, admirés, craints et rejetés, comme Jean-Baptiste en son temps par le roi Hérode.


Pourquoi cette ambivalence des politiques vis-à-vis des chrétiens ?

C’est une constante. En principe, les chrétiens diffèrent de la plupart des autres électeurs car ils se positionnent moins en fonction de leur (petit) intérêt personnel et davantage selon une vision du monde, une vision cohérente et complète, généreuse et altruiste. Non seulement les chrétiens ont des convictions solides et étayées — ce qui tranche de plus en plus dans une société relativiste — mais ils se sentent appelés à les mettre en pratique en étant personnellement solidaires.

Cela se voit dans une société devenue individualiste. Les grandes idéologies se sont effilochées après s’être révélées meurtrières ; une bonne part de nos contemporains sont désenchantés ; ils ont perdu leurs repères. Les politiques les savent versatiles et manipulables au gré des modes et des émotions… Devenu minoritaire, le « petit troupeau » joue plus naturellement sa mission de sel de la terre, et pourrait s’avérer « sel régénérant » de la politique… Il l’a été — on l’oublie souvent — dans l’émergence du mouvement écologiste, avant que ce dernier ne dérive, par défaut d’anthropologie, jusqu’à ignorer complètement l’écologie humaine.


Y aurait-il une connivence naturelle entre l’engagement politique et l’engagement chrétien ?

Les personnalités qui ont eu le courage de s’engager en politique ont en commun avec les chrétiens le sens de l’engagement pour la cité. Ils n’ont pas baissé les bras. Ils ont souvent renoncé à beaucoup pour servir leur pays. En cela, ils se trouvent au moins sur un terrain commun avec les chrétiens. Pour eux le monde n’est pas seulement à prendre tel qu’il est, pour en jouir égoïstement : il est à développer, à faire grandir, à changer pour transmettre un monde meilleur aux générations futures.


D’où vient alors la fracture peut-être croissante entre le monde et le christianisme ?

Pas d’hier, comme la question de Pilate : « Qu’est-ce que la vérité ? » Mais il n’y a pas seulement la gangrène du relativisme. Dans une société où l’athéisme est devenu militant, le risque de l’utopie prométhéenne, celle de la toute-puissance orgueilleuse a émergé : le politique, au lieu d’être le fleuve qui irrigue paisiblement la société sort de son lit, entre dans la sauvagerie.

C’est notamment ce qui arrive quand des lois démocratiquement votées cautionnent le racisme, la stigmatisation de l’étranger, l’eugénisme, la manipulation des embryons humains, et l’élimination des plus faibles (personnes non encore nées, handicapées, dépendantes, en fin de vie, etc.). à ce titre les dérives bioéthiques sont totalitaires, emblématiques de la dérive individualiste libérale-libertaire qui domine désormais notre société.

Le christianisme le voit parce que c’est la religion de l’humilité devant la vérité. Une vérité qui libère la parole des chrétiens. Ils sont donc les premiers à entrer en résistance. Ils le font au nom de l’option préférentielle pour les pauvres qui est une clé de l’Évangile. Leur priorité est la protection des personnes les plus fragiles.

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