Les attardés - France Catholique

Les attardés

Les attardés

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La presse vient encore de faire un écho, très assourdi cependant, à un manifeste de trente-trois théologiens. Ceux-ci vilipendent la Curie romaine et les autre autorités catholiques, dans un style maintenant dépourvu de toute nouveauté, et tout leur programme est d’inviter leurs collègues à une libération dont on ne voit que les aspects négatifs. Pour corser la chose, toutefois, ces grands intellectuels invitent les prêtres à se marier et à faire chanter les évêques pour être maintenus malgré cela dans leurs fonctions…
On se demande qui de tels gestes, désormais rituels, peuvent bien encore intéresser – qui surtout, à part quelques rédacteurs des ICI, pourrait encore y voir un « événement » !

Naturellement, en tête de liste, précédant une série d’inconnus assoiffés de publicité, on trouve toujours les deux ou trois noms de théologiens, naguère estimables, mais qui, depuis qu’ils sont tombés dans la télévision comme M. Le Trouhadec était tombé dans la débauche, n’ont plus rien produit de constructif. Il y a quelque chose de pitoyable à voir ces hommes, qui pouvaient beaucoup apporter à l’Eglise et à leur temps, saisis par le goût de la popularité à bon compte, essayer maintenant de ramener à eux une curiosité qui se détourne, en pimentant de la sorte un message dont il est trop clair qu’il n’a pas de contenu. Quoi de plus pénible que de voir des gens qui se proclament à l’avant-garde couverts d’une sueur froide à découvrir qu’ils ont cessé d’intéresser ou d’amuser, et tâchant d’en remettre, comme on dit, pour rattraper l’attention ?

Un fiasco complet

Peu avant sa mort, Thomas Merton dénonçait l’absurdité de ceux qui continuent à pousser pour ouvrir une porte, qui est non seulement ouverte depuis longtemps mais par laquelle déjà tout le contenu de la maison est parti au vent… Certes, il y a bien des vieilleries, dans cette maison, qu’on avait trop longtemps confondues avec ses authentiques trésors. Mais il est clair, aujourd’hui, pour tous ceux que leur vanité n’aveugle pas, que bon nombre de trésors ont été jetés pêle-mêle avec les rebuts. La tâche n’est plus de précipiter la braderie, mais d’essayer, pendant qu’il est encore temps, de discerner l’essentiel de l’accessoire, le permanent du périmé, puis, sur cette base rétablie et consolidée, de commencer à construire, ou plutôt à reconstruire.

Si l’on ne s’y met pas, c’est alors que nous perdrons la liberté féconde que le Concile nous avait acquise, mais dont le pire ennemi est cette liberté simplement anarchique et destructive dont nos « théologiens » n’arrivent pas encore à la distinguer. A bien des signes, il devient clair que nous sommes au creux de la vague et que nous l’avons même déjà quelque peu dépassé. Le seul effet des rapsodies contestataires, aujourd’hui, c’est bien évident, est de détacher de l’Eglise ceux qui n’auraient jamais songé à la quitter sans cela. Mais cette pseudo-ouverture au monde n’a pas attiré un seul néophyte. On peut amuser un moment le public par le spectacle de prêtres qui défroquent, de religieux qui défient leurs supérieurs, de théologiens qui proclament leur incrédulité. Qui peut donc être attiré, exalté, conquis par toute cette accumulation de lâchages, de forfanteries, de dégonflages ?

Il vient de paraître aux USA, sous la plume d’un écrivain catholique pourtant bien connu par son libéralisme, James Hitchcock, un livre intitulé le Déclin et la Chute du catholicisme radical. Même les journaux considérés comme les plus « progressistes », comme le New Catholic Reporter, ont publié soit de larges extraits de ce volume soit des analyses qui en reconnaissent la justesse. Son enquête et son verdict sont d’autant plus écrasants que le ton y est volontairement modéré. Il en ressort, par les faits, que l’insolente faction qui, profitant de la faiblesse et de la mauvaise conscience de trop de responsables, a pris en main l’application du Concile, mais en tournant le dos à ses principes, a fait un complet fiasco. Elle a découragé, perdu les catholiques dits traditionnels, et elle n’a attiré personne à leur place dans les églises progressivement vidées par ce singulier apostolat, que rien ne distingue plus de l’apostasie.

Avec un sens extraordinaire de l’inopportunité, ces nouveaux catholiques ont annoncé un christianisme séculier à l’instant précis où les hommes de ce monde les plus humains en vomissaient le sécularisme et reconnaissaient dans la pseudo-mort de Dieu la trop effective mort de l’homme. A des jeunes qui recherchent partout une transcendance divine, ils ne consentent qu’à donner une Eglise rigoureusement aplatie à l’horizontale. Et, à leur stupide surprise, alors que leur Jésus, « homme pour les autres », relique d’un protestantisme libéral mort à la guerre de 14, n’intéresse plus personne, la « Jesus Revolution » passionne des milliers et des milliers pour le Fils de Dieu Sauveur du monde redécouvert directement dans les évangiles.

Le moment est grave, assurément, car nous arrivons à un tournant décisif. Ou bien le travail d’application positive de la charte dressée par le Concile commencera enfin – avec combien d’années de retard ! – ou bien ce sont tous les espoirs qu’il avait fait naître qui s’évanouiront, sans doute pour plusieurs générations. On sait maintenant tout ce que pouvaient faire ceux qui ont prétendu prendre en main la reconstruction proposée : détruire et rien d’autre. Qu’ils cessent leurs criailleries qui n’intéressent plus personne. Qu’ils laissent la place à d’autres, moins préoccupés qu’eux par le paraître, mais attachés à l’être. Ou bien ce qui survivra dans l’Eglise, une fois de plus, ce ne sera pas une liberté positive, que les tenants d’une liberté simplement négative auront bien plus sûrement étranglée que tous les inquisiteurs : ce sera, au contraire, un intégrisme quasi universel.

Du « souterrain » au néant

Car la foi n’a pas disparu de l’Eglise, mais si nos trente-trois exhibitionnistes et leurs consorts s’obstinent à occuper le devant de la scène, ils en seront expulsés par tous ceux qui, déjà, ne s’entendent que trop à manipuler les « silencieux » pour soutenir la rentrée en force du conservatisme le plus borné.

Que deviennent les « Eglises souterraines » ? Elles sombrent dans le néant pur et simple. Que de deviennent les ordres « progressistes » ? Ils ont cessé de se reproduire et ils meurent lentement d’hémorragie. Que deviennent les « militants » décidés à détruire la foi dans la seule politique ? Ils sont absorbés par la politique sans foi, avant d’y être liquidés.

Si, quelques temps encore, ce sont seuls les réactionnaires les plus stupides qui semblent aux fidèles susceptibles de défendre leur foi, ne nous y trompons pas, l’Eglise de demain adoptera leur visage. Celui des trente-trois, qui pourrait seulement le reconnaître ? Comme le chat de Lewis Caroll, ils persistent à sourire du sourire vide de toutes les vedettes vieillissantes alors qu’ils n’ont déjà plus de visage.

Et, comme les montre encore la « Jesus Revolution », en dehors de l’Eglise comme en elle, ceux qui ont soif de Dieu, ceux qui ont faim du salut en Jésus-Christ, si on s’acharne à ne leur annoncer qu’un évangile énucléé, se cramponneront, faute de mieux, au littéralisme, au fondamentalisme les plus absurdes…

Certes, il y a encore, et pas seulement à la Curie romaine, bien des hommes d’Eglise étroits et tatillons, qui d’ailleurs réunissent régulièrement, dans tous ses conseils, leurs voix avec celles des « progressistes » pour rendre impossibles les réformes raisonnables. Mais ce ne sont pas eux qui détruiront la « liberté des enfants de Dieu », la liberté créatrice qui était en train d’y renaître. Ce sont les nigauds qui persistent à ne voir pas d’autre liberté possible pour les théologiens que celle de ne pas croire ce que croit l’Eglise, et, pour les prêtres et les religieux, que d’être infidèles à leur vocation. Les voilà, les naufrageurs de la liberté chrétienne dans l’Eglise : ils sont là et pas ailleurs. On commence à le savoir.

Louis BOUYER