Le (très réticent) premier archevêque d'Amérique - France Catholique
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Le (très réticent) premier archevêque d’Amérique

Traduit par Bernadette Cosyn

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Note : Ce texte est une adaptation d’un passage du nouveau livre de ces deux auteurs : « Fils de Saint Patrick : une histoire des archevêques de New-York de ‘ Dagger John ‘ à Timmytown ».

Contexte : Tout au long de sa remarquable carrière, John McCloskey – né à Brooklyn de parents immigrants irlandais – a toujours exprimé sa réticence à franchir les étapes qui ont finalement conduit Pie IX à l’élever au cardinalat en 1875. Cet extrait démontre cette réticence à l’approche de sa sélection comme deuxième archevêque de New-York.

L’archevêque John Hughes (surnommé Dagger John) mourut le 3 janvier 1864. Ainsi que l’archevêque de la Nouvelle-Orléans, Jean-Marie Odin, l’écrivit peu de mois après : « A peine Dieu eut-Il appelé à recevoir sa récompense le bon et très regretté docteur Hughes que tous les yeux se tournèrent vers Albany pour lui trouver un successeur. » [McCloskey était alors évêque d’Albany.] Cet évêque McCloskey fut inquiet. Il écrivit à un vieil ami à Rome, Karl-August von Reisach, devenu Cardinal Reisach et proche conseiller du pape Pie IX, plaidant pour que cette coupe s’éloigne de lui. La lettre commence ainsi :

Votre Eminence me pardonnera, j’en suis sûr, si, tablant sur la bonté et la bienveillance qui m’ont été accordées par le passé, je me hasarde à recourir à vous dans un moment qui est pour moi l’un des plus lourds d’anxiété et de crainte. Votre Eminence, comme vous avez dû l’apprendre en qualité de membre de la Sacrée Congrégation pour la Propagation de la Foi (NDT : actuelle Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples], vous avez appris, très probablement avant que ce courrier ne vous parvienne, que parmi les noms recommandés au Saint-Siège via la Congrégation pour occuper le poste laissé vacant par le très regretté décès de l’illustre archevêque de New York, le mien occupe hélas la première place. Maintenant j’écris pour implorer votre Eminence, au cas où il y aurait quelque risque que je sois nommé ou transféré d’Albany à New York, de m’aider à l’éviter et de me sauver de l’humiliation et de la détresse de me trouver dans une position requérant des devoirs et des responsabilités pour lesquels, je le sens, je suis totalement inapte, tant physiquement que moralement.

Peut-il réellement avoir pensé cela de lui-même ? Peut-être en raison de son « histoire » de présumée infirmité, cela pourrait être admis comme argument convaincant d’inaptitude physique. Mais quelles auraient pu être les déficiences morales de cet homme ?

Cette lettre aurait dû être adressée au Cardinal Alessandro Barnabo, à la tête de la Congrégation pour la Propagation de la Foi. Mais, l’évêque McCloskey le disait, il ne souhaitait pas être trop en avant en supposant qu’il était vraiment dans la course pour être le second archevêque de New York.

Maintenant, on peut argumenter que Monseigneur McCloskey suivait une sorte de protocole, réel ou imaginaire, par lequel un homme sur le point d’être élevé à une grande responsabilité renvoie les lauriers, comme César qui a refusé par trois fois la couronne offerte par Marc-Antoine. Mais les sentiments qu’il exprime dans la lettre à Reisach semblent trop réels. Il écrit qu’il est sincère quand il dit qu’il « ne possède ni le savoir, ni la prudence, ni l’énergie, ni la fermeté, ni la santé et la force physique, qui sont requis pour un poste d’une telle difficulté et d’une telle responsabilité. »

Mais à la fin, il entame l’efficacité de son plaidoyer en reconnaissant que, « une fois que la décision est prise et que le Saint Père parle, il ne reste pour moi que le silence. En toutes choses, sa volonté est ma loi. » Et, le 6 mai 1864, cinquante-quatre ans après le jour où McCloskey avait été baptisé par le père Benedict Fenwick à la vieille cathédrale Saint-Patrick, le pape rendait la chose officielle. Le 27 août, le réticent McCloskey était installé second archevêque de New York. Et pour ce qui est de ses prétendus manques « d’énergie », de « fermeté » ou de « santé et force physiques », il allait servir le diocèse vigoureusement et efficacement durant les deux décennies suivantes.

Quand McCloskey apprit que son destin avait été scellé par le pape, il quitta Albany le soir même par le bateau de nuit pour rejoindre New York. Pour ce voyage, il était accompagné par le père John Conroy, vicaire général du diocèse d’Albany. Sur les quais de l’Hudson, à Manhattan, ils furent rejoints par le secrétaire de McCloskey, le père Francis McIneirny, qui avait rejoint la ville en avant d’eux.

Le trio était constitué des trois premiers hommes à diriger spirituellement Albany. Ce rassemblement rappelait ce jour de 1826, au séminaire de Mount St. Mary, dans le Maryland, quand le père John Dubois le quittait pour être consacré comme troisième évêque de New York en compagnie de John Hughes [futur premier archevêque de New York] en route pour sa première nomination en paroisse, qui l’accompagnait dans la calèche, et le jeune étudiant John McCloskey les saluant joyeusement à leur départ.

Pour l ‘évêque McCloskey, le retour à New York [où il avait débuté sa carrière de prêtre] au plus fort de la Guerre de Sécession était déconcertant. Plus troublant encore, l’apparition, le matin suivant, à son domicile du 218 Madison Avenue, d’une femme dérangée mentalement qui proclamait haut et fort – à McCloskey lui-même – qu’elle était la mère du nouvel archevêque. Ce qu’elle n’était pas. C’est le futur cardinal qui était allé répondre à la porte, et quand il se présenta, la femme, sans se démonter, réclama qu’on lui donne une chambre dans la maison. La police fut appelée et l’emmena. Plus tard, au commissariat, comme McCloskey donnait sa déposition à propos de cet épisode, le sergent de service, candide, commenta que la femme était peut-être un imposteur mais que « elle tenait un discours drôlement cohérent pour une folle. »

Quand la femme fut extraite de sa cellule pour la confrontation, elle supplia McCloskey : « Ne me laissez pas ici avec ces fripouilles ! Ils ont essayé de me porter atteinte » – à l’évidence une accusation de tentative de viol. McCloskey se tourna vers le sergent embarrassé et avec un très léger sourire déclara : « oui, elle tient un discours effectivement très cohérent. »

Le 15 mars 1875, Pie IX nommait McCloskey premier cardinal américain, ainsi finissait pour les Etats-Unis d’Amérique le statut de « terre de mission ».

George J. Marlin, un fréquent contributeur de TCT, et Brad Minon, rédacteur en chef de TCT, sont séparément auteurs de plusieurs livres, et ensemble auteurs du livre dont provient cet extrait.

Illustration : le cardinal McCloskey par Mathew Brady, vers 1870

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/03/20/americas-reluctant-first-cardinal/