Le principe anthropique revisité - France Catholique
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Le principe anthropique revisité

Traduit par Bernadette Cosyn

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Trente ans ont passé depuis la publication par un éditeur prestigieux (the Oxford University Press) d’un livre extraordinaire. C’était « The Anthropic Cosmological Principle » (Le principe anthropique cosmique) du spirituel astronome britannique John Barrow et du brillant physicien mathématicien américain Franck Tipler. Il comportait une préface laudative de John Wheeler, le co-inventeur ou co-découvreur des « trous noirs ».

C’était une tentative de renversement de la Révolution Copernicienne : remettre l’homme au centre d’un univers miraculeusement conçu, dont le sens est le destin de l’homme. Cet univers, depuis le Point Alpha communément appelé « Big Bang » jusqu’au Point Omega qui demeure obscur à toute anticipation, ne pourrait être décrit en aucune façon par le mot « hasard ».

Car l’existence même de l’homme dépend d’un large nombre, sans cesse croissant, d’heureux hasards manifestes dans le « dessein » de l’univers lui-même. La chose est incroyablement peaufinée, d’après ce que nous sommes déjà capables de calculer et de mesurer, de sorte que la plus minime altération de l’une ou l’autre des lois physiques ou des propriétés chimiques, non seulement nous éliminerait mais aurait rendu impossible l’éventualité de notre existence.

L’un des intérêts de ce livre, comme pour une sorte de manuel scolaire, était la liste et l’exposé des différents points au long de ce parcours interminable. Le lecteur un peu matheux, ou même pas matheux du tout mais avec pas mal d’imagination pourrait, qu’il adopte ou non l’hypothèse de Barrow et Tipler, s’émerveiller des corrélations.

En chemin, il recevrait en plus un aperçu général des pensées cosmologiques antérieures, avec une insistance sur les moments où le « principe anthropique » a été entraperçu ou approché. Une affaire, vraiment, pour 45 € de 1986.
Mais ce lecteur ne serait pas laissé dans l’ignorance de l’idée générale d’un argument qui était vraiment dingue. C’était du Theilhard de Chardin déjanté.

Il lui aurait été dit, non seulement que l’univers a « évolué » au point de produire l’homme, et aucun autre exemple comparable de vie intelligente, mais que cette évolution devait continuer, via les progrès de la cybernétique vers une aube infinie où l’homme serait le maître de l’univers entier et de son contenu, y compris toutes ses sources d’énergie et « ressusciterait » par ses propres moyens dans un autre lieu au-delà du temps.

J’aurai été heureux de renoncer à cette partie. Cela m’a choqué comme de la science-fiction opaque. En effet, j’ai jeté l’éponge avec ce que les auteurs appellent le Principe Anthropique Faible, avant que le Principe Anthropique Fort ne commence à mettre en échec le principe de libre arbitre. Je désirais examiner le Principe participatoire de Wheeeler, qui propose la notion la plus philosophique, à savoir qu’un univers est une pièce de théâtre, qui ne peut exister sans produire un auditoire. Mais je me suis éclipsé du théâtre avant que le Principe Anthropique Final n’ait mis notre avenir sur le chemin d’un traitement de l’information à toute épreuve.

D’un autre côté, j’en ai voulu à Martin Gardner, l’ingénieux poseur d’énigme alors à « Scientific American », qui suggérait le Principe Anthropique Complètement Ridicule. Lui, et plusieurs autres critiques trouvaient que le Principe Anthropique Faible était par nature tautologique. N’est-il pas étrange que seuls les survivants aient survécu à l’évolution ? -auraient-ils voulu argumenter. Ne sommes nous pas éberlués qu’un chat ait deux trous dans sa fourrure précisément à l’emplacement des yeux ?

Pour un aristotélicien pur et dur tel que moi, c’est une réponse mignonne mais digne d’un adolescent à l’ange de la téléologie. Néanmoins, nous devons reconnaître que la tendance de la science moderne, loin de l’idée que quoi que ce soit dans l’univers – et surtout pas l’homme – puisse avoir du sens, s’appuie sur cette vision désinvolte de tout ce que nous découvrons.

Maintenant, pour être honnête, avec 30 ans de recul, on peut voir que Barrow et Tipler jouaient leur propre jeu. Tipler, qui affirme être catholique (et même un catholique orthodoxe ainsi qu’il me l’a affirmé, malgré sa timidité à rejoindre l’Eglise), a poursuivi l’écriture de « The Physics of Immortality » (La physique de l’immortalité – 1994) et « The Physics of Christianity (La physique du christianisme – 2007). A ma connaissance, il demeure un professeur à temps plein de l’université de Tulane, dont on se moque, mais d’un calme olympien confinant au pur génie de ses impostures supposées.

Ce qui s’ouvrait comme « un livre remarquable et une présentation faite avec brio de ce qui semble devoir devenir un des plus importants développements de la science physique » (je cite un commentaire contemporain de William McCrea, l’astronome ayant découvert que le soleil est constitué principalement d’hydrogène) – n’a pas été tant que cela réfuté qu’ignoré.

C’est bien dommage, selon moi. Car il me semblait, il y a une génération, qu’une opportunité était offerte aux sciences, une opportunité de quelque importance. Des efforts auraient été faits pour réfuter les conclusions, quoique en admettant les prémisses anthropiques, le livre aurait vraiment pu lancer l’un de ces « changements de paradigme » sur lesquels Thomas Kuhn écrivait avec tant de virtuosité (et d’approximation).

Prenons comme point de départ la supposition que l’homme, et lui seulement, est ce qui rend l’univers très intéressant ; qu’il demeure, pour ainsi dire « la mesure de toute chose » au sens antique. Nous pourrions, si nous l’essayions, la rejeter comme une pompeuse tautologie, mais c’est falsifiable.

Jusqu’à ce que quelqu’un soit capable de démontrer l’existence d’une forme de vie biologique comparable ou supérieure où que ce soit, le fait demeure. Il a du sens sur la base de tout le savoir actuel ; le contraire ne peut être soutenu que sur la base d’une spéculation débridée, sans lien avec des faits démontrables.

Ce n’est pas simplement que « nous n’avons rien trouvé jusqu’ici. » La possibilité même de trouver quelque chose peut être montrée comme peu cohérente avec l’extraordinaire précision des lois et propriétés qui étaient nécessaires à la création… de nous-mêmes.

La science a progressé sur l’hypothèse que l’univers aurait du sens. Pourquoi, face à l’évidence qu’il y a vraiment du sens, nous accrochons nous si désespérément à l’autre alternative qui est que tout est hasard ?

Comment ce lugubre athéisme peut-il survivre ?

David Warren est un ancien rédacteur de Idler Magazine et un journaliste d’Ottawa Citizen. Il a une profonde expérience de Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.

Illustration : « La Création » par Christopher Unterberger, vers 1780, d’après Raphaël [musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg]

source : https://www.thecatholicthing.org/2016/08/19/anthropic-ism-revisited/