Le pouvoir sans la piété - France Catholique

Le pouvoir sans la piété

Le pouvoir sans la piété

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Les historiens sont dans l’ensemble d’accord pour dire qu’Aliénor d’Aquitaine (1122-1204) sortait de l’ordinaire, mais divergent sur ce qui la rendait remarquable. Certains déclarent que dans l’entourage de cette grande dame se combinaient les principes de chevalerie et d’amour courtois. D’autres soutiennent que la noblesse était étrangère à sa maisonnée et à sa cour et que les récits de vaillants chevaliers et de gentes dames sont des rêvasseries.

Aliénor a d’abord été reine de France et ensuite d’Angleterre. Elle a été mère de dix enfants (deux de son premier mariage avec le roi de France Louis VII et ensuite huit avec Henry II d’Angleterre). Parmi ceux qu’elle a donné à Henry, les rois Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre, bien connus grâce aux films comme « Les aventures de Robin des Bois » (1938) et « Le lion en hiver » (1968). Ce dernier film (pour lequel Kate Hepburn a gagné un Oscar) note a juste titre que Henry a emprisonné Aliénor durant seize ans après qu’elle ait soutenu le soulèvement de ses propres fils contre leur père.

A l’époque d’Aliénor, les peuples d’Aquitaine étaient autant espagnols que français. Il y avait pour partie les Basques, un peuple qui cultive toujours son identité à part. La langue natale d’Aliénor était l’occitan, également appelé langue d’oc – oc étant le terme dialectal pour oui. Dans le sud-ouest de la France de nos jours, certains écrivains régionaux emploient l’occitan, ou une version moderne de celui-ci, le provençal (répandu, dans différents dialectes, dans tout le sud de la France). On parle toujours de cette région comme étant le Languedoc, spécialement quand on parle des vins qui en sont originaires. A l’époque d’Aliénor, le duché comprenait tout le sud-ouest,de Poitiers à Lourdes et à la frontière espagnole en passant par Bordeaux.

Nous savons que Aliénor était belle parce que les troubadours venus à sa cour ont écrit des chansons célébrant éperdument sa beauté.

Elle était la petite-fille d’un des plus grands seigneurs de guerre du 12e siècle, le duc Guillaume IX, lui-même poète et troubadour. C’était également un croisé, un homme politique et… un débauché, deux fois excommunié. Bien qu’étant encore enfant quand il est mort, son esprit a influé sur la longue vie d’Aliénor. Guillaume était un passionné d’Ovide, dont ‘L’art d’aimer’ faisait partie des livres les plus lus à l’époque.

La courtoisie qu’Aliénor allait promouvoir, écrit un érudit « est le souvenir qu’a l’Europe médiévale de l’homme d’État romain, de son humanité et de sa dextérité urbaine à préserver l’État et à faire face aux épreuves de la vie publique ». L’attachement de Guillaume pour l’Orient exotique, sa tendresse envers l’Espagne mauresque et son appétit pour les femmes ont conduit à une série d’accusations d’hérésie. Un pornographe ! ont-ils dit. Aliénor chérissait sa mémoire.

C.S. Lewis définissait l’amour courtois comme : « humilité, courtoisie, adultère et religion de l’amour ». Triste à dire mais vrai, bien que l’humilité, la courtoisie et – dans une certaine mesure – l’amour proviennent du catholicisme.

A quinze ans, Aliénor était le parti le plus convoité d’Europe, et après la mort de son père, elle fut mariée au dauphin de France, âgé de seize ans, qui devint le roi Louis VII, et auprès duquel elle ne connut aucun bonheur. Aliénor était, par héritage et tempérament, une femme rayonnante et passionnée, alors que Louis était morose et prude, bien que sidéré par la beauté et la vivacité de sa femme.

Dans un premier temps, Aliénor a trouvé Louis et son nouveau statut supportables : il était bien éduqué et elle était maintenant reine. Elle semblait une femme née pour aimer son nouveau chez-soi, Paris. Mis à part que c’était (pour elle) une énorme ville de 50 000 habitants, boueuse et malodorante, remplie de philosophes, de prêtres et d’ergoteurs. Elle haïssait cela, même si elle appréciait d’aller écouter les débats à la Sorbonne entre de brillants étudiants (comme John de Salisbury) d’éminents enseignants (comme Pierre Abélard). Aliénor les écoute argumenter, dépense sans compter, mais pleure la liberté insouciante et la beauté verdoyante du sud de la France. Elle a pillé la bourse de Louis et fait de lui un objet de ridicule aux yeux des courtisans provençaux. Le roi l’a supporté.

Mais Aliénor dépérissait. Sa fille nouvellement née, Marie, l’a consolée, mais elle est devenue étrangère à son pieux époux, dont le caractère ennuyeux n’était surpassé que par son indifférence au sexe, due pour une part au sentiment de culpabilité né d’une violente dispute avec le comte de Champagne. En 1144, le roi a mené un assaut contre la ville de Vitry, durant lequel mille citadins ont trouvé refuge dans une église. Louis a imprudemment donné l’ordre de mettre le feu à l’église, et tous les occupants moururent. Il manquait probablement des compétences d’un chef, mais avait une conscience.

Le mariage aurait pu s’achever bien plus tôt si le pape Eugène III n’avait pas appelé Louis à conduire la seconde croisade.

Peut-être en vue de consolider son mariage, le couple royal décide de partir ensemble en croisade, et Aliénor et ses dames d’honneur sont montées à cheval pour un rassemblement de recrutement, habillées en Amazones, ce qui signifie probablement – encore une querelle d’historiens – qu’elles étaient armées pour la bataille, et peut-être torse nu.

Dénudée ou pas, la conduite d’Aliénor l’a desservie auprès du pape et du grand Saint Bernard de Clairvaux, qui cherchaient à inspirer des passions plus nobles aux croisés. Cependant, le succès de la croisade dépendait des troupes d’Aquitaine, et de plus Louis n’avait pas l’intention de laisser Aliénor en France où des hommes concupiscents risqueraient d’investir le lit conjugal royal.

Quand ils atteignirent Antioche, dont Raymond, un jeune frère de son père (juste sept ans plus vieux qu’elle) était le souverain, Aliénor fut tellement enthousiasmée par la sensualité extraordinaire de l’endroit qu’elle devint la maîtresse de son oncle – c’est du moins ce que dirent les mauvaises langues. Louis crut les rumeurs, enleva sa femme et la traîna à Jérusalem puis en France, où leur mariage brisé reçut une déclaration de nullité en 1152, sur la base, non de l’adultère, mais de la consanguinité, Louis et elle étant cousins au quatrième degré. Louis, exténué et mortifié, et le pape Eugène, fatigué du mélodrame royal, furent bien contents d’être débarrassés d’elle.

Dans l’intervalle entre leur retour de croisade et la déclaration de nullité, elle avait donné naissance à une autre fille, Alix, et son manquement à produire un héritier mâle était une autre incitation à la séparation, puisque la France n’a jamais permis l’accession au trône d’une femme.

Moins de deux mois après la sentence, Aliénor convolait avec Henry Plantagenêt – âgé de 19 ans, de 11 ans son cadet – à qui elle avait été présentée – là encore les mauvaises langues ont fait leur office – par l’amant qu’elle aurait pris à son retour de croisade : Geoffrey Plantagenêt, son nouveau beau-père.

Trouvez -moi une fiction moderne plus scandaleuse que ce récit médiéval où le pouvoir submerge la piété.


Brad Miner est rédacteur de The Catholic Thing, membre de l’institut Foi & Raison et secrétaire du bureau de l’Aide à l’Eglise en Détresse aux USA. Il est un ancien chroniqueur littéraire de National Review.

Illustration : portrait d’Aliénor réalisé par un artiste inconnu

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/06/11/power-without-piety/