Le père Bro, une figure de l’intelligence catholique - France Catholique
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Le père Bro, une figure de l’intelligence catholique

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Le dominicain Bernard Bro est décédé cette semaine. Il avait 93 ans. Il fut le célèbre prédicateur d’une parole chrétienne franche et gorgée d’espérance.
Que l’on se figure un dominicain de grande allure, de haute taille, à la voix franche, tour à tour séduisante ou tonnante, un homme sensible et de profonde culture. Un dominicain, donc par vocation passionné par la vérité et la Parole de Dieu. Il fut pendant quarante ans le prédicateur de France le plus écouté à la télévision, à la radio, dans la nef de Notre-Dame de Paris, à travers ses nombreux livres aux tirages de best-sellers. Il fut aussi un ami fidèle et un soutien indéfectible pour France catholique. Impossible d’oublier ces conseils de rédaction où il prenait la parole à la fin de nos débats pour tirer de ces propos en vrac l’intelligence des enjeux à la lumière de la foi. Il avait un don prophétique : avant tout le monde il avait proclamé le génie théologique de Thérèse de Lisieux et vu en elle un Docteur de l’Eglise. Il se fâchait à propos d’une publication sur l’Eglise où jamais le mot « miséricorde » n’apparaissait, vingt ans avant que le pape François proclame une année de la Miséricorde dont on n’a pas encore mesuré les fruits spirituels. Aime et tu sauras tout (1998) demeure le meilleur traité sur la miséricorde chrétienne.

Né à Chablis dans une famille nombreuse, il vit son enfance à Paris. Le marquent profondément ses années de scoutisme. Les activités scoutes ne sont pas pour lui une garderie de plein air mais un exceptionnel lieu de formation. Soixante-dix ans plus tard, il écrira : « Nous sommes 248 en famille, simplement des descendants de mon père, et ce laboratoire est pour moi précieux. Il y a des neveux et des nièces qui ont été scouts, d’autres qui ne l’ont pas été. Ceux qui ont été scouts ont gagné parfois quinze ans de maturité, de rapidité en évolution vers l’âge adulte. » Il commence des études de philo à la Catho, puis vit la semaine pascale de 1944 au grand couvent de formation des dominicains, le fameux Saulchoir à Etiolles. « Là j’ai vu des hommes heureux, menant une vie d’études intenses dans des conditions d’existences démunies, une vie monastique austère et joyeuse malgré la guerre. » Il entre au noviciat l’été suivant, à l’âge de 19 ans. Six ans de formation théologique, dont un séjour en Allemagne où il fréquente Curtius et Hans Urs von Balthasar, puis ses supérieurs lui demandent d’enseigner à ses cadets la question de Dieu de la Somme de saint Thomas d’Aquin. Il publiera une reprise de sa thèse sur « la notion métaphysique du tout et son application au problème de l’union hypostatique »… En 1958, à l’invitation du père Carré, il commence sa collaboration aux Editions du Cerf qui allait durer jusqu’en 1993. Il devient directeur de la maison d’édition dominicaine en 1962. Ces deux plus grands chantiers comme éditeur, et ceux dont il est le plus fier, seront la publication de la Traduction Œcuménique de la Bible et des Œuvres complètes de Thérèse de Lisieux. « Grâce à ce travail, on peut être heureux de lire vraiment Thérèse qui est avec Pascal l’un des deux génies les plus profonds de l’histoire religieuse française. »

A partir de 1975, le père Bro devient pour onze ans le responsable des émissions religieuses de France culture, à la suite de son ami le père Carré. Sa réputation de prédicateur, dans des années où l’on ne sait plus très bien quoi croire et qui adorer, lui vaut d’être appelé à la chaire de Notre-Dame de Paris pour les carêmes de 1975 à 1978. Sa prédication fait date. Il témoigne de la confiance et de l’espérance. Il redonne courage aux chrétiens français désemparés : « la fête du Dieu de gloire est déjà commencée pour toujours. » Le secret de l’incroyable écho de ses prédications à Notre-Dame, retransmise à la radio, c’est le ton du père Bro, qui parle, comme s’il s’adressait à chacun de ses auditeurs, du mystère du Christ vivant. Le journal le Monde écrit : « Mieux que personne, le père Bro a compris que l’homme moderne n’a que faire de la charpente doctrinale, d’exhortations morales, de propos menaçants ou lénifiants, mais qu’il a soif de la chaleur d’une conviction, de l’authenticité d’un témoignage, d’une discrétion, d’une amitié à toute épreuve. » Le succès de sa prédication lui vaut d’être cité parmi les successeurs potentiels du cardinal Marty à la tête du diocèse de Paris….

Durant cette période si féconde, le père Bro publie un livre par an. Il s’agit de nourrir le Peuple de Dieu par l’intelligence de la foi et le lien avec la vraie vie. On retient notamment le radicalisme de son Jésus-Christ ou rien : « L’Eglise, ce sont des sages, encore trop sages peut-être, mais qui suivent des fous ; ce sont des institutionnels, peut-être, mais au service des saints. Oui des sages, mais qui découvrent que les fous du Christ possèdent la seule joie véritable, celle de la vérité ! » Devenir Dieu : « Le courage et la véritable avant-garde, c’est de tenir bon et d’attester paisiblement et heureusement la lumière inépuisable du Credo. » La Stupeur d’être : « Que possédons-nous ? Rien, sinon notre fragilité. Tout, parce que n nous portons Celui qui nous porte : le Christ. » Ses ouvrages de solide spiritualité, nourris de la foi et de l’expérience, n’ont d’équivalents durant ces années que ceux du père Varillon. Les tirages sont impressionnants : 80 000 exemplaires pour Apprendre à prier, plus de 100 000 pour ses livres inspirés des conférences de carême, ou la Gloire et le mendiant, son premier livre consacré à Thérèse de Lisieux…

Sa nature solide lui permet de mener de front ces innombrables chantiers : la direction d’une maison d’édition qui compte plus de cent salariés, les conférences, prédications de retraite, la messe radiodiffusée, ses mandats de prieur du couvent Saint-Dominique, la rédaction de ses livres, les rencontres improbables avec Clouzot, Nicolas de Staël ou Louis de Funès. Il se ressource chaque jour dans la lecture féconde des poètes et la prière liturgique. Après avoir quitté la direction du Cerf, il accepte les nombreuses invitations à prêcher à travers le monde. Il affirme que ces retraites d’un bout à l’autre du monde auront représenté quatre années pleines de sa vie !

En 1990, il publie un magnifique album la Beauté sauvera le monde, méditation sur la Salut et la rencontre de Dieu illustrée d’innombrables reproductions d’œuvres d’art. « J’ai voulu me demander comment et où l’on pouvait regarder le mystère et le visage du Christ avec douceur et paix, mais sans gommer les cicatrices, les blessures et les stigmates de la vie. » Un livre de référence pour toute approche du mystère de la beauté de Dieu révélé par les artistes. « Un livre initiatique » affirme-t-il. En 1999, il reçoit la Légion d’honneur des mains de Geneviève de Gaulle-Anthonioz. En 2003, ce seront ses mémoires, La libellule ou… le haricot. Et enfin, en 2007, quatre volumes de ses Paraboles, prêchées sur KTO chaque semaine : « A quoi bon nos pastorales, nos débats, notre langage « herméneutique si cela ne « parle » plus à quelqu’un ? Et si ça ne parle plus, n’est-ce pas parce que nous nous sommes éloignés du langage de l’Evangile : celui des paraboles et celui du cœur. Or le privilège de ce langage est de partir du concret et de nous y ramener, tout en nous ouvrant à l’universel. Il y a une ascèse de la poésie et de la parabole, aussi exigeante que celle de la pensée abstraite. »

En relisant les ouvrages du père Bro, on se sent accompagné sur le chemin où nous attend le Christ resplendissant de beauté et qui nous tend les bras. C’est dans ces bras divins que le père Bernard Bro fait aujourd’hui sa demeure pour l’éternité.