Le mythe de Gorgias - France Catholique
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Le mythe de Gorgias

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Dans les dialogues de Platon se trouvent quatre « mythes » eschatologiques sur ce qu’il advient aux hommes après la mort, selon la façon dont ils ont vécu. Ces quatre histoires disent essentiellement la même chose.

On trouve la plus brève dans le « Gorgias », un dialogue entre Socrate et le suave Calliclès, fin politique. Selon ce dernier l’idée qu’un politicien ne puisse pas faire ce qu’il veut est absurde. Il détient le droit de vie et de mort. Le philosophe n’a, pour tenir son discours, que sa pensée.

Socrate tente de convaincre Calliclès que son point de vue, selon lequel « il vaut mieux faire le mal que l’endurer », est mauvais. Celui-ci accuse Socrate de puérilité, homme incapable de se défendre en ce bas monde contre ceux qui ont le pouvoir de le mettre à mort.

Le monde est-il ou non fondé sur l’injustice, tel est le premier souci de Socrate. Dans la vie, les actes malfaisants ne sont pas tous sanctionnés, les bonnes actions ne sont pas toutes récompensées. Mais selon Socrate les dieux ne peuvent commettre d’injustice. Dès lors, en toute logique, si l’injustice règne dans le monde, les dieux ne peuvent exister. Un grand défi à relever.

Lorsque Socrate donne des explications fondamentales, il conclut souvent par une anecdote, un récit de la vie au-delà de la mort. Enseigner l’immortalité de l’âme découle de son expérience. Une politique réaliste montre que fréquemment les mauvais sont récompensés, et les bons sont punis. Si cette anomalie cosmique se produit, alors les dieux sont indubitablement injustes. On ne peut en espérer rien de mieux.

L’enseignement de Socrate sur la sanction horrifie Calliclès, spécialement par son ferme argument selon lequel l’auteur d’un crime, ou d’une faute, devrait souhaiter être puni. Le pire qu’on puisse lui infliger, selon Socrate, serait de ne pas le sanctionner. Sa vie se poursuit alors dans le désordre. Vouloir être puni, c’est reconnaître qu’on a participé au désordre.

Calliclès voit combien cette doctrine limite la possibilité pour les politiciens d’agir à leur gré. Il ne peut tolérer un principe selon lequel ce qui est juste l’emporterait sur le droit de facto de vie et de mort exercé par le politicien sur qui il veut.

Selon la légende, du temps de Cronos, les gens passaient en jugement avant leur mort. Ils étaient jugés tout habillés, cachant ainsi leur âme sous le prestige, la richesse, ou le pouvoir. Par cette méthode les mauvais étaient récompensés, les justes n’avaient pas de récompense.

Zeus décide de mettre fin à cette injustice. Dès lors tout jugement, par Minos, Rhadamanthe, et Éaque, serait prononcé après la mort. Et tous se présenteraient nus, afin de ne rien cacher.

Rhadamanthe, siégeant en Asie, juge les grands rois ou potentats. Leurs corps et leurs âmes sont marqués par bien des crimes: « tout était déformé par la tromperie et l’effonterie, rien n’était rectiligne, tout celà parce que leur âme avait été élevée loin de la vérité.»

Habituellement, une sanction équitable rendait les hommes meilleurs car ils la voyaient appliquée sur le mal. La faute, comme dans le mythe analogue du dialogue Phaedon, ne peut être pardonnée que si la victime pardonne.
On trouve le même thème dans le dialogue Gorgias. Dans un passage abordant la doctrine du purgatoire, on peut lire: « Ceux qui sont récompensés, à qui les dieux et les hommes ont fait payer leurs dettes, sont ceux dont les erreurs sont pardonnables; ainsi donc ils perçoivent leur rémission, ici et dans les Enfers, par le biais de la peine et de la souffrance, car il n’y a pas d’autre moyen pour réparer l’injustice.» En vérité ce passage est remarquable.

Cependant, aux Enfers, les juges voient que ceux qui ont moins le repentir de leurs crimes sont les politiciens: « parmi ceux qui ont commis le pire, et qui par de tels crimes sont devenus incurables, on trouve ceux qui furent cités en exemples.» La doctrine de Calliclès est précisément qu’aucun châtiment ne peut être requis contre les auteurs des pires crimes.

Qui commet ces crimes? « la plupart de ces exemples provient des tyrans, des potentats, et de ceux qui gèrent les affaires des cités, car ces gens commettent des actes graves et impies parce qu’ils en ont précisément le pouvoir.» Cette remarque suggère la relation entre la politique et le mal, le dilemme de Platon, le monde serait fondé sur l’injustice. Il semble bien que les grands crimes resteront impunis jusqu’au jugement dernier.

Finalement, Calliclès refusa de poursuivre la discussion avec Socrate. Il voyait bien la logique qui sapait son point de vue. Les dernières paroles que Socrate adressa à Calliclès furent: « En fait, Calliclès, ces personnes devenues profondément malhonnêtes sont issues des milieux de pouvoir, bien que rien n’empêche des gens de bien d’émerger parmi les puissants, et ceux qui agissent ainsi méritent d’être accueillis avec enthousiasme.»
La politique, sous son aspect eschatologique, demeure donc une activité hasardeuse. Le monde ne se bâtit pas sur l’injustice.


photo : Socrate, par Lysippos, sculpteur contemporain.