Le malaise de la police - France Catholique

Le malaise de la police

Le malaise de la police

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A la suite de l’agression orchestrée par un gang qui s’entêtait à détruire régulièrement une caméra de surveillance braquée sur leur théâtre d’opération, le 8 octobre dernier à Viry-Châtillon, lors de laquelle quatre agents auraient pu perdre la vie, les policiers n’ont pas tardé à exprimer leur exaspération. En se regroupant spontanément sur la voie publique, comme cela a été le cas pour la première manifestation le 17 octobre à Paris, sur les Champs-Élysées, le mouvement a pris de court les syndicats, à commencer par Alliance, Unité SGP, Unsa Police, les plus importants. Il n’est pas représenté par un porte-parole. Il n’a pas émis de revendications particulières. Implicitement, sont mis en cause la pénurie de moyens matériels, la politique pénale, des décisions de justice et un suivi sujet à caution.

Le ministère de l’Intérieur a annoncé qu’il budgétait pour 250 millions d’euros d’équipements – dont 100 millions avaient été déjà prévus l’an passé. La mesure est un gage de bonne volonté, mais elle est loin de dissiper l’étendue du malaise. D’où la poursuite du mouvement, à Paris et en province, qui a vu se joindre aux policiers des sapeurs-pompiers (à Strasbourg) ou des infirmières des services d’urgence (à Nice). Cependant, cette extension du rayon de l’indignation demeure limitée, sans doute parce que les indignés conservent au mouvement son caractère informel et improvisé. Ont-ils obtenu satisfaction ? Pour Jean-Louis Van Kalck, président de la CFTC-Police, l’historien Jean-Marc Berlière et Me Guillaume Jeanson, porte-parole de l’Institut pour la Justice, réunis à l’antenne le 21 novembre dernier, c’est plutôt douteux ! Ils mettent l’accent sur trois points.

Primo, la réputation que, aux yeux de la base, traînent derrière eux les syndicats corporatistes par tradition, plus au contact de la haute hiérarchie qu’à l’écoute du petit peuple des forces de l’ordre. Jean-Louis Van Kalck évoque une « cogestion » convenue de longue date entre le ministère de l’Intérieur et les gros syndicats. Pour le président de CFTC-Police, cette colère n’est donc une surprise pour personne !

Secundo, une accumulation d’incidents ou d’agressions caractérisées, avec de plus, après les mamours de janvier 2015, le retour dans les médias ou dans une partie de l’opinion de la suspicion que déclenchent certains comportements (cf. l’affaire Traoré). Tertio, le flou relatif à la notion de légitime défense, de riposte proportionnée, alors qu’un arbitrage est attendu depuis si longtemps. « La présomption de légitime défense – les gendarmes en disposent déjà – est un problème de nature juridique essentiellement, souligne Jean-Louis Van Kalck, qui nécessite une concertation entre magistrats et policiers. »

La mise à niveau technique est nécessaire. Mais insuffisante, ajoute Jean-Marc Berlière. L’historien déplore le fait que personne ne s’interroge sur ce que devrait être la police, ou un style de police : « Le policier se sent chargé d’incarner la personnification de l’État. Il n’a plus de contact avec la population. Il n’est plus affecté qu’à des tâches répressives. La France est l’un des pays où la police a l’image la plus négative, alors qu’elle est loin d’être la plus brutale. » Dès lors, n’est-il pas temps de restaurer une dénomination de naguère qui exprimait clairement la mission dévolue : gardiens de la paix publique ?

Alors que des sapeurs-pompiers et des infirmières comprennent la colère et la lassitude des policiers, le mutisme des magistrats est troublant. La dénonciation du laxisme judiciaire y est pour quelque chose. « En vérité, la France souffre d’une sous-capacité carcérale, relève Me Guillaume Jeanson, avec à population égale 30 000 places de moins qu’au Royaume-Uni. Ce n’est pas le laxisme dans la décision des magistrats du siège qui est en cause, mais le laxisme forcé dans l’exécution des peines. Par ailleurs, à propos de la légitime défense, les policiers estiment que les magistrats ne font pas une juste appréciation du stress. Des syndicats demandent des magistrats qualifiés pour instruire ces cas-là. Ajoutons que, faute d’une traçabilité, les policiers ne peuvent pas être informés du suivi, du traitement des prévenus. »
Pour Jean-Marc Brière, le procès fait aux juges est une constante historique. « La presse de la fin du XIXe siècle rapporte le mot du préfet de police Louis Lépine : « La police arrête, les juges relâchent. » Or la justice française n’est pas particulièrement laxiste. Elle s’efforce d’éviter la prison, parce qu’elle est l’école du crime, et recherche d’autres solutions. »

Autre regret, sur lequel mes trois interlocuteurs tombent d’accord : on parle trop peu de la condition des agents de l’administration pénitentiaire, eux aussi très régulièrement exaspérés…

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« Décryptage », Radio Notre-Dame, 100.7,

du lundi au jeudi, 18h17-19h10.