Le jésuite poseur - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Le jésuite poseur

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« On enroule ce que d'autres ont filé » (c'est-à-dire que tous participent à la propagation des ragots) par Pierre Bruegel l'Ancien, 1559.

« On enroule ce que d'autres ont filé » (c'est-à-dire que tous participent à la propagation des ragots) par Pierre Bruegel l'Ancien, 1559.

[Gemäldegalerie, Berlin]. Ceci est un détail de « Proverbes néerlandais ».

Le président jésuite de l’Université Loyola du Maryland, le père Brian Linnane, a annoncé récemment que la résidence universitaire Flannery O’Connor serait débaptisée parce que « une information la concernant récemment mise en lumière… a révélé que certains de ses écrits reflétaient une perspective raciste » et que « une résidence universitaire doit être un abri et un foyer pour ceux qui y vivent, son nom doit refléter les valeurs jésuites de Loyola ».

Ces valeurs jésuites sont-elles celles qui, en 1839, ont permis aux jésuites du Maryland de vendre 272 esclaves – hommes, femmes et enfants – à l’ancien gouverneur de la Louisiane, Henry Johnson, dont le fils était un étudiant de Georgetown, pour la somme de 115 000 dollars de l’époque, soit 2 761 078 dollars de 2019 ?

La vente a couvert les dettes que le père Thomas Mulledy, le supérieur jésuite provincial (qui a organisé la vente) avait contractées quand il était président de Georgetown. Etaient-ce ces valeurs jésuites qui ont failli à s’assurer que toutes les conditions de la vente soient respectées, à savoir que les familles ne soient pas dispersées et que la pratique religieuse des esclaves soit encouragée ?

J’ai toujours douté de la sagesse d’aller fouiner dans la correspondance privée des gens. Pensez à ce que vous avez pu dire dans des moments de relâchement avec des amis proches sur internet. J’aime faire des blagues et taquiner mes amis, en vrai et par écrit.

Quelqu’un ne nous connaissant pas, lisant nos commentaires, me prendrait pour une personne abjecte, j’en suis persuadé. Ceci reconnu, je suis une personne abjecte, mais je ne pense pas qu’on puisse le montrer simplement en citant quelques commentaires sortis de leur contexte issus de plusieurs de mes courriels.

Comme base de l’étiquette, nous pourrions demander qui lit les courriels des autres ? Je peux comprendre qu’on lise les lettres d’Einstein à Neil Bohr pour aider à mieux comprendre la genèse de leurs idées et de leurs désaccords, mais seulement en faisant l’impasse sur les commentaires privés – par exemple si Einstein a dit en passant quelque chose sur la femme de Schrödinger. Ces commentaires n’ont pas de signification pour vous. Vous n’avez pas avec Einstein et Bohr la familiarité qui vous permettrait de comprendre ces paroles, sans même parler de les juger.

Les gens qui lisent la correspondance des autres sont des enfoirés, et ils devraient être évités tout autant que les gens qui colportent des ragots sur vos voisins. « J’ai entendu madame Johnson dire l’autre jour à madame Davies qu’elle n’aimait pas le nouveau facteur mais je pense que cela pourrait être parce que le nouveau facteur est irlandais et souffre d’amblyopie et elle même vient de l’Arkansas et… » Vous n’essayez pas de résoudre les difficultés possibles ; vous dites à de tels gens de s’occuper de leurs propres affaires.

Dans un article antérieur, sur ce site, j’ai nommé la culture de l’oubli « culture de la couardise ». Je devrais peut-être envoyer une lettre de remerciements au père Linnane pour s’être donné en exemple.

Pourquoi veux-je appeler cela une couardise plutôt qu’une action téméraire pour rectifier une erreur du passé ? D’abord parce que cet acte ne leur coûte rien. Ils n’ont renoncé à rien. C’est une prise de position sans signification, pas un sacrifice personnel ou un acte pénitentiel. C’est l’équivalent de jeter un homme par dessus bord dans une tentative d’apaiser les dieux de la tempête.

Deuxièmement, c’est bien trop évidemment et pathétiquement un signe de « politiquement correct ». Quelqu’un peut-il imaginer une institution jésuite débaptisant une résidence universitaire ou un autre bâtiment pour avoir découvert que le donateur ou un homonyme a payé pour d’innombrables avortements ?

Troisièmement, c’est un acte d’hypocrisie manifeste – et y a-t-il quoi que ce soit que le Christ ait plus vigoureusement condamné que l’hypocrisie ? – de condamner Flannery O’Connor pour « racisme » alors que les jésuites du Maryland ont un passé de propriétaires et de vendeurs d’esclaves. Et si les jésuites du Maryland vendaient les bâtiments et propriétés de l’université de Georgetown pour en donner la recette à tous les proches de ces esclaves qui pourraient être retrouvés ? Et si les jésuites du Maryland ôtaient la poutre de leur œil avant de s’agiter frénétiquement pour une écharde relativement mineure dans la correspondance privée de Flannery O’Connor ?

Nous pouvons maintenant entendre des cris plaintifs : « mais nous ne pourrions supporter de payer toutes ces réparations aux descendants de ces esclaves ». Non, je ne pense pas qu’ils le pourraient – pas en gardant les millions de dollars qu’ils possèdent en capital ni les postes administratifs bien payés. Ils pourraient, bien sûr, embrasser l’humilité, abandonner tous leurs colifichets de prestige et retrouver leur mission qui est de procurer une simple éducation jésuite traditionnelle en logique, littérature, science et philosophie et théologie thomiste.

Plus de nouveaux bâtiments sophistiqués, plus de programmes coûteux vides d’élèves avec des professeurs enseignant peu voire pas du tout. Mais qui pourrait imaginer une telle chose ? De toute évidence, pas un moderne administrateur d’université.

Ils ont renommé la résidence universitaire du nom de la sœur Thea Bowman, servante de Dieu – du moins pour le moment, tant que personne n’a encore commencé à fouiner dans sa correspondance privée. Je ne m’inquiète pas de ce que Flannery O’Connor pourrait en penser. Étant donné ce que nous savons de sa personnalité, elle ne se serait pas soucié d’avoir son nom donné à une résidence universitaire du style de Loyola Maryland.

On imagine que toute l’affaire pourrait donner parfaitement matière à une nouvelle histoire de Flannery O’Connor. Elle pourrait mettre en scène un prêtre jésuite parfaitement « cosmopolite », né en Géorgie rurale mais plus à l’aise dans les bistrots branchés du district de Washington, qui travaillerait dans une université fondée « selon la tradition jésuite », enseignant des cours de « réconciliation raciale ». Il prêcherait « l’Eglise du Christ Sans Souffrance », une église « pacifique et auto-satisfaite », sans Chute ni Jugement et donc sans besoin de Rédemption. Personne ne serait ressuscité des morts et rien n’aurait d’importance à part que Jésus était un libéral détestant les « haïsseurs » et rejetant à juste titre les rigides.

Un jour, une jeune noire traiterait notre professeur jésuite de « créature infernale ». Imperturbable, il déclarerait qu’elle a besoin d’une thérapie pour son agressivité et commanderait calmement un autre martini. L’histoire s’écrit en quelque sorte d’elle même.

Le titre en serait : « Le jésuite poseur ».