Le dépouillement des autels - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Le dépouillement des autels

Traduit par Bernadette Cosyn

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Illustration : un autel sans linges liturgiques pour le Jeudi Saint

Comme le Christ a été dépouillé de ses vêtements, ainsi les autels sont dépouillés de leurs linges lors de la célébration traditionnelle du Jeudi Saint. « Ils se sont partagé mes vêtements, ils ont tiré au sort ma tunique. » Survient après cette antienne la terrible récitation du Psaume 21, le Deus meus : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as Tu abandonné ? »

C’est un Psaume saisissant, avec sa prédiction exacte et bouleversante de la Crucifixion, des siècles avant qu’elle ne se produise. Cela occupait beaucoup mes réflexions à l’époque où j’ai « perdu la foi » en l’athéisme, il y a quarante-quatre ans, alors que je traversais une passerelle à Londres – fort curieusement, c’était un Jeudi Saint.

Au premier anniversaire de cet événement, ou plus précisément le Jeudi Saint suivant, je me suis trouvé à Saint Ives, en Cornouailles, avec Bernard Leach, le grand céramiste, qui approchait alors les quatre-vingt-dix ans. (Pour moi, j’approchais les trente-quatre ans.) Il était Baha’i (NDT : adepte d’une religion syncrétiste adoptant des éléments du christianisme), très impliqué dans un rapprochement entre l’Orient et l’Occident. Une grande partie de la conversation, qui s’est poursuivie jusque après Pâques, portait sur l’art, la religion et les liens entre art et religion.

Paradoxalement, pour un homme qui avait abandonné son éducation chrétienne, il dénonçait la perte de la foi chrétienne dans l’Angleterre contemporaine, et tout particulièrement la foi en la résurrection de Jésus-Christ. Disant cela, il a commencé à réciter des passages de ce Psaume, insistant particulièrement sur :  « Une troupe de vauriens me cerne. Ils ont percé mes mains et mes pieds. »

Bon, selon l’enseignement de Baha’u’llah tel que Leach le comprenait, le Nouveau Testament est factuellement vrai et, en outre, quiconque suit fidèlement les enseignements du Christ est ipso facto un Baha’i. Ce n’est pas mon interprétation, mais passons. J’ai été frappé par la défense soudaine et audacieuse de la foi chrétienne, venant d’une source improbable.

« Sans la foi » argumentait Leach, « l’art est un jeu de singe ». Réciproquement, je suppose, les idées religieuses ne peuvent pas être exprimées convenablement sans l’art. Cela peut se voir dans toutes les cultures : ce départ de l’ordinaire, au milieu de l’ordinaire. Partout le divin est instinctivement confessé dans un langage et des gestes appropriés. La liturgie, l’art, sont essentiels pour cela.

C’est plus qu’un moyen mnémotechnique ; la Cène elle-même n’est pas simplement « commémorée » durant les événements liturgiques du Triduum Pascal, ou dans la réitération de la messe quotidienne. Comme l’Église Catholique n’a cessé de l’enseigner, la Présence Réelle transcende l’événement historique. Pourtant l’événement historique demeure vrai dans ce cadre. Ces choses ont réellement eu lieu ; et en raison de leur nature, elle continuent de se dérouler dans un monde qui a été transformé par la venue de Notre Sauveur.

Ces événements demeurent vrais même si la vérité est rejetée, comme elle l’a été à l’époque du Christ, et ils le resteront. Nous n’avons pas « progressé » dans le sens profane du terme ; nous n’avons pas une révélation progressive. Nous avons la vérité du Christ, au centre de l’Histoire et au centre de notre être, maintenant et pour toujours. Il est Celui qui nous élève hors de nos vies triviales et pécheresses et dirige notre attention vers ce qui est immuable, pur et, dans tous les sens du terme, élevé. Nous y retournons, ou nous essayons d’y échapper.

Échapper : dans un monde façonné par nous, et dans une vie où nous pensons, dans notre vanité, pouvoir écrire les règles. L’Enfer, que l’on peut discerner depuis cette Terre, c’est de mettre la plus grande distance possible entre nous et Dieu. Pour cette raison, l’Orgueil est la reine de la ruche des péchés capitaux ; et dans l’humilité, l’Amour devient son contraire, une vertu théologique. Pour cette raison, l’Amour s’exprime en actes de sainte obéissance, comme en témoigne splendidement le Magnificat. Le retour à la vérité commence avec l’acceptation de la volonté de Dieu, même au prix de la nôtre.

« Le dépouillement des autels » a été utilisé comme titre de livre par Eamon Duffy, un livre en circulation depuis maintenant un quart de siècle. C’est une remarquable histoire révisionniste de la Réforme anglaise, qui selon moi a pris davantage de sens à mesure que le temps passait. Ce livre remet en cause le mythe et la propagande qui ont guidé notre pensée dans les contrées de langue anglaise et partout où notre influence s’est fait sentir.

C’est une variante, je pense, du mythe païen de Prométhée, qui a volé le feu divin pour le mettre à disposition de ses semblables. Dans notre variante, nous avons pensé que l’Église Catholique était fatiguée et défaillante durant les générations ayant précédé une sorte de « libération » ; que la foi protestante a émergé comme une régénération, un mûrissement, une maturation, dans une Grande Charte spirituelle. Désormais nous ne serions plus captifs de l’autorité d’une classe sacerdotale ignorante et complaisante, mais libres – libres de lire les Écritures par nous-mêmes, de débarrasser les églises de leurs décorations profuses, de former notre propre jugement, d’écrire nos propres prières.

Nous avons tous part à cette histoire, remontant à Henry VIII, traversant les règnes de Edouard VI et Elisabeth I, quand l’ordre médiéval a été mis sens dessus dessous et la foi catholique déclarée hautement illégale. Ce que Duffy a montré à cette génération, comme Philippe Hughes l’a fait pour une précédente ( dans sa Réforme en Angleterre en 3 volumes, 1950 et 1963), c’est la preuve évidente d’un énorme mensonge historique chronique.

L’ordre ancien était solide à l’aube de cette révolution qui a été imposée par la force. La résistance que les gens lui ont opposée était profonde ; pourtant elle a échoué – en Angleterre et ailleurs – sous la violence d’un pouvoir politique émergent menant la théologie vers sa fin. Les destructions liturgiques à tous les niveaux, s’étendant à la destruction des monastères, la destruction des images et la crémation des bibliothèques médiévales, étaient nécessaires pour mettre en place le meilleur des mondes, au sein duquel l’Église était mise à la disposition de César.

Tout cela également est préfiguré dans le Psaume et dans le dépouillement des autels pour le Jeudi Saint.

David Warren est ancien rédacteur du magazine Idler et chroniqueur de Ottawa Citizen ; Il a une expérience étendue du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/04/13/the-stripping-of-the-altars/