Le courage : une grâce sous pression - France Catholique
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Le courage : une grâce sous pression

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Courage, angoisse et désespoir : Regarder la bataille, par James Sant, 1850.

Courage, angoisse et désespoir : Regarder la bataille, par James Sant, 1850.

La grippe de la chauve-souris nous a tous rendus dingues, avec des conversations sur beaucoup de sujets que la plupart d’entre nous ne se seraient jamais attendus à avoir à traiter. Mais parmi tout ce qu’on a pu dire sur la sécurité et la souffrance, les vies en opposition avec les moyens de subsistance, les morts dus au gène pathologique ou les morts dus à l’isolement, il y a un mot étrangement absent, excepté quand il s’agit de nos héroïques personnels soignants : le mot courage.

Cette absence est étrange car la vertu de courage est précisément ce qui devrait se manifester, pour tout le monde, à un moment comme celui-ci quand nous sommes tous en première ligne. Depuis que nous avons perdu le contact avec la vertu de la tradition et même avec la simple sagesse qui guidait la vie de tous les jours, nous ne donnons plus une seule pensée à quelque chose comme le courage – le besoin d’être « un homme » (ou une femme).

Au lieu de cela, nous nous sommes occupés à essayer de créer un monde où tous seront « en sécurité » et où personne n’aura à faire face à quoi que ce soit d’agressif ». Et où les institutions – ou, en tous cas, quelqu’un d’autre – arrangeront les choses de manière à ce que plus personne n’ait à être à nouveau courageux.

C’est de la pure illusion et – c’est triste à dire – même la peur généralisée semble ne pas avoir ramené beaucoup de monde vers la réalité. Il existe un vieux proverbe latin : « mors certa, hora incerta » (La mort est certaine, l’heure en est incertaine). Nous savons que tout finira un jour, peut-être même aujourd’hui. La plupart des gens passent leur vie à essayer d’ignorer ce fait ou de le nier. Pourtant, chaque jour apporte des incertitudes et des dangers – qui demandent du courage.

Au début de sa carrière, c’est-à-dire peu après qu’il soit devenu catholique, alors qu’il était entiché de « tout ce qui était médiéval », Ernest Hemmingway a dit que le courage était « une grâce sous pression ». Il a laissé sa phrase comme cela. Aussi est-il impossible de savoir s’il voulait parler de la « grâce » dans un sens évidemment catholique ou comme cela apparaît parfois dans son œuvre, la grâce comme une sorte d’attitude macho.

Mais à la base, il avait raison. Le courage ne veut pas dire que nous ne ressentons pas la peur d’une réelle menace, ou que nous l’ignorons purement et simplement. Ce serait de la stupidité. Le courage signifie voir la menace, ressentir la peur en conséquence, et faire quand même ce qu’il faut faire.

Faire ce qui est juste n’est pas évident en soi. Cela nécessite une autre vertu – la prudence – qui est également notoirement absente de nos conversations sur le virus dans la vie quotidienne. (Si vous voulez une rapide introduction sur les vertus, d’Aristote à saint Augustin, à saint Thomas d’Aquin et au-delà, faites-vous plaisir en lisant le livre de Josef Pieper, qui est un classique : Les quatre vertus cardinales.) La prudence – la vraie prudence – n’est pas de la timidité. Il s’agit de faire directement face à la réalité et de faire les meilleurs jugements possibles sur ce que l’on doit faire, sans en être détourné par la crainte ou le plaisir.

John Lennon a chanté la chère Prudence, dame timide, qui devrait « sortir pour jouer ». La vraie prudence laisse de la place pour le jeu, mais plus sérieusement, se manifeste pour prendre en charge les décisions cruciales, surtout celles pour lesquelles il n’y a pas de réponses scientifiques ou strictement logiques, ce qui veut dire une grande partie de la vie humaine.

Comme vous avez dû le remarquer pendant les débats – qui ressemblaient plus à des pugilats – à propos de ce qu’il fallait faire maintenant que le virus était quelque peu en recul, nous entendons rarement parler de l’évaluation des éléments du problème qu’effectue la prudence. Les réponses ne font que se heurter.

On peut dire qu’il ne faudra pas sortir de chez soi pendant les 12 ou 18 prochains mois, tant qu’il n’y aura pas un vaccin pour nous protéger. C’est un jugement prudent, mais pas très réaliste (et de ce fait, pas vraiment prudent) car les peuples du monde – bien qu’ils aient été très patients jusqu’à maintenant, – n’attendront simplement pas aussi longtemps pour essayer de vivre des existences plus normales.

On peut dire, au contraire, que les faits actuels montrent que les risques pour tout le monde sont peu élevés – ce que nous ne savions pas il y a un ou deux mois. A ce moment-là, les dirigeants en Amérique et ailleurs ont dû prendre des décisions sur la façon de protéger les populations sans pouvoir attendre des données plus scientifiques – et cela reste encore très incertain.

C’est là qu’intervient la prudence ; elle ne nous donne pas de fausses certitudes. En réalité, elle tient compte du fait que de telles décisions doivent être prises au milieu de multiples contingences, qui peuvent changer et peuvent nous obliger à modifier la voie que nous avions choisie.

La prudence nous fait aussi réaliser que la plupart du temps, nous faisons des compromis, que nous devons souvent agir dans une ignorance partielle et que, de ce fait, nous devrions être un peu indulgents envers les autres qui, aussi incertains que nous, peuvent avoir fait des choix différents des nôtres.

Au lieu de prudence, cependant, comme d’habitude nous nous trouvons face à de la partialité. Ou bien le pays entier devrait rester confiné. Ou bien carrément ouvert. Le chemin prudent qui autoriserait des expériences et regarderait comment cela marche – et réagirait en fonction du résultat – a très peu de pratiquants.

Mais ce à quoi nous sommes appelés, c’est à la prudence en pensée et au courage en action, même quand nous ne faisons pas face à un virus. Ce qui veut dire que nous devons toujours nous exercer à être des gens vertueux.

Pour être clair, le courage ne devrait pas se confondre avec la notion moderne et ridicule de « croire en soi-même ». Quiconque croit en lui-même est un sot, et peut-être au sens le plus littéral des mots, un damné sot. Combien de gens se sont torturés jusqu’à la limite de la psychose en essayant de se contorsionner l’esprit jusqu’à se convaincre de « croire en » une créature humaine faillible et déchue.

Saint Augustin, qui avait probablement vu certains des philosophes païens prétentieux qui se croyaient droits et étaient fiers de leur propre vertu, transposa brillamment les quatre vertus cardinales (prudence, tempérance, justice et courage) – comme il l’a fait avec à peu près tout ce qu’il touchait – en la base chrétienne de l’ordre de l’amour :

Pour ces quatre vertus (on voudrait que tous en ressentent l’influence en esprit comme ils en ont les noms dans la bouche) je n’aurais pas d’hésitation à les définir : La tempérance est l’amour qui se donne entièrement à ce qu’on aime ; la fortitude (le courage) est l’amour qui est prêt à supporter tout pour le bien de l’objet aimé ; la justice est l’amour qui ne sert que l’objet aimé et de ce fait gouverne bien ; la prudence est l’amour qui distingue avec sagacité entre ce qui le gène et ce qui l’aide (De moribus ecclesiae, chap. XV).

De bonnes paroles pour les mauvais jours.