Le Christ s’est-Il réellement ‘’endormi’’ ? - France Catholique

Le Christ s’est-Il réellement ‘’endormi’’ ?

Le Christ s’est-Il réellement ‘’endormi’’ ?

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Bénédicte Ducatel, dont souvent je lis les interventions, écrit, dans le livret de la Semaine Sainte complétant le Magnificat de ce mois :

« […] Jour unique dans l’année liturgique, le Samedi-Saint nous tient sur le sommet de la foi vive : la mort a-t-elle raison de Dieu ? Revenons aux paroles qui portaient l’espérance au jour de tranquillité ‘’Dans la paix, moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d’habiter, Seigneur, seul dans la confiance’’ (Ps IV,9). Le Christ s’est endormi, remettant sa vie entre les mains du Père. Il a fait l’expérience de la foi pure qui ne compte pas sur elle-même mais sur Dieu seul. » Je n’ai cité que ces quelques lignes, même si toute la page m’a grandement intéressé.

Ce texte est beau, certes, et il interroge le lecteur, mais je ne suis pourtant pas certain de l’exactitude du propos souligné, car je pense à ce que nous révèle saint Pierre, notre premier Pape : « Le Christ lui-même en effet est mort une fois pour les péchés, lui le Juste pour des coupables, afin de nous conduire à son Père ; car mis à mort dans sa chair, Il a été rendu à la vie selon l’esprit. C’est avec ce même esprit qu’Il est allé faire sa proclamation aux esprits détenus en prison… » (I Pierre III, 18-19). Quelle prison ? Celle de la Mort, donc du Shéol, ce lieu millénaire d’une attente indicible.

Et plus loin, après avoir indiqué ce que faisaient les païens (débauches, passions, saouleries, orgies, beuveries, idolâtrie…) : « Ils jugent étonnant que vous ne courriez pas avec eux vers ce torrent de perdition et ils se répandent en outrages. Ils en rendront compte à Celui qui se tient prêt à juger vivants et morts. C’est pour cela, en effet, que même aux morts a été annoncée la Bonne Nouvelle, afin que, jugés selon les hommes dans la chair, ils puissent vivre selon Dieu dans l’esprit » (I Pierre IV, 4-6).

Hormis l’appropriation des dernières lignes à ce que nous vivons aujourd’hui, nous pouvons regretter que ce texte de saint Pierre, porteur d’une espérance vivifiante, ne fasse pas l’objet de réflexions plus fréquentes de la part de nos enseignants ou bergers ou pasteurs.

Jésus n’est pas demeuré dans son tombeau : inutile sans doute de supputer si en esprit Il a quitté ce lieu aussitôt après son ensevelissement ou plus tard, il nous suffit de penser qu’Il en est sorti, hors de son corps (?) vraiment mort, pour se rendre en ce « séjour des morts » dont nous ne savons rien mais dont les Romains, en leur acte de crucifixion, s’étaient permis de le lui interdire tout comme en le crucifiant nu ils lui avaient fait savoir ou comprendre qu’Il n’était plus pour eux qu’un simple animal et non plus un être humain. Et l’on contemple, effaré, le résultat absolument atroce que nous laisse entrevoir, discrètement, le Linceul lui-même.

Ce qui m’apparaît le plus étrangement c’est la joie de Jésus. Je crois qu’elle éclate, rayonnante, lorsqu’enfin Il peut dire que « Tout est accompli », car alors il peut regarder vers son Père, ayant en effet accompli « Sa volonté », ayant ainsi prouvé l’indéfectible amour qui le lie à Lui. Toute l’Écriture en ce seul acte, dont on voit bien, en répertoriant l’ensemble des textes du Premier Testament, qu’elle n’a de sens – dirais-je d’abord historique ? – que si le Christ est venu et que s’Il S’est, en vérité, livré aux supplices, de la façon la plus déterminée qui se puisse concevoir et dont témoigne, entre autres faits, la théophanie d’avant son arrestation volontaire, toute l’Écriture en effet est résumée en ces quelques jours qui vont de l’entrée à Jérusalem jusqu’à la sortie du tombeau.

Quelques mots cependant à rajouter : une question m’a été posée à propos des morts d’autrefois qui allaient et venaient dans Jérusalem à l’heure où Jésus était déjà ressuscité. Au cour de l’échange, l’idée fort étrange m’est venue que Jésus n’avait pas perdu son temps une fois sa mort acquise sur son gibet.

Que dit saint Matthieu ? « Soudain, le Voile du Temple se déchira du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent. Les tombeaux s’ouvrirent, les corps de nombreux saints déjà morts ressuscitèrent et, sortant du tombeau après sa résurrection, ils entrèrent dans la Cité sainte et se montrèrent à un grand nombre de gens… »

Je n’ai jamais lu de commentaires sur cet événement alors pourtant qu’il est fort et digne d’être médité.

Saint Matthieu est le seul à le rapporter : fut-il le seul à errer dans la ville en ces heures-là et donc à rencontrer de ces morts dont peut-être avait-il connu l’un ou l’autre ? À moins que tel de ses amis soit allé le chercher pour lui faire constater cette phénoménale réanimation de ces « nombreux saints déjà morts »…

Il est écrit que ces ‘’revenants’’ se montrèrent après la résurrection du Seigneur, c’est-à-dire une fois accomplie la visite rendue par Jésus aux âmes rassemblées au sein du Schéol ; c’est-à-dire encore que déjà Il avait repris son corps, événement dont nous ne connaissons pas en effet le moment où il fut accompli : le samedi matin, par exemple, pour son voyage chez ceux qui L’attendaient depuis si longtemps ?

À quel moment donc Jésus est-Il descendu au Schéol afin d’aller rencontrer les Justes qui espéraient l’heure de leur entrée chez Dieu ? Ce lieu était bien réservé aux âmes des Justes qui devaient attendre jusqu’à ce que survienne l’Heure de Dieu, soit celle du Salut. Et c’est bien pourquoi Jésus se rend auprès de ces âmes afin de les rencontrer, de les rassurer, elles qui n’avaient pu, au cour de leur présence en ce lieu, être reçus par le Père : il fallait, bien entendu, que le Salut soit déjà accompli par le Fils. Voilà l’information capitale qui devait être annoncée par Celui-là seul qui avait accompli l’Écriture au long de sa Passion et de sa Résurrection.

Mais, toujours la même question, fut-ce en son âme seule qu’Il se montra ou au contraire après avoir réintégré son « Corps de Gloire » ? Ne fallait-il pas que ces Justes contemplent d’abord les marques de sa Passion, en quelque sorte le témoignage de l’œuvre accomplie, avant de comprendre cette « résurrection » dont ils sont alors les témoins ? Ainsi, peut-on penser que Jésus n’a pu leur annoncer l’ouverture des portes que tel qu’Il se montra par la suite à ses apôtres et disciples.

De belles et grandes icônes slaves évoquent cette rencontre au sein du Shéol : on y voit Jésus tenir la main d’Ève et d’Adam afin de les emmener en premier, suivis de la foule de tous les Justes… Chez les orthodoxes on vénère une icône admirable qui montre le Seigneur debout sur une croix couchée, prenant avec vigueur à gauche la main d’Adam et à droite celle d’Ève. Détail symbolique, la main de la femme par qui vint le malheur de l’humanité se trouve être tirée plus haut que celle de l’homme par qui vint le choix du pouvoir, que je nomme volontiers l’Ordre du Savoir idolâtré. L’auteur de l’icône première a-t-il vu en cette différence comme une référence révérencieuse envers celle que l’on nomme la Nouvelle Ève et par qui vint parmi nous et en nous Celui qui nous ferait reprendre le chemin vers cet Éden où règne seul et sans partage l’Ordre de l’Amour ? Je ne sais, mais j’aime à le croire.

C’est là peut-être, parmi tous ces anciens défunts dont on ne peut supputer le type d’existence qui était le leur, qu’Il a choisi des témoins (volontaires ?) en nombre suffisant pour que saint Matthieu précise que cette troupe était importante – le nombre pourtant restera à jamais inconnu – afin qu’ils aillent rendre compte aux habitants de Jérusalem de cette descente de Jésus parmi eux, dont la longue en même temps que merveilleuse attente de sa venue n’avait certainement pas manquée d’être éprouvante. (Peut-être se sont-ils également éparpillés dans la nature, s’éclipsant vers les quatre horizons ?…)

Leurs tombeaux furent brisés afin qu’ils puissent en sortir afin d’aller au devant de nombreux Hierosolomytains, également nommés en hébreux Yeroushalmi : souvent je regrette l’avarice des évangélistes, qui ne savaient pas que vingt siècles plus tard on se lamenterait de ne connaître aucun des propos que ses saints d’avant Jésus auront tenus devant les habitants de Jérusalem et/où d’ailleurs. J’imagine sans peine que ces derniers ont dû être impressionnés et peut-être affolés par cette horde hirsute et aux vêtements fort ‘’défraichis’’…

Il n’y a donc pas eu que les apôtres et des disciples à connaître le fait historique d’un mort ressuscité qui était le Fils de Dieu : s’il n’y eut de la part de Jésus aucune communication publique, à la façon occidentale, avec tambours et trompettes, cortèges, manifestations, pour faire savoir qu’Il était ressuscité, il y eut cependant cet extraordinaire surgissement de ces ‘’réanimés’’ dont hélas il ne fut fait aucune relation scripturaire.