Qu’attendez-vous de ce procès au long cours, qui durera neuf mois, devant la cour d’assise spéciale de Paris ?
Sylvie et Érick Pétard : Nous ne nous sommes pas rendus à Paris pour assister au procès. Nous ne sommes pas partie civile. Ce n’est pas notre combat. Je ne sais pas si nous aurons un jour les réponses au pourquoi et au comment. Nous n’avons pas besoin d’avoir un jugement. Les filles ne sont plus là et la justice ne nous les rendra pas. Les réponses seront-elles adaptées à notre douleur ? Je ne sais pas. Nous n’attendons pas ce procès pour aller mieux. Ce n’est pas cela qui arrangera notre vie. Nous avons pris un autre chemin.
Votre foi s’est renforcée et avivée après ce funeste 13 novembre. De quelle façon ?
Sylvie Pétard : Avant la mort de Marion et d’Anna qui auraient aujourd’hui respectivement 27 et 24 ans, Érick était plus croyant que moi. Nous avons tenu une boucherie-charcuterie pendant plus de 30 ans, dont dix ans à Chailles près de Blois. Au magasin on priait pour nos filles, notre travail. Marion et Anna étaient baptisées et sont allées à l’école privée, mais à l’époque, nous n’allions pas à la messe.
Nous avions un commerce trop prenant, et le dimanche après-midi nous le consacrions aux filles. Quand elles sont parties, Érick m’a dit : « Tourne-toi vers Dieu et ça ira mieux. »
Le 14 novembre 2015, lorsque l’angoisse montait car je n’arrivais pas
à les joindre, alors que je savais qu’elles étaient ensemble sur les lieux visés
par les attentats, j’ai appelé Dieu. Mais je ne l’ai pas entendu alors que je
sais maintenant qu’il était là depuis le début. Je ne l’ai vraiment rencontré qu’après leur mort. Peut-être fallait-il que je sois prête ?
Le cheminement vers la prière s’est fait petit à petit. Un jour, je suis entrée dans la chambre d’Anna pour lire sa Bible. Une autre fois, alors que je me recueillais, j’ai vraiment ressenti la présence de Dieu et, comme dans une sorte de vision, j’ai vu mes filles…
La Vierge Marie tient-elle une grande place dans votre vie désormais ?
Oui. Qui d’autre que la Vierge des Sept Douleurs qui a assisté à la mort de son fils peut me comprendre ? Après les attentats, pendant plusieurs mois, les filles étaient perdues pour moi. Je ne savais pas où elles pouvaient se trouver, sans même penser aux notions de paradis ou de purgatoire. Non seulement je les ai retrouvées en Dieu, mais je sens au plus profond de moi-même qu’elles sont près de Marie.
Tous les jours je la prie pour qu’elle garde les filles avec elle comme cela, quand je mourrai, je sais qu’elles viendront me chercher. Je vis avec cette certitude. Du coup je n’ai pas peur de mourir. Je préférerais autant que ce soit lentement pour me préparer à les retrouver.
La foi est donc devenue un refuge ?
Non, c’est un soutien, un appui et une espérance. La prière est devenue une respiration. Avec Érick nous avons installé un oratoire dans notre maison, où sont aussi posés l’appareil photo d’Anna et la flûte de Marion. Chaque jour je récite le psaume 62 qui commence par « Dieu tu es mon Dieu je te cherche dès l’aube », et parfois plusieurs fois par jour je dis les belles paroles de sainte Thérèse d’Avila : « Que rien ne te trouble, que rien ne t’effraie, tout passe, la patience obtient tout, Dieu seul suffit. »
Le matin, je prie avec Érick et le soir j’écris mes pensées dans un cahier. Un travail commencé au début du deuil. Ensuite, je m’endors après avoir lu la Bible et parfois je m’endors dessus ! Notre vie est faite désormais de silence et de méditation. Avec mon mari nous nous suffisons à nous-même. Nous avons l’un pour l’autre un amour très fort. En revanche nous avons besoin de partager des moments de vie avec les autres, et nous nous sommes rapprochés d’amis qui avaient la foi. Certains arrivent maintenant à me faire rigoler ! Mais il est évident que les personnes futiles, dans la plainte, et loin de Dieu n’ont plus de place dans nos vies. Maintenant la paix et le calme nous habitent. Plus rien n’est grave de toute façon.
Pourquoi vous rendez-vous très souvent au cimetière ?
Je n’aime pas le mot cimetière. Pour moi la tombe de Marion et Anna c’est « la maison des filles ». Elle est toujours fleurie. Je sais que je ne suis pas obligée d’y aller car elles sont toujours avec moi dans la prière, mais j’ai besoin de garder ce lien charnel qui passe par un lieu, le seul où quand nous sommes réunis, nous sommes en famille tous les quatre.
Vous vous définissez maintenant comme des pèlerins avec Érick. Pourquoi ?
À la mort des filles nous avons vendu notre boucherie-charcuterie près de Blois. Nous ne possédons plus rien. Notre trésor, nos enfants, sont au Ciel, alors nous ressentons tous les deux le besoin de « recharger les batteries » dans des lieux sources de paix. Nous partons fréquemment faire des retraites ou des pèlerinages à Pellevoisin ou Montligeon. J’aimerais aller à Lourdes ou Paray-le-Monial en octobre.
La messe est aussi notre carburant pour vivre, non pour tenir. Nous y allons tous les dimanches et quand je communie j’ai un pincement dans le ventre : dans la communion des saints, je sais que je retrouve Marion et Anna.
Les catholiques que vous êtes peuvent-ils pardonner aux commanditaires des attentats ?
Je ne veux pas m’occuper du pardon car cela détruirait ma vie. Je ne peux pardonner à ces gens-là. C’est impossible. Ce sont des monstres. J’ai confiance en Dieu pour qu’Il exerce sa justice comme il le voudra. Même si nous avons une vie de foi, notre quotidien est très difficile. J’étais très proche de mes filles.
Si je n’ai pas la prière comme armure, la douleur affleure, car malgré l’espérance, elle est tout le temps là.
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Attentat du Bataclan. L’espérance qui nous fait vivre, Sylvie et Érick Pétard, éd. Artège, 15 €.
