La véritable espérance, Victoire du christianisme - France Catholique

La véritable espérance, Victoire du christianisme

La véritable espérance, Victoire du christianisme

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Le temps de Pâques et celui de la Pentecôte devraient nous amener chaque année à réviser nos raisons chrétiennes d’espérer. L’entraînement du monde où nous vivons ne fait-il pas que, trop souvent, pour le christianisme, pour l’Eglise comme pour nous-mêmes, nous sommes tentés de mettre notre espérance là où la mettent les autres hommes, c’est-à-dire en l’homme seul et non en l’Homme-Dieu ?

Est-ce vraiment, autrement dit, parce que le Christ est ressuscité que nous sommes sûrs du triomphe final ? Que notre cœur est en paix ? Que notre âme peut se livrer à la joie ? Ou bien ne faisons-nous pas dépendre tout cela de la réussite de visées simplement humaines, ne faisant appel qu’à des considérations qui rassureraient aussi bien des hommes dont l’espérance n’est pas dans le Christ ?

Pour nous, la victoire du Christ est-elle l’objet de la foi, quelque chose que Dieu nous a donné ? Ou bien se serait-elle pas ce que nous voudrions réaliser par un emploi sagace des forces de ce monde, par notre propre habileté, pour ne pas dire crûment notre débrouillardise ?

A lire beaucoup des articles et des livres que les chrétiens écrivent aujourd’hui sur un problème comme celui de l’évangélisation du monde, on croirait que le triomphe de la foi est principalement, sinon exclusivement, une affaire de méthodes, de statistiques. Auprès d’autres, il apparaît que l’Eglise l’emportera ou non selon qu’une bonne ou qu’une mauvaise politique aura des chances de s’imposer…

Notez bien qu’il n’est pas question de négliger l’importance de tout cela. Mais le danger qui menace aujourd’hui les chrétiens c’est d’abord d’accepter eux-mêmes sans critique le préjugé de ceux qui ne le sont pas, c’est-à-dire de croire sourdement que la loi en un monde invisible, dans la mesure où on la prend au sérieux, invalide tous nos efforts dans le monde qui se voit. Après cela, qu’on s’en rende compte ou non, on en vient, par une pente toute naturelle, à considérer pratiquement le monde invisible comme de nulle valeur en soi.

Contre cette double erreur, il faut réagir vigoureusement. Non, nous ne sommes pas mis dans une position d’infériorité en ce monde parce que nous croyons en un autre monde. L’expérience ne montre que trop comment ceux qui croient seulement en ce monde-ci n’y ont pas la liberté d’esprit suffisante pour échapper soit à l’esclavage soit à la tyrannie.

Si l’on fait un absolu, en effet, du monde visible, on s’y crée infailliblement des idoles monstrueuses où le véritable humain est stérilement sacrifié. Seuls ceux qui font reposer ailleurs leur espoir ultime savent ici-bas traiter l’homme en homme et non en rouage d’une machine qui, sous prétexte de le servir, le dévore. Seuls ceux qui savent que la gravité de la vie présente tient à ce qu’elle est l’épreuve qui décidera de notre vie éternelle peuvent unir à la fois le sérieux et l’humilité sans lesquels toutes nos tâches présentes se dérèglent.

Mais surtout, qu’importe le jugement tout fait que les esprits moutonniers porteront sur notre croyance, si elle est vraie ? L’absolu, le définitif n’appartiennent pas au domaine de ce qui se voit, de ce qui se touche. Nous sommes des illusionnés si c’est là que nous imaginons les trouver… Par conséquent, nous n’avons pas à être déconcertés ou troublés par cette certitude que ce n’est pas nous qui ferons, par notre intelligence ou notre activité, « régner le Christ ».

Le Christ règne, au contraire, parce qu’il est le Fils du Père céleste et le ressuscité. C’est là ce qui doit être la seule base vraiment raisonnable pour notre activité. Elle ne doit être qu’un hommage de notre foi et de notre amour à cette certitude fondamentale. Et c’est alors que nous découvrirons les merveilleuses victoires que rend possibles, dès aujourd’hui, ce transfert de notre allégeance du temporaire à l’éternel, et cette victoire suprême qui fait des échecs inévitables eux-mêmes des jalons sur cette voie de la croix par laquelle seulement on rejoint le crucifié dans la gloire de sa résurrection.

Louis BOUYER