La tentation pélagienne - France Catholique

La tentation pélagienne

La tentation pélagienne

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« On n’éprouve plus le besoin d’être sauvés. La promesse du Salut devient inopérante, inutile, inaudible, quand elle est encore ouvertement formulée, ce qui n’est pas si fréquent. Pour la première fois, depuis des siècles, l’homme occidental ne se reconnaît plus comme blessé et une Église affaiblie n’ose plus prétendre le guérir. » Cette déclaration est tirée d’un article de Jean-Pierre Denis, directeur de l’hebdomadaire La Vie qui s’exprime dans le mensuel La Nef. Son intervention se situe dans le cadre d’une enquête fort intéressante sur les catholiques en France. J’ai été très sensible à l’accent de Jean-Pierre Denis, qui veut exprimer non pas un désarroi personnel, mais le malaise qu’il éprouve et se traduit par cette simple formule : « En France, le christianisme va mal. Très mal. »

Comment lui donner tort face à l’évidence aveuglante de la sociologie religieuse et des statistiques ? Certes, j’aurais envie de lui rétorquer qu’il y a des choses qui vont plutôt bien et qu’il y a ici ou là des surgeons de la foi, ce que se charge de rappeler d’ailleurs le dossier de La Nef. Mais je ne veux pas esquiver cet avertissement véhément, parce qu’il sonne juste sur l’essentiel. Et il met en évidence une dimension sur laquelle nous aurions intérêt à nous concentrer quelque peu. Cette dimension, je l’appellerais de façon un peu cuistre, pélagienne. Je n’ai pas le temps de faire tout un développement là-dessus, mais saint Augustin n’avait pris Pélage pour cible que parce que celui-ci professait l’hérésie majeure qui est encore d’actualité aujourd’hui. Comment s’intéresser au Salut apporté par Jésus Christ mort et ressuscité pour nous, alors que nous sommes à peu près persuadés, même chrétiens, que c’est nous-mêmes qui nous sauvons ?

Et comment le monde adhèrerait-il à l’espérance du Salut, lorsque nous-mêmes sommes de si piètres chrétiens ? Je suis persuadé, pour ma part, que la grande dépression du catholicisme français dans les années soixante-dix est de nature pélagienne. Comment adhérer au Christ sauveur, alors que c’est l’auto-suffisance qui règne avec toutes les idolâtries qui lui correspondent ? Le sens du Carême que nous vivons, c’est précisément de nous arracher à cette auto-suffisance et à toutes ces idolâtries.

Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 2 mars 2015.