La stature politique du patriarche Cyrille Ier - France Catholique

La stature politique du patriarche Cyrille Ier

La stature politique du patriarche Cyrille Ier

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Chef du département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou depuis novembre 1989, intellectuel brillant et assez jeune à 62 ans, le métropolite Cyrille de Smolensk et Kaliningrad partait gagnant dans une compétition qui a rassemblé plus de 700 électeurs.
Dès le lendemain de la mort de son prédécesseur Alexis II, le métropolite Cyrille avait été élu locum-tenens du siège patriarcal de Moscou, dont il connaît bien les rouages. Homme à la fois brillant et ambitieux, il s’était fait beaucoup connaître à l’échelle internationale ces dernières années. Et en Russie, il anime une émission de télévision hebdomadaire à Moscou et a lancé le site Internet du Patriarcat.

Il avait été nommé dès l’âge de 25 ans représentant de l’Église orthodoxe russe au Conseil œcuménique des Églises, en 1971, époque où le système politico-religieux de Moscou cherchait des alliés en Occident.

Ainsi, Cyrille surclassait a priori les deux autres candidats proposés par le Concile épiscopal : le métropolite Clément de Kalouga, un « conservateur » responsable administratif du Patriarcat dépourvu de notoriété, et le métropolite Philarète de Minsk, un pasteur envoyé en Biélorussie, président de la Commission théologique de l’Église orthodoxe russe, estimé et aimé de ses ouailles, mais déjà âgé de 73 ans. Homme très humble, Philarète a retiré sa candidature dès le début des délibérations précédant le scrutin.
Atout majeur à Moscou, Cyrille Ier est bien connu au Vatican, où, après avoir assisté aux obsèques de Jean-Paul II en 2005, il a rencontré à plusieurs reprises le Pape Benoît XVI et ses collaborateurs de la Curie, en particulier le cardinal Kasper, président du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens.

Au sein du monde orthodoxe russe, certains considèrent Cyrille de Smolensk comme trop « libéral », trop ouvert à l’Occident, reproche étrange quand on connaît ses fonctions de représentant du Patriarcat dans les pays étrangers… La réalité est plus complexe…

Cyrille a toujours défendu vigoureusement les intérêts de l’Église russe : il s’est opposé à l’apparition en Ukraine d’une Église indépendante du Patriarcat de Moscou, dans un contexte d’antagonisme avec deux Églises nationales ukrainiennes « dissidentes » ; il a aussi maintenu récemment des contacts étroits avec l’Église orthodoxe de Géorgie en août dernier, au moment de la guerre en Ossétie du Sud. En octobre 2008, il a effectué un voyage pastoral en Amérique latine, où il a ouvert de nouveaux lieux de culte, et renoué avec les communautés orthodoxes locales, qui avaient parfois désapprouvé la réunification du Patriarcat de Moscou et de l’Église orthodoxe russe hors frontières issue de l’émigration d’après 1917… Auparavant, il avait cherché sans succès à intervenir pour maintenir l’Église orthodoxe d’Estonie dans le giron du Patriarcat de Moscou.

Sur le plan intellectuel, le métropolite Cyrille a été le principal artisan d’un texte de l’Église orthodoxe russe en l’an 2000 sur la doctrine sociale du christianisme : publié en français en 2006 aux éditions du Cerf, ce texte avait été présenté par le futur patriarche de Moscou lui-même au cours d’une conférence de presse à Paris. Ce travail s’est révélé à la fois nécessaire et habile car il y a là, notamment, un terrain d’accord possible rapidement avec les autres confessions chré­tiennes, sans préjuger du reste…

Tout en se réclamant de la filiation d’un prestigieux maître spirituel, le métropolite Nicodème de Leningrad ouvert au monde catholique et mort en 1978 dans les bras du pape Jean-Paul Ier, Cyrille de Smolensk a suivi un itinéraire quelque peu sinueux en ce qui concerne les relations avec le christianisme occidental : avant la chute du communisme, il s’est montré lui aussi très partisan d’entretenir des relations étroites avec Rome et l’Occident. Mais après 1991, il a adopté des positions beaucoup plus distantes, voire réticentes. Après l’annulation de deux rendez-vous entre le Patriarche Alexis II et Jean-Paul II en Europe centrale en 1997 et 1998, le métropolite Cyrille s’est opposé très fermement, mais en vain, à la visite du Pape « polonais » en Ukraine en juin 2001 : il la déclarait prématurée et dangereuse pour l’avenir des relations entre catholiques et orthodoxes, et n’hésita pas à utiliser les termes de « guerre froide » entre les deux Églises, tout en affirmant souhaiter à l’avenir une rencontre entre Rome et Moscou.

Dans l’immédiat, il demandait à Jean-Paul II de « reporter, voire de remettre » sa visite à Kiev. Lors de cette visite, le représentant local de l’Église orthodoxe russe, le métropolite Vladimir Sabodan, quoique homme ouvert et grand lecteur de Soloviev, l’apôtre russe de l’unité des chrétiens, s’était abstenu de venir saluer le Pape, contrairement aux représentants des deux Églises orthodoxes ukrainiennes nationales et à tous les autres représentants religieux, dont le Grand Rabbin de la communauté juive d’Ukraine, quant à lui très chaleureux.

Il est vrai que toute perspective de rencontre avec un Pape polonais pouvait provoquer de graves remous au sein d’une partie du monde orthodoxe russe, où la Pologne est malheureusement toujours considérée comme un ennemi héréditaire depuis des siècles, pratiquement depuis le début de la fondation de la Moscovie au XIVe siècle… En outre, en cette année 2001, la querelle du « prosélytisme » et du « braconnage spirituel » reprochés aux catholiques en terre russe était encore brûlante…
Aujourd’hui, au lendemain de l’élection de Benoît XVI après la mort de Jean-Paul II, et de visites réciproques entre l’épiscopat français et le Patriarche Alexis II en France et en Russie, le climat s’est nettement détendu.

Comment les choses évolueront-elles entre Moscou et Rome ? Il est encore bien trop tôt pour le dire, surtout à l’heure où des tensions pe­rsistent au sein du monde orthodoxe entre Moscou et Constantinople.

Denis LENSEL

On lira dans le dossier de France Catholique à paraître le 6 février, notre grand entretien entre Jean-François Colosimo et Gérard Leclerc, sur le thème « Comprendre l’âme russe »…

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www.trouverlapresse.com

Lire l’article de l’agence de presse Zenit

http://www.zenit.org/rssfrench-20011

Consulter plusieurs articles intéressants sur l’élection du Patriarche :

http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2009/01/cyrille-1er-un-patriarche-denvergure.html

http://www.lefigaro.fr/international/2009/01/28/01003-20090128ARTFIG00039-cyrille-ier-le-nouveau-patriarche-de-moscou-.php

http://www.liberation.fr/monde/0101315179-kirill-nouveau-patriarche-de-moscou-et-de-toutes-les-russies