La réception du Concile et ses malentendus - France Catholique
Edit Template
Van Eyxk, l'art de la dévotion
Edit Template

La réception du Concile et ses malentendus

Deux interprétations divergentes du dernier Concile sont au cœur des controverses actuelles sur l'avenir de l'Église. Il faut bien en avoir conscience pour avoir une position juste.
Copier le lien

Le concile Vatican II est reçu par les uns en terme de « rupture », « 1917 dans l’Église », et ceci au nom de « l’esprit du Concile », cet esprit que conteste aussi le courant traditionaliste dont l’analyse est analogue mais à front renversé. Le Concile est reçu, par contre, en terme de « continuité » par ceux qui pourraient s’appuyer, entre autre, sur les votes massifs de la plupart des textes adoptés : se souvient-on que la constitution sur la liturgie, à propos de laquelle les débats feront rage, a été adoptée par 2 147 voix contre 4 ?

Or ce débat est aussi ancien que le Concile lui-même. Dès avril 1964, Paul VI fait part à Jean Guitton de son inquiétude à propos de l’information sur le Concile en France. Bien des journalistes commentent les débats sur le mode des arbitrages politiques. Ils usent des épithètes commodes de « conservateurs » et de « progressistes », la première connotée le plus souvent de façon péjorative. Le modèle serait pour l’Église la Hollande et son Catéchisme (1966). Rome s’est-elle convertie ? (1966) s’interroge le chroniqueur religieux du Monde, Henri Fesquet, qui pèse de tout son poids dans le sens de l’interprétation de « l’esprit du Concile ». Mais, écrit le P. Antoine Wenger dans La Croix, « certains attribuent volontiers au Concile leurs propres opinions et identifient trop facilement les décisions conciliaires avec leurs propres désirs » (15 septembre 1966). Un événement est révélateur. Celui-là même à qui Paul VI avait confié à la fin du Concile le message destiné aux intellectuels, Jacques Maritain, publie en novembre 1966 Le paysan de la Garonne : les masses continuent de s’éloigner, des militants et des clercs quittent l’Église qui est en train de vivre une crise grave. Celle-ci n’est pas imputable au Concile. Maritain incrimine un « néo-modernisme » effréné. Se recommandant, à tort, de « l’esprit du Concile ». À la « diabolisation du monde » a succédé « l’agenouillement devant le monde », une peur panique d’être dépassé alors que l’efficacité prêtée aux solutions marxistes crée chez beaucoup de chrétiens un complexe d’infériorité. Or, dit le philosophe, si le mépris du « monde » est une hérésie manichéenne, le « monde » est ambivalent et le chrétien a vocation de le contester. En 1965, le P. Daniélou, dans L’Oraison problème politique, a défendu les institutions chrétiennes et la religion populaire. Il pense que l’athéisme est surestimé et qu’aux paganismes d’hier, ceux de la société paysanne, succèdent les paganismes de la société industrielle, ce que beaucoup, alors, ne voient pas. De son côté, le P. de Lubac écrit au P. Wenger, le 26 juillet 1966, qu’un « redressement urgent » est à opérer « dans le sens authentique du Concile ». Citant une récente intervention de Mgr Joseph Ratzinger au Katholikentag, il considère que « la tradition la plus classique offre incomparablement plus de ressources à la pensée… qu’une certaine attitude critique aujourd’hui trop répandue ».

Alors qu’un conseil national de la J.E.C. (Jeunesse étudiante chrétienne) décrit bien un parcours dont le cheminement avait inquiété des observateurs engagés aussi connus que le P. Guérin, Madeleine Delbrêl, Mgr Ancel, Jacques Loew ou Joseph Folliet : « On est passé successivement de la conquête à l’apostolat ; de l’apostolat au témoignage ; du témoignage à la présence, de la présence à l’écoute » (1973), un tournant est pris à Rome en 1975, tournant qui passe trop inaperçu en France1 : le 8 décembre Paul VI, dans l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi invite à « revoir les méthodes » : l’évangélisation n’est pas facultative, elle passe par une annonce explicite, elle demande une visibilité. Peu après, Mgr Gabriel Matagrin publie un rapport qui traduit une inquiétude devant l’adoption sans critique des analyses marxistes.

« Il fallait faire face à la réalité de Vatican II, à la lettre et à l’esprit du Concile, non à quelque imaginaire Vatican III » déclare en 1985, dans ses entretiens sur la foi, le cardinal Ratzinger en évoquant la création de la revue Communio et son départ de Concilium. « L’appel de Montpellier » considère, par contre, que ces Entretiens constituent un « enterrement de Vatican II » et Mgr Jacques Gaillot est le premier des signataires de la seconde liste. Ainsi s’exprime une sensibilité qui conteste le décalage entre l’Église et la modernité quand une autre sensibilité entend revenir sur les analyses intellectuelles et les méthodes pastorales mises en œuvre au temps de la modernité triomphante des sixties et particulièrement durant la décennie 1965-1975, « le temps de l’interdestruction soupçonneuse » (pasteur André Dumas). Puisqu’aussi bien, aux certitudes en béton d’alors, ont succédé au sein des jeunes générations le temps de la recherche et le réveil d’inquiétudes où le religieux tient sa place, un religieux foisonnant qu’il s’agirait d’évangéliser à nouveaux frais, contrairement aux prévisions concernant son éradication dans l’homme à l’orée des années 1960, le temps de L’éclipse du sacré dans les sociétés industrielles pour reprendre un titre évocateur.

  1. De ce tournant dont il faudra mieux cerner les contours et les conséquences, nous posons quelques jalons dans La religion en France de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Carré-Histoire, p. 161-162.