La prédication et les quatre sens des Écritures - France Catholique
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La prédication et les quatre sens des Écritures

Traduit par Albérique

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Les exégètes catholiques de la Bible ont traditionnellement distingué quatre sens dans les Ecritures: Le littéral, l’allégorique, l’anagogique, et le moral. Au Moyen-Age, la différence entre eux était résumée dans ce petit poème latin:

luttera gesta doce,

Quod credas allegoria.

Moralia quod agas,

Quo tendas anagogia.

.

Le sens littéral enseigne ce qui est arrivé,

L’allégorique ce que vous devriez croire,

Le moral ce que vous devriez faire,

L’analogique où vous allez.

Le Catéchisme nous dit ceci: « La profonde concordance des quatre sens garantit toute sa richesse à la lecture vivante des Ecritures dans l’Eglise ». Cela a vraiment été le cas pendant des siècles.

Et cependant, on n’entend plus que rarement mentionner les trois sens « spirituels ». C’est bizarre, non seulement parce que l’évocation de tous les quatre sens a été au coeur des grandes prédications pendant des siècles, mais aussi parce que le lectionnaire moderne était articulé autour de lectures de l’Ancien Testament correspondant à l’Evangile précisément pour favoriser un sens de la manière dont, suivant la fameuse citation de St Augustin, « le Nouveau Testament se trouve caché dans l’Ancien, et l’Ancien est rendu manifeste dans le Nouveau ». Le lectionnaire moderne est fait sur mesure pour le sens de l’allégorie et les autres sens spirituels.

Et cependant on n’en parle que rarement dans les sermons modernes. Les petites leçons morales habituellement données à la Messe – « être gentil », « tolérant », « accueillant » -n’ont que peu à voir avec le sens moral tel qu’il est traditionnellement compris, qui implique d’agir en accord avec les Commandements, les Béatitudes et les vertus cardinales et théologales.

Même le sens littéral du texte est souvent perdu de vue car les prédicateurs ne répètent que rarement les lectures du jour, même si, par le temps qu’ils mettent à aller jusqu’à la chair, beaucoup parmi l’assistance les ont déjà oublié. De ma propre expérience, les prêtres mentionnerons l’Evangile parfois, la lecture de l’Ancien Testament rarement, et l’épître jamais. C’est une honte, car les lectures des épitres de St Paul contiennent certains des plus importants enseignements théologiques de toute la Bible.

Au lieu de plonger directement dans les textes des Ecritures du jour, il n’est pas rare que les prédicateurs modernes commencent par une histoire personnelle ou une plaisanterie. Au Moyen-Age, il y eut quelque chose d’analogue: des petites histoires pieuses que les prédicateurs aimaient, appelées exempla. Il y eut des volumes pleins de ces histoires, de la même manière que, de nos jours, nous avons des « guides de prédication » .
Bien qu’ils aient été très populaires parmi certains prédicateurs, ni saint Thomas d’Aquin ni saint Bonaventure n’ont fait usage des exempla. Et là nous avons les deux plus grands prédicateurs du treizième siècle, et aucun n’a fait usage de ces petites histoires en vogue. Pourquoi pas?

Dans « Le Paradis » 29.109-117, Dante présente Béatrice punissant des prédicateurs à cause de l’utilisation qu’ils ont fait de ces plaisanteries et de ces petites histoires :

.

Le Christ n’a pas dit à ses premiers compagnons :

« Allez et prêchez des histoires futiles au monde »;

Mais il leur donna l’enseignement qui est vérité,

.

Et seule la vérité sortait de leurs bouches;

Et ainsi, pour combattre pour susciter la foi,

Les Evangiles leur servaient à la fois de bouclier et de lance.

.

Mais maintenant les hommes vont prêcher avec des plaisanteries et des railleries,

Et aussi longtemps qu’ils font rire,

Ils bombent le torse et rien d’autre n’est requis.

Ainsi, aussi, le frère dominicain, Jacopo Passavanti (1302-1357) suggère que certains de ses compagnons prêcheurs se conduisaient plus comme des « jongleurs et des conteurs et des bouffons » que comme les prêcheurs étaient sensés être.

Saint Thomas d’Aquin écrivit à son contemporain, Gérard de Besançon, qu’il « n’était pas correct pour un prêcheur de la vérité d’être détourné par des fables invérifiables ». Et le biographe de St Thomas, le père Jean-Pierre Torrell, nous dit : St Thomas pensait que les prédicateurs ont besoin d’un art qui puisse remuer les sentiments, mais il refusait de réduire cet art à la sagesse de ce monde. C’est pourquoi nous trouvons difficilement chez lui ces différentes anecdotes (exempla) si appréciées par tellement de prédicateurs. Il nous mettait en garde, a contrario, contre ce qu’il appelait des « frivolités » (frivolitates). C’est un bon conseil.

Rétrospectivement, on peut imaginer qu’il y avait dans ce domaine de bons exempla et d’autres mauvais. Beaucoup parmi nous ont eu le privilège d’écouter des sermons avec des histoires intéressantes et éclairantes ou des exemples particulièrement illustrants tirés de la grande littérature ou des vies des saints. Mais cela n’est pas habituel.

Je ne nie pas l’utilité d’employer des « exemples » concrets pour aider à illustrer les points d’un sermon puisque, ainsi que beaucoup de manuels de prédication de l’époque médiévale le mettent en avant, les gens ordinaires ont tendance à apprécier les images visuelles plus que le raisonnement abstrait. Et cependant, ces petites histoires peuvent être trop ou mal utilisées. Je connais un bon nombre de prêtres qui ne peuvent pas faire une homélie sans raconter une histoire sur eux-mêmes. Beaucoup pensent que c’est un bon moyen de « rendre les Ecritures adaptées » à leurs fidèles.

Il n’en est pas ainsi. De tels prédicateurs remplacent la Parole universelle de Dieu par une histoire particulière de leur propre vie. L’histoire de Moïse n’est pas simplement une autre histoire à propos de quelqu’un que je n’ai jamais rencontré; elle a une signification pour moi en tant que moment dans l’histoire du Salut. Moïse est aussi une « sorte », une préfiguration, du Christ, ainsi que le sont David, Abraham, et Melchizedek. Lorsque la plus part des catholiques vont à la Messe, Ils veulent entendre parlé du Christ et de l’histoire du Salut, et non du voyage du Père David à Cleveland, ou des choses mignonnes que la nièce du Père Brad avait dit à sa mère.

La manière de rendre les Ecritures « tout à fait vivantes » est d’utiliser intelligemment les différents sens spirituels des textes. De trop nombreux prêtres délaissent les meilleurs outils que l’Eglise met à leur portée pour une prédication vivante. Les résultats sont souvent un brouet clair, manquant de la nourriture spirituelle dont les adultes cultivés ont besoin dans une culture toxique et de plus en plus anti-catholique.

Les catholiques ayant une formation profane de haut niveau dans le domaine juridique, ou dans les affaires ou en médecine, et qui ont un bon niveau d’entendement de leur Foi ont tendance à être dominés uniquement par leur formation profane. La « Foi » devient quelque chose pour les enfants, mais pas quelque chose pour guider chacun dans ses activités de tous les jours ou le cours de sa vie. Quelques petites historiettes sur « comment être spirituel » ne changeront rien à ceci. Une congrégation instruite a besoin de prédication érudite ainsi que st Thomas et st Bonaventure l’avaient compris.

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Randall B. Smith est le scanlan Professor de Theology à l’University of St Thomas, à Houston. Son livre le plus récent, Reading the sermons of Thomas Aquinas: A Beginner’s Guide (http://amzn.to/2hX5R7E) est maintenant disponible sur Amazon et à la Emmaus Academic Press.