La plus petite place au Paradis. - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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La plus petite place au Paradis.

Traduit par Pierre

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Le passage de l’Évangile (Mt, 20 : 21-23) rapportant la requête de la mère des Apôtres Jacques et Jean (que Jésus avait surnommés « Fils du Tonnerre ») pour « qu’ils siègent l’un à ta droite, l’autre à ta gauche dans ton Royaume,» nous ferait penser « une vraie mamma Juive! » ou « gonflés! pour qui se prennent-ils? »

Mais il fut une époque, j’approchais alors de mes vingt ans, où, familiarisé avec les traités mystiques de St. Jean de la Croix, Ste Thérèse d’Avila, Henry Suso, etc… et les vies de divers Saints, je m’identifiais aux « Fils du Tonnerre », visant rien moins que le sommet. J’ai même adhéré pendant deux ans à un ordre religieux.

Et j’étais impressionné par la prédiction de St. Louis de Montfort selon laquelle, vers la fin des temps, les plus grands saints seraient suscités par la dévotion à la Vierge Marie. Ainsi, à notre ère nucléaire, (trotte, mon imagination), et avec tout ce qui se disait des armements dignes du jugement dernier, on pouvait bien approcher de la « fin des temps », et les sommets spirituels pouvaient bien être au coin de la rue, avec un petit coup de main de Marie.

Mais je comprends mieux maintenant la réponse de Jésus à cette requête « pouvez-vous boire la coupe que je vais boire? (Mt 20 : 22) Et qui pourrait endurer les souffrances subies par Jésus — ou même par Jacques et Jean. Compte-tenu de tout celà, et n’étant pas grand amateur de souffrance, je me contenterais maintenant de la plus petite place au paradis — même tout contre la grille.

Dans la Divine Comédie, Dante a une vision de la plus petite place au paradis, dans le Chant III du « Paradisio ». Les habitants qu’il y rencontre sont des nonnes, des moines, ou autres, qui ont prononcé des vœux solennels envers Dieu, mais, en raison des circonstances, ne les ont pas réalisés. Le problème est que, les circonstances devenant favorables, ils n’ont pas fourni l’effort nécessaire au retour vers la situation de leurs premiers vœux.

Dante remarque leur condition inférieure dans le paradis, et leur demande s’ils souhaiteraient une meilleure situation. Ils répondent être quasi-débordants de bonheur, autant qu’ils peuvent en avoir. Naturellement, c’est un aspect intrinsèque du bonheur céleste propre à chacun — aucun désir n’est insatisfait, comme le remarque l’un d’eux : «notre paix se trouve dans Sa Volonté.»

Il va sans dire que la plus petite place au paradis est certainement meilleure que ce que Dante voit comme ce qu’on pourrait appeler le « vestibule » de l’enfer (pas tout-à-fait à l’intérieur du « premier cercle »). Dante rencontre une foule d’âmes indifférentes — qui n’ont jamais su faire la différence entre le bien et le mal. Ils se trouvent dans une ornière (avec y-compris des « anges neutres ») ayant la récompense méritée, car ni le ciel ni l’enfer n’accepte ceux qui « restaient assis au bord du chemin ».

Leur sort me fait penser à la parabole des talents (Mt 25 : 14 – 30) et au triste individu avec son talent, qu’il choisit d’enterrer plutôt que l’employer ou en faire mauvais usage. Je pense aussi à la mise en garde de Jésus dans l’Apocalypse au sujet de la prise de décision — sois chaud ou froid, mais pas tiède (Ap 3 : 15-16).

Je trouve pourtant étrange que ces âmes pitoyables semblent hébergées au-dessus du premier cercle de l’enfer (les Limbes), là où se trouvent divers éminents païens tels qu’Aristote, Platon, Socrate, Homère, César, et Virgile lui-même — qui sait s’ils ressentent l’absence de la gloire surnaturelle du paradis, vivent dans une douce pénombre, mais ne semblent autrement pas soumis à de grands tourments.

Comme j’ai pris de l’âge, et commis bien des erreurs, j’ai commencé à saisir plus nettement ce que Jésus voulait dire en répondant à l’équipe Jacques et Jean : « vous ne savez pas ce que vous demandez.» En d’autre termes la clé d’attribution de degrés dans la bénédiction du Père dans l’au-delà implique de grandes gorgées bues à la coupe de souffrances. Mes articulations pleines d’arthrose et autres misères physiques me font sentir la difficulté à recouvrer cet enthousiasme spirituel de la jeunesse qui mène les croyants vers les étoiles. Voudrais-je me mesurer aux grands martyrs? — St. Laurent sur le gril, St. Jean dans l’huile bouillante, St. Barthélémy écorché vif, etc… Ou à ces grands ascètes, tels St. Siméon stylite vivant au sommet d’une colonne, ou l’adolescent St. Antoine se retirant dans le désert pour y vivre jusqu’à l’âge de 105 ans.

Je pourrais bien suivre le « petit chemin » de Ste Thérèse de Lisieux, si je savais maîtriser mon sale caractère et autres handicaps moraux. Mais en définitive, j’assimilerais mon cas à celui de cette héroïne de Flannery O’Connor dans la nouvelle « A Temple of the Holy Ghost » (Un Temple de l’Esprit Saint), qui « ne pourrait jamais être une sainte, mais …. pensait qu’elle pourrait être une martyre pourvu qu’on la tue rapidement.»

J’éprouve une saine propension à distinguer le bien du mal, et je ne pense pas être comme ces âmes indifférentes gémissant dans le vestibule de l’enfer.

Pourtant, j’ai un problème psychologique, il m’est difficile de nouer des relations familières avec les gens importants, il m’arrive parfois de rester coi en leur présence. Je me demande qui se sentirait à l’aise en siégeant à côté d’Abraham ou de Moïse, ou des « Fils du Tonnerre », ou de St. Pierre, ou même de mon saint patron St. Paul ? De quoi parlerions-nous? Où irions-nous ensemble en voyage ?

Ceci peut scandaliser, en un monde où sont appréciées initiative et ambition, je me contenterais de la plus petite place au paradis, pourvu que j’y parvienne. En plus des ex-moines et nonnes repérés par Dante, j’imagine qu’on y rencontre bon nombre de « convertis sur le lit de mort », et d’autres gens fort intéressants avec qui on aurait l’incessante faculté d’échanger des expériences, de discuter d’aspects surprenants de Dieu, d’explorer la hiérarchie des anges, etc.

Même l’étage inférieur du paradis serait merveilleux car, comme Dante le dit ailleurs j’ai découvert une évidence : c’est le paradis en tous lieux des cieux.

6 novembre 2014.

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Illustration : Dante et les trois royaumes – Domenico di Michelini (vers 1460).

Source : The Lowest Place in Heaven