La messe, rite cannibale - France Catholique

La messe, rite cannibale

La messe, rite cannibale

Pourquoi faut-il que nous mangions le corps du Christ ?
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Consécration du corps du Christ

Consécration du corps du Christ

CC by : © Marie-Lan Nguyen

Lors de la dernière Cène, en disant « Ceci est mon corps livré pour vous », Jésus a vraiment voulu se donner en nourriture. Et il a vraiment commandé aux apôtres de refaire « cela » : « Faites cela en mémoire de moi » (Luc 22,19).

« Cela » ? Qu’est-ce à dire : partager des morceaux de pain ? Évidemment non. On se doute que Dieu n’est pas venu sur Terre pour nous apprendre à organiser des casse-croûte entre amis. « Cela », c’est partager le corps du Christ, le manger et boire son sang. C’est cela que le Christ leur a fait faire, et non autre chose.

Autant dire que si nous arrivions à nous représenter vraiment ce qui se passe à la consécration, nous serions littéralement consumés sur place. Fort bien. Mais alors une question brutale et fondamentale vient aux lèvres : pourquoi faut-il que nous mangions ce corps livré pour nous ? Pourquoi manger Dieu ?

Le Christ, nouvel agneau

À vrai dire, aussi étrange que cela puisse paraître, il y a quelque chose de logique là-dedans. Il faut, pour s’en rendre compte, replacer le sacrifice du Christ dans le cadre des pratiques sacrificielles de l’ancien Israël : l’agneau sacrifié, à Pâque et lors du Grand Pardon, était mangé par les fidèles, qui cherchaient par-là à mieux s’associer à l’acte d’offrande du prêtre, en s’identifiant à l’animal. Or, le Christ est le nouvel agneau, « l’agneau de Dieu » (Jn 1, 29), dont le sacrifice inaugure la Nouvelle Alliance et la libération définitive annoncées par les prophètes d’Israël.

Il n’est donc pas étonnant que le Christ, qui entendait accomplir et non abolir la loi juive, ait voulu être mangé par les fidèles. De telle sorte qu’ils s’identifient à lui, tout comme la loi ancienne exigeait qu’ils s’identifient à l’agneau sacrifié.

En se présentant comme une nourriture, le Christ montre de manière explicite qu’il prend la suite de l’agneau sacrifié, qu’il est bien l’agneau de Dieu, livré pour le salut des hommes. Il indique ainsi la continuité entre les rites de l’Ancienne Alliance et sa propre révélation. Il manifeste concrètement que les anciens sacrifices étaient la préfiguration très imparfaite du Sien.

La messe, véritable continuation de la religion juive

On en fait rarement la remarque, mais alors que le judaïsme talmudique [après la mort de Jésus NDLR] a suspendu la loi sacrificielle, le Christ, conformément à sa promesse, ne l’a pas abolie mais l’a totalement accomplie. On comprend ainsi que la messe – Saint Sacrifice – est la véritable continuation de la religion du Temple. Le tabernacle est le nouveau Saint des Saints. Certains diront que tout cela est très beau, mais que la messe n’en demeure pas moins un culte cannibale ! Au risque de choquer, nous dirions que tout n’est pas faux dans une telle affirmation. Certes, l’eucharistie n’est pas du cannibalisme puisque la chair du Christ n’apparaît pas physiquement dans l’hostie. Mais oui, l’eucharistie révèle le sens véritable du cannibalisme, oui l’eucharistie est une transfiguration du cannibalisme.

Manger pour acquérir la même force

Car il y a bel et bien dans le cannibalisme une espèce de vérité qui se cherche ; elle le fait sous les formes de l’erreur et du crime, mais elle se cherche toutefois. Le cannibale ne mange pas pour anéantir le mangé, il mange pour tenter d’acquérir la même force, le même prestige que le mangé, pour le faire vivre en lui.

Dans Les Confessions, le Christ s’adresse ainsi à saint Augustin : « Et toi tu ne me changera pas en toi, comme la nourriture de ta chair, mais c’est toi qui seras changé en moi. » (VII, 10, 16) C’est ainsi qu’on mangeait un guerrier puissant pour devenir aussi puissant que lui. C’est le sens de l’eucharistie : ce n’est pas Dieu qui devient humain, c’est nous qui devenons divins.

En l’occurrence, la consommation de l’eucharistie a pour but de nous identifier au Christ en train de se livrer, et de participer ainsi à son action. C’est la voie par laquelle les hommes peuvent s’associer au mouve-ment d’abandon à la volonté de Dieu, dont le Christ nous a donné le modèle.

Le sacrement de l’eucharistie vient chercher les hommes là où ils sont, avec leurs pulsions profondes et primitives, comme celle de la dévoration de l’aimé. Assurément, nous ne sommes plus cannibales, mais il y a quelque chose de profond et d’inamissible dans le cannibalisme, que l’eucharistie vient révéler et accomplir. Nous voulons manger ce que nous aimons. Les enfants le font. Les amants le savent, mais ne le diront pas. La religion catholique le fait, le sait et le dit.