La leçon de Molière - France Catholique

La leçon de Molière

La leçon de Molière

Après La Fontaine et Baudelaire, nous célébrons les 400 ans de la naissance de Molière. C’est la date de son baptême, le 15 janvier 1622 en l’église Saint-Eustache à Paris, qui fait foi (!). Jean-Baptiste Poquelin demeure depuis quatre siècles l’un des plus grands maîtres de notre langue.
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Molière, Nicolas Mignard.

Molière, Nicolas Mignard.

Musée de la vie romantique

Dans un texte de novembre 1905, Péguy raconte l’interrogation orale de son ami Jean Tharaud, candidat à la licence de lettres, le jour de son épreuve d’explication française. Tharaud tombe sur « le couplet de madame Jourdain », extrait du Bourgeois gentilhomme (acte III, scène 12). Il doit plancher devant M. Larroumet, professeur de littérature française à la Sorbonne.

Tharaud lit le texte [voir l’extrait ci-dessous] : « C’est une chose, moi, où je ne consentirai point… » Puis se tait. « Expliquez », renchérit M. Larroumet.

Expliquer Molière ?

Écoutons le récit que fait Péguy de la réaction de son ami : « Ce fut ce jour que la santé de Tharaud, jusque-là fort brillante, reçut une atteinte mortelle ; il en eut un tel saisissement ; pensez qu’il venait de lire peut-être le plus admirable et le plus parfait morceau de français qu’il y ait dans tout le français, un morceau où il n’y a pas un mot qui ne donne son sens plein, pas une virgule qui ne sonne, et pas un dessin de phrase qui ne soit à se mettre à genoux devant ; et on lui demandait d’expliquer. »

« Expliquer. Bafouiller, bavotter sur ce Molière. Il faudrait avoir tué père et mère. Tharaud n’expliquait pas. Texte admirable. Si plein, si parfait à le relire. On le relirait cent fois. C’est tout un morceau de ce temps qui reparaît intact. La vie même et l’être de cette bonne bourgeoisie. Tharaud n’expliquait toujours pas. »

Pourquoi l’ami de Péguy resta-t-il ainsi silencieux ? Parce que l’on ne peut pas « expliquer » un texte aussi parfait, qui se suffit autant à lui-même. Alors c’est M. Larroumet qui « expliqua », et qui mit en langage de son temps ce que Molière avait dit pour l’éternité en langage français, et il donna une bonne note au candidat Tharaud – s’étant noté lui-même en homme qui ne se déplaisait pas à lui-même.

L’arme du rire

Pages féroces. Il faut en retenir que Molière, selon Péguy, c’est d’abord la langue française portée à sa perfection – entendons une parfaite adéquation avec la pensée qu’elle a pour fonction d’exprimer. Illustration idéale des vers de Boileau :

« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement
Et les mots pour le dire arrivent aisément. »

En ce grand siècle, les écrivains sont des moralistes. Quoi ? Ils nous font la morale ? Non. Ils travaillent à la qualité des mœurs. Molière, par l’arme du rire, combat les défauts qui menacent la paix des familles. Au-delà, il propose le modèle de l’honnête homme. Par le portrait qu’il en donne, il s’efforce d’assurer la sociabilité, qui est l’art de vivre ensemble, si différent soit-on. Le bon usage de la langue en est la première condition. C’est par elle qu’on s’entend. Mauvais usage de la langue, mauvais état de la société. Molière ridiculise les jargons, toujours signes de prétention et d’exclusion : les pédants, les prétendus docteurs, en philosophie, en théologie, en médecine, Dieu sait !

Retrouvez l’intégralité de l’article dans le magazine.

Le couplet de Madame Jourdain

«C’est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi sont sujettes toujours à de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu’un gendre puisse à ma fille reprocher ses parents, et qu’elle ait des enfants qui aient honte de m’appeler leur grand-maman. S’il fallait qu’elle me vînt visiter en équipage de grand-dame, et qu’elle manquât par mégarde à saluer quelqu’un du quartier, on ne manquerait pas aussitôt de dire cent sottises. “Voyez-vous, dirait-on, cette Madame la Marquise qui fait tant la glorieuse ? c’est la fille de Monsieur Jourdain, qui était trop heureuse, étant petite, de jouer à la madame avec nous. Elle n’a pas toujours été si relevée que la voilà, et ses deux grands-pères vendaient du drap auprès de la porte Saint-Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs enfants, qu’ils payent maintenant peut-être bien cher en l’autre monde, et l’on ne devient guère si riches à être honnêtes gens.” Je ne veux point tous ces caquets et je veux un homme, en un mot, qui m’ait obligation de ma fille, et à qui je puisse dire : “Mettez-vous là, mon gendre, et dînez avec moi.” » 

Le Bourgeois gentilhomme, acte III, scène 13