La foi du croyant ne peut pas être une foi solitaire - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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La foi du croyant ne peut pas être une foi solitaire

FC 660 – 24 juillet 1959

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La théologie a pu passer pendant longtemps pour une science qui ne concerne que les ecclésiastiques, et encore, parmi ceux-ci, bien souvent, seulement quelques spécialistes. C’est un signe intéressant des changements les meilleurs qui se sont produits au cours de ces dernières années que ceci n’est plus tellement vrai.

Deux livres bien différents viennent de paraître qui sont des exemples également intéressants à cet égard.

L’ouvrage de M. Louis Villette, dans la nouvelle collection des Travaux de l’Institut catholique, si brillamment inaugurée par les études de M. Venzac sur la religion de Victor Hugo, est une thèse de doctorat en théologie. Comme tel, il demande une certaine culture religieuse pour être lu avec fruit. Mais sa rédaction est si claire et si lucide qu’elle rend accessible même aux non spécialistes les questions les plus techniques qu’il est amené à traiter. Et l’objet de cette thèse est assurément capital pour tout chrétien soucieux d’une vie religieuse personnelle : Foi et sacrement, tel en est le titre (Ed. Bloud et Gay). Il s’agit en fait d’une étude de la question à travers tout le Nouveau Testament et les Pères de l’Eglise.

La foi trouve son contenu objectif dans les sacrements

On appréciera l’importance d’une telle étude, si l’on songe que les plus graves divergences entre le protestantisme et le catholicisme s’affirment à propos de ce problème.

Réagissant contre une pratique religieuse de décadence, qui n’avait pas peu influencé la théologie elle-même, les protestants, on le sait, en sont venus, par une insistance à l’origine excellente sur le rôle de la foi dans le salut, méconnaissant en fait le conditionnement de la foi dans l’Eglise, à vider les sacrements de leur sens.

Il est fâcheux qu’en face de cela une polémique catholique trop pressée ou peureuse se soit sentie mal à l’aise, dirait-on, pour maintenir en pleine lumière les données de la tradition catholique sur le lien intrinsèque ente foi et sacrement. Le résultat est qu’une pratique routinière, sinon carrément superstitieuse, des sacrements n’a pas toujours été évitée chez nous autant qu’il aurait été souhaitable. Même quand cela n’a pas été aussi grave, il en est au moins resté, dans le catholicisme moderne, des vues étriquées du sens et de la pratique des sacrements, lesquelles sont fort loin de ce que la liturgie elle-même, ou la grande théologie classique, auraient dû nous donner.

L’ouvrage de M. Villette montre bien comment, pour l’antiquité chrétienne, il n’y a pas à choisir entre un salut par la foi et un salut par les sacrements : c’est dans les sacrements que la foi trouve le contenu objectif, le don de Dieu tout gratuit, auquel elle adhère, non pas dans l’abstrait, comme à une vue de l’esprit, mais concrètement : comme à un événement divin qui se saisit actuellement de notre propre existence.

Cependant, ce qui dépasse toutes les appositions étroites, comme saint Augustin l’a saisi avec une profondeur inégalée, c’est que le sacrement ne doit jamais être étudié et expliqué du point de vue de l’individu isolé – erreur, hélas ! il faut le reconnaître, où la théologie catholique moderne n’est guère moins tombée que la théologie protestante, ce qui l’a mise en fâcheuse position pour réfuter celle-ci sans perdre du même coup toute possibilité d’apprécier justement ce que la « protestation » de la Réforme pouvait avoir de positif et de justifié, au regard de la tradition la plus orthodoxe.

La foi qui accueille le don de Dieu dans le sacrement, ce n’est jamais en effet la foi de l’individu isolé : c’est d’abord la foi de l’Eglise, à qui les sacrements sont donnés et confiés. La foi personnelle du croyant doit elle-même l’intégrer à la foi de l’Eglise, pour qu’il reçoive effectivement, dans le sacrement, tout ce que l’Eglise ne cesse d’y recevoir et d’y communiquer.

Il va sans dire qu’une telle étude ne fait qu’éclairer toute notre spiritualité sacramentaire. Elle projette encore des lumières d’une particulière importance sur tous les problèmes missionnaires de l’Eglise contemporaine.

Le second ouvrage sur lequel nous voudrions attirer l’attention du chrétien désireux d’une culture spirituelle solide est le tome deux de L’introduction à la Bible (Ed. Desclée et Cie). Il est tout entier consacré au Nouveau Testament, sous un volume guère moindre que celui du précédent tome, qui l’était à l’Ancien. C’est dire avec quelle relative abondance les problèmes y sont traités.

Il faut rendre un particulier hommage au soin qu’a eu M. Feuillet, p.s.s., directeur de ce volume, d’y équilibrer le souci de la rigueur scientifique et celui non seulement de la clarté mais d’une heureuse pédagogie. Le résultat est un volume qui sera du plus grand prix, pour tous les prêtres et séminaristes, mais aussi pour tous les laïcs (d’une culture du niveau du baccalauréat) qui s’intéressent à la Bible mais ne savent trop comment s’y aventurer.

Ils trouveront dans ce volume, sous une forme souvent très attrayante, toujours précise et aisée à suivre, toutes les données historiques et littéraires qu’il faut connaître pour lire avec fruit les livres du Nouveau Testament.

Après une large introduction sur le milieu où est né ou pour lequel a été composé le Nouveau Testament, ils trouveront des analyses fouillées de toutes se parties, avec une bonne information sur tous les problèmes importants qui se posent tour à tour, à propos des auteurs sacrés, de la manière dont ils se sont exprimés, du message qu’ils ont voulu transmettre.

Un tel livre, sans être enflé démesurément, ne pouvait contenir une théologie complète du Nouveau Testament, même par manière d’esquisse. Mais on y trouve tous les éléments de base, avec les principales données bibliographiques, pour s’y initier. Mieux encore : la conclusion, fort copieuse, est un examen de trois grands thèmes particulièrement importants pour l’intelligence de la religion du Nouveau Testament. Le rapport entre le règne de Dieu et la personne de Jésus d’après les évangiles synoptiques, puis les Actes des Apôtres, la doctrine de saint Paul sur le salut, celle de saint Jean sur l’Incarnation et la rédemption. Ainsi, l’on peut dire qu’une étude doctrinale des écrits néo-testamentaires se trouve non seulement préparée pour le lecteur mais amorcée de la façon la plus instructive et la plus prenante.

Pratique sacramentaire et méditation scripturaire

Ces deux ouvrages, par leur rapprochement même, nous semblent éclairer le sens dans lequel l’actuel renouveau chrétien devrait de plus en plus se préciser. Il serait souhaitable que la réalité de la vie de l’Eglise tout entière, et en celle-ci de la vie du chaque chrétien, se régénère de plus en plus à partir de ces deux lignes fondamentales : pratique sacramentaire et méditation scripturaire. L’une et l’autre doivent se féconder mutuellement, dans un rajeunissement de la foi et du sens de l’Eglise, inséparablement unis dans notre vision des choses et dans notre pratique. Ces deux livres indiquent la direction à suivre et, qui plus est, peuvent nous faire avancer très loin sur la bonne route.

Louis BOUYER